Pour la Saint-Valentin, un collectif de féministes dénonce les faux crimes passionnels

Devant la banalisation des meurtres de femmes dans le couple et le silence médiatique, des associations appellent à une prise de conscience.

Malika Butzbach  • 14 février 2017 abonné·es
Pour la Saint-Valentin, un collectif de féministes dénonce les faux crimes passionnels
© Photos : Malika Butzbach

Le 14 février, six femmes interpellent les passants devant le Palais de Justice de Paris, sur l’île de la Cité. Leur maquillage rouge et noir représente les blessures des 119 femmes tuées par leur compagnon en 2016. « La Saint-Valentin, la fête du couple et de l’amour. Mais en couple et en amour, ça ne se passe pas toujours bien, annonce Pauline Arrighi. On a choisi la date par provocation. Mais le but est de saisir toutes les occasions pour parler de ce sujet. Le 25 novembre, Journée internationale contre les violences faites aux femmes, c’est bien mais c’est uniquement une fois par an. » En novembre 2016, la jeune femme a fondé Ilsnoustuent.org, qui recense les meurtres de femmes par leur mari ou ex-compagnon.

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Des chiffres édifiants et une médiatisation pitoyable

Sur le sol, des affichettes avec les noms et dates des victimes de féminicide durant l’année 2016 font office de cimetière. Il y en a 119, et encore, ce ne sont que les cas dont les journaux se sont fait l’écho. Les militantes énumèrent les chiffres : 47 femmes tuées par arme à feu, 37 tuées par arme blanche, 17 battues à mort. D’autres ont été étranglées, étouffées, défenestrées, égorgées, brulées vives, écrasées… « Est-ce par amour que l’on donne quinze coups de couteaux à sa femme puis qu’on la traîne dans la cave pour la laisser se vider de son sang ? Est-ce par passion que l’on égorge son ex devant ses propres enfants ? », lance Pauline, dont le visage est caché d’un voile de mariée noir.

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« Il y a une glamorisation des violences conjugales, explique Betty Lachgar, cofondatrice du mouvement Mali. Cette idée que la violence de l’homme, c’est par amour, c’est romantique… » Le collectif dénonce aussi le traitement médiatique de ces meurtres. Lors d’une précédente campagne, Osez le féminisme a créé un bingo du féminicide dans les médias. Non, il ne s’agit pas de « crime passionnel », de « coup de folie » ou d’un « drame familial »…

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La justice à la traîne

La notion de féminicide, soit le meurtre d’une femme à cause de sa condition de femme, est une lutte importante en Amérique latine. En France, le contexte est différent, car ces crimes sont inscrits dans le cadre du couple. Ce qui explique pourquoi cette notion est absente du droit français. L’article 132-80 du Code pénal définit le lien entre le ou la meurtrier-ère et sa victime comme circonstance aggravante, mais « le droit ne prend pas en compte la dimension misogyne de ces meurtres », explique Fatima Benomar de l’association Les efFRONTé-e-s. C’est pour cela que nous sommes devant le tribunal de grande instance de Paris, pour adresser un message à la justice. »

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Les militantes revendiquent la judiciarisation de ces violences et s’opposent notamment au recours à la médiation, option choisie dans la grande majorité des cas. « Le terme même de médiation est hypocrite car il sous-entend qu’il y a conflit, donc réciprocité. Elle est où la réciprocité lorsqu’un homme bat sa femme ? », s’insurge Pauline Arrighi. À côté d’elle, Fatima accuse la France de ne pas respecter la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte de la violence a l’égard des femmes et la violence domestique, qui interdit la médiation. « Pourtant, le pays a ratifié cette convention. Mais bon, dans un pays où les droits des femmes concernent 0,0066 % du budget de l’État … »

Vingt-cinq décès en moins de deux mois

« Il y a quelques prises de conscience, dans les cas où la femme se défend, mais globalement il n’y a aucune prise de conscience de la société sur ces sujets », déplore la jeune Marocaine, un poignard en papier fiché coincé dans la bretelle de sa robe. Si elle dénonce notamment l’absence de subvention pour les structures d’accompagnement et le manque de formations des professionnels – « justice comme police » –, elle pointe surtout les mentalités françaises. « On l’a vu dans le cas de Jacqueline Sauvage : tout le village était au courant ! Mais c’est considéré comme des affaires privées … C’est quand même dingue ça, cette forme de tolérance envers ces violences. » En attendant, ce dimanche 12 février, le site Ilsnoustuent.org décomptait la 25e victime de l’année 2017.

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