On a comparé les programmes de Hamon, Jadot et Mélenchon

À la lecture des programmes, une vision commune se dégage. Mais aussi des désaccords stratégiques.

Erwan Manac'h  • 1 février 2017 abonné·es
On a comparé les programmes de Hamon, Jadot et Mélenchon
© Photo : THOMAS SAMSON/AFP

Le rouge, le vert et le rose peuvent-ils faire naître une teinte uniforme ? À la lecture des programmes de Benoît Hamon, de Yannick Jadot et de Jean-Luc Mélenchon, il serait facile de l’imaginer. Les trois projets semblent forgés dans le même moule, avec un fort ancrage écologiste, un volet social ambitieux et une relocalisation de l’économie qui rompt avec le productivisme et le libre-échange.

Les trois candidats se rejoignent également sur plusieurs questions de société, à commencer par la proposition, longtemps taboue au Parti socialiste, de légaliser le cannabis. Ils préconisent l’autorisation de la procréation médicalement assistée (PMA) pour tous les couples ainsi que la fin du diesel, des pesticides toxiques et des perturbateurs endocriniens. Ils s’entendent également sur le droit de vote pour les étrangers aux élections locales, le retour de la police de proximité et la sortie de l’état d’urgence.

Mais tout n’est évidemment pas aussi aisé qu’il y paraît. D’innombrables points de détail cristallisent des désaccords stratégiques. Et deux postures se dessinent entre les lignes : une méthode « douce », incarnée par Benoît Hamon et Yannick Jadot – dont on ne connaîtra le détail du projet que début mars – et une manière plus « forte », adossée sur des propositions plus tranchées et un goût assumé pour le rapport de force. « Ce n’est pas seulement que nous allons plus loin, insiste Guillaume Etiévant, économiste de la France insoumise, le mouvement mené par Jean-Luc Mélenchon. Il y a des logiques qui sont très différentes. Benoît Hamon, c’est la poursuite du compromis social-démocrate. Nous, nous sommes dans une logique d’opposition frontale aux intérêts du capital. »

Benoît Hamon est notamment jugé mou sur le nucléaire, car il s’en tient aux objectifs fixés par la loi de transition énergétique (50 % de nucléaire en 2025), là où Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon défendent une sortie totale. Idem sur l’âge légal de départ à la retraite, que Jean-Luc Mélenchon est le seul à vouloir ramener à 60 ans. Mais c’est la question des traités européens qui illustre sans doute le mieux cette dissension. Benoît Hamon préconise un moratoire sur le pacte de stabilité, qui impose aux États membres la rigueur budgétaire, et propose une harmonisation sociale ainsi qu’un salaire minimum européen. Yannick Jadot, qui était favorable à titre personnel à la ratification du pacte de stabilité en 2012, souhaite convoquer une assemblée constituante pour supplanter les traités actuels. Les supporters de Jean-Luc Mélenchon veulent frapper beaucoup plus fort en renégociant tous les traités. En cas d’échec, ils ont inscrit à leur programme le rétablissement des frontières nationales sur les capitaux et les marchandises. « Si on ne va pas au bout des choses en disant qu’on désobéit en cas d’échec, tous les grands mots d’ordre restent du vent », prévient Guillaume Etiévant. « Nous avons deux visions de la démocratie qui sont irréconciliables sur la manière de faire pour arriver à ces objectifs. Ce n’est pas accessoire », tranche de son côté Alexis Braud, directeur de campagne de Yannick Jadot.

