Pour un droit à l’alternative

Des économistes réfutent la prétention scientiste de deux de leurs confrères.

Denis Sieffert  • 29 mars 2017 abonné·es
Pour un droit à l’alternative
© photo : Simon Guillemin/AFP

C’est un indispensable petit livre de combat que nous proposent les Éditions du Croquant, qui ont réuni un collectif d’économistes atterrés, ou à tout le moins hétérodoxes, dont certains bien connus de nos lecteurs. Les auteurs accomplissent une œuvre de salubrité démocratique en répondant à une entreprise plus que contestable menée en septembre 2016 par deux de leurs confrères, Pierre Cahuc et André Zylberberg. Le propos de ces derniers visait à faire passer l’économie pour ce qu’elle n’est pas, c’est-à-dire une science dure qui rendrait les politiques austéritaires aussi incontestables que la rotondité de la Terre. L’imposture – car c’en est une – avait reçu un accueil évidemment enthousiaste dans de nombreux médias. S’ils avaient voulu témoigner de la rigueur dont ils se réclament, les deux pamphlétaires auraient déjà évité de qualifier de « négationnistes » tous ceux qui dénoncent la dérégulation financière et le creusement des inégalités. La tonalité de la réplique est heureusement tout autre. Ni polémique ni violence verbale, mais une patiente démonstration et de solides arguments.

Les auteurs pilonnent sous tous les angles l’idée selon laquelle l’économie serait devenue une « science expérimentale ». André Orléan dénonce d’abord le caractère sélectif des sources des deux auteurs et leur aptitude à éliminer les études qui ne servent pas leur cause. Arthur Jatteau démontre que la méthode expérimentale ne peut s’appliquer à l’économie comme elle s’applique à la pharmacologie. On n’éprouve pas une politique économique comme un médicament, avec un groupe test et un placebo… Anne Eydoux et Thomas Coutrot mettent en évidence l’inanité de cette prétention à « faire science » au travers du débat sur la réduction du temps de travail. « Contrairement à la vision scientiste, observe Coutrot, l’impact des 35 heures sur l’emploi a certes dépendu des paramètres économiques des entreprises, mais aussi des stratégies politiques éminemment diverses des acteurs : État, dirigeants, syndicats, salariés… » Autrement dit, Cahuc et Zylberberg ont oublié l’humain. Car l’enjeu de la controverse est évidemment politique. En affirmant qu’il n’y aurait pas d’alternative au libéralisme, c’est le plus élémentaire droit au pluralisme qu’ils mettent en cause. Revoilà le fantasme de « la fin de l’histoire » ! Mais Agnès Labrousse leur adresse un reproche plus cruel encore. Non seulement Cahuc et Zylberberg nient la dimension humaine de l’économie, mais ils abîment cette science dont ils se réclament. Ils la réduisent, écrit-elle, à une « vision moniste » qui repose sur une « épistémologie naïve ». Au total, la réplique des économistes atterrés remet le discours des deux polémistes à sa place : le dernier râle de la pensée unique. Ou, comme le dit Daniel Schneidermann en guise de conclusion, une assez vulgaire tentative de « zemmourisation de l’économie ».

Misère du scientisme en économie, coordonné par Benjamin Coriat, Thomas Coutrot, Anne Eydoux, Agnès Labrousse, André Orléan, Éd. du Croquant, 133 p., 8 euros.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Michaël Fœssel : « Nous sommes entrés dans un processus de fascisation »
Entretien 24 avril 2025

Michaël Fœssel : « Nous sommes entrés dans un processus de fascisation »

Dans Une étrange victoire, écrit avec le sociologue Étienne Ollion, Michaël Fœssel décrit la progression des idées réactionnaires et nationalistes dans les esprits et le débat public, tout en soulignant la singularité de l’extrême droite actuelle, qui se pare des habits du progressisme.
Par Olivier Doubre
Rose Lamy : « La gauche doit renouer avec ceux qu’elle considère comme des ‘beaufs’ »
Entretien 23 avril 2025 libéré

Rose Lamy : « La gauche doit renouer avec ceux qu’elle considère comme des ‘beaufs’ »

Après s’être attaquée aux discours sexistes dans les médias et à la figure du bon père de famille, l’autrice met en lumière les biais classistes à gauche. Avec Ascendant beauf, elle plaide pour réinstaurer le dialogue entre son camp politique et les classes populaires.
Par Hugo Boursier
Sur le protectionnisme, les gauches entrent en transition
Idées 23 avril 2025 abonné·es

Sur le protectionnisme, les gauches entrent en transition

Inflexion idéologique chez les sociaux-démocrates, victoire culturelle pour la gauche radicale… Face à la guerre commerciale de Donald Trump, toutes les chapelles de la gauche convergent vers un discours protectionniste, avec des différences.
Par Lucas Sarafian
Médecine alternative : l’ombre sectaire
Idées 16 avril 2025 abonné·es

Médecine alternative : l’ombre sectaire

Un rapport de la Miviludes met en lumière un phénomène inquiétant. Depuis la pandémie de covid-19, l’attrait pour les soins non conventionnels s’est accru, au risque de dérives dangereuses, voire mortelles.
Par Juliette Heinzlef