Les trois candidats de gauche se rejoignent aussi sur les grandes lignes de leur politique économique : fin de l’austérité, hausse du Smic, réduction du temps de travail, encadrement de la finance, fin des traités de libre-échange (Tafta et Ceta), accroissement du contrôle des salariés sur leur entreprise, abrogation de la loi travail, lutte contre l’ubérisation. Mais avec des nuances de taille d’un programme à l’autre. Celui de Jean-Luc Mélenchon est arc-bouté sur la puissance publique. Il fait une place prépondérante à la Sécurité sociale (remboursement de tous les soins, même pour les travailleurs indépendants) et revendique une série de renationalisations (EDF, industrie pharmaceutique, autoroutes, chantiers navals, etc.) ainsi que l’arrêt des partenariats public-privé. Les deux autres candidats sont moins prolixes sur ce marqueur important pour une partie de la gauche. « Benoît Hamon va reprendre les positions d’Arnaud Montebourg, qui est favorable à des renationalisations partielles, pronostique Jérôme Gleizes, économiste et membre d’EELV. C’est un sujet plus conflictuel chez EELV, car nous dénonçons surtout le productivisme des grandes entreprises, qu’elles soient publiques ou privées. »

Sur le dossier emblématique du revenu universel, la bataille homérique qu’il soulève semble plus problématique encore. « C’est une question théorique importante qui agite la gauche depuis longtemps, note Jérôme Gleizes, favorable à la proposition. Elle touche à la valeur travail. » La France insoumise dénonce un « revenu de misère » et y oppose la poursuite du plein-emploi, grâce à l’État « employeur en dernier ressort ». Benoît Hamon et EELV invoquent un projet émancipateur et un « nouveau pilier de protection sociale ». Mais, si ces deux visions s’opposent, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon proposent à court terme, sous des appellations différentes, deux mesures comparables. Le « revenu universel » de Benoît Hamon (750 euros pour tous les 18-25 ans) ressemble à « l’allocation d’autonomie » de Jean-Luc Mélenchon. À la différence – certes importante – que le candidat de la France insoumise la propose « sous conditions de ressources ».

Les trois candidats partagent également une même bannière, celle de la 6e République. L’ambition : rompre avec un régime « monarchique » et redonner du pouvoir aux citoyens. Ils défendent chacun à leur façon une transition vers un régime parlementaire, avec un cumul des mandats limité dans le temps et une assemblée élue à la proportionnelle (intégrale pour Jadot et Mélenchon, partielle pour Hamon). Mais, dans le détail, chaque famille avance ses propres billes. « 49-3 citoyen » pour Benoît Hamon (1 % du corps électoral pourra imposer ou suspendre l’examen d’une loi). Création d’un poste de vice-Premier ministre au Développement durable, pour Yannick Jadot. Vote obligatoire, dès 16 ans, chez Jean-Luc Mélenchon. Toutes ces ambitions ne semblent pas contradictoires, mais la France insoumise considère que sa version de la réforme constitutionnelle n’est pas soluble dans le projet des deux autres candidats. Car elle a placé la convocation d’une assemblée constituante en son cœur.

Jean-Luc Mélenchon essuie en retour des critiques sur le volet international et sa condamnation, jugée molle, des bombardements russes en Syrie. « Mélenchon défend la realpolitik, c’est pour cela qu’il est favorable à un accord avec la Russie », analyse Jérôme Gleizes, qui y voit un point de blocage important. Dans son programme, Jean-Luc Mélenchon juge prioritaire la lutte contre Daech, par une coalition internationale sous mandat de l’ONU, et prône l’organisation d’élections libres en Syrie une fois la paix revenue, mais il ne cible pas Bachar Al-Assad. Et essuie des critiques sur l’accueil des réfugiés face aux propositions volontaristes de Benoît Hamon (création d’un visa humanitaire pour accueillir les personnes en situation de détresse). Le programme de la France insoumise ne va pas si loin, bien qu’il préconise un renforcement des moyens de sauvetage, d’accueil, d’asile et d’aide au retour.

Au total, les points de convergence semblent suffisants pour faire éclore une plateforme convaincante de revendications. « Connaissant Hamon et ses proches, je suis persuadé que nous pouvons tomber d’accord sur le fond, mais je ne pense pas qu’une majorité des électeurs de gauche redonnera sa chance au Parti socialiste, analyse l’économiste Liêm Hoang-Ngoc, qui a quitté le PS en 2015 pour créer son propre mouvement et rejoindre la France insoumise. La bonne nouvelle, c’est qu’on a gagné la bataille culturelle », résume l’ancien eurodéputé.

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