Pour une révolution copernicienne au profit de l’enseignement professionnel

L’enseignement professionnel doit être placé au centre du projet éducatif. Un retournement de perspective est nécessaire pour qu’il puisse jouer véritablement un rôle de promotion sociale des catégories populaires.

Francis Daspe  • 3 avril 2017
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Pour une révolution copernicienne au profit de l’enseignement professionnel
© photo : VOISIN / PHANIE / AFP

L’enseignement professionnel fait indiscutablement office de parent pauvre de notre système éducatif : souvent négligé, parfois stigmatisé, il doit continuellement faire face à un mépris de classe et à des préjugés défavorables. C’est ainsi qu’il passe régulièrement au second plan dans les projets de réforme, en dehors dans le meilleur des cas de quelques références compassionnelles de mauvais aloi en raison de leur décalage avec la réalité. L’actuelle campagne présidentielle n’échappe pas à cette règle.

Francis Daspe est président de la commission nationale éducation du Parti de gauche et coauteur du livre Manifeste pour l’école de la 6e République (éditions du Croquant, août 2016).

Nous souhaitons sortir de cette vision réductrice. Nous sommes persuadés que toute amélioration du système éducatif passe inévitablement par une prise en considération prioritaire de l’enseignement professionnel. À condition bien entendu de dépasser la vieille antienne de la prétendue revalorisation de la voie professionnelle qui s’est traduite la plupart du temps dans les faits par son affaiblissement, aux antipodes des objectifs proclamés non sans démagogie.

Plusieurs raisons incitent à opérer ce retournement de perspective. La voie professionnelle cristallise enjeux majeurs et principales dérives caractérisant le devenir de l’École de la République. 

Plus qu’aucun autre secteur, elle est au cœur de l’impératif de promotion des catégories populaires que tout projet de société réellement progressiste se doit de porter résolument. Sans quoi l’objectif d’émancipation, tant individuelle que collective, s’inscrivant dans la filiation de la philosophie des Lumières n’aurait guère de substance à offrir. Rappelons que l’enseignement professionnel scolarise environ 30 % des lycéens, issus en majorité des catégories socioprofessionnelles les plus modestes.

La voie professionnelle est aussi concernée au premier chef par la redoutable hypothèque libérale s’incarnant dans la double volonté de désengagement de l’État et de marchandisation de l’éducation. Son coût étant jugé trop élevé, les suppressions de postes et de filières s’abattent sans discontinuer, au prix la plupart du temps d’un appauvrissement de la qualité des formations dispensées. 

Minimalisme étroit d’une part, avec des savoirs constamment révisés à la baisse, et utilitarisme cynique d’autre part, en vue de fournir à moindre coût à des entreprises mues par la recherche d’un profit maximal une main-d’œuvre se caractérisant par son degré de flexibilité et « d’employabilité », ont été insidieusement élevés au rang de dogmes. Les fermetures de lycées professionnels de l’ère Sarkozy se sont poursuivies sous le quinquennat Hollande : presque 40 depuis 2012.

Désenclaver l’orientation

Un ensemble de mesures est à prendre simultanément afin de modifier l’édifice. Nous attirons l’attention sur le fait que ces mesures doivent concerner tout autant les années passées dans la voie professionnelle que celles qui les précèdent ou leur succèdent. 

Nous ne dirons jamais assez à quel point nous sommes intimement convaincus que la résolution des problèmes affectant le collège unique, considéré généralement comme le maillon faible, passe notamment par une prise en main résolue de la voie professionnelle dans le but de la revaloriser véritablement en la faisant sortir de son ghetto dans lequel on la laisse se débattre. 

C’est ainsi qu’il existe une condition indépassable pour véritablement promouvoir l’enseignement professionnel. Il n’est plus possible que les premiers élèves à s’engager dans la voie professionnelle soient les « indésirables » du collège dont on veuille se délester urgemment. L’allongement de la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans permettra de désenclaver l’orientation sur une période plus longue afin d’en supprimer, ou à tout le moins en réduire, les choix par défaut qui minent le quotidien des lycées professionnels.

Le retrait de la réforme du bac pro en trois ans, pour revenir à quatre ans, constitue pareillement un préalable, la réforme Darcos n’ayant pas été abrogée. La continuité entre les deux derniers quinquennats s’incarne dans les renoncements des gouvernements de François Hollande. L’enjeu est d’y maintenir un niveau d’exigences suffisant afin de rendre viables les indispensables passerelles, si l’on veut réellement désenclaver l’enseignement professionnel.

La création d’une filière polytechnique doit se matérialiser par un renforcement des liens vers les BTS et une plus grande ouverture aux licences professionnelles. La formation professionnelle doit constituer un prolongement naturel à ces efforts de transformer l’enseignement professionnel en outil de promotion sociale des catégories les plus modestes. L’opposition stérile et factice entre formation initiale et formation continue est à remiser au placard : elle a été notoirement instrumentalisée, ne servant jusqu’à présent que de justificatif commode pour réduire à la portion congrue l’une ou l’autre au gré des soucis fluctuants d’économies budgétaires.

L’école ne peut masquer les insuffisances de la volonté politique

Il apparaît nécessaire procéder à une « révolution copernicienne » dans le projet éducatif en plaçant l’enseignement professionnel au centre des préoccupations. Celui-ci doit être appréhendé comme ce qu’il n’a jamais réellement été aux yeux des différents gouvernements qui se sont succédé, à l’exception de la création des baccalauréats professionnels au milieu des années 1980 et du passage de Jean-Luc Mélenchon au ministère de l’Enseignement professionnel : un levier et une finalité à la fois. Il ne peut plus être décemment considéré comme une voie de garage infamante destinée à trier et à canaliser la force de travail plus ou moins qualifiée mise à disposition du marché.

Il n’est pas question non plus de tomber dans le piège du slogan présentant « l’École comme son propre recours » : si l’École peut beaucoup à condition qu’on lui en donne les moyens, elle ne peut pas tout, et surtout pas masquer les insuffisances de la volonté du politique. Les problématiques soulevées dépendent aussi des orientations prises en matière de politique salariale ou industrielle et de l’amélioration des métiers des ouvriers ou des techniciens. 

Tout projet pour l’école s’inscrit au cœur d’un projet de société, et non l’inverse. L’école ne doit pas se substituer à l’absence d’un projet de société, ou à son indétermination suspecte, ou pire à l’existence d’un projet de classe qui n’est pas le nôtre. C’est de cela que souffre l’enseignement professionnel. Nous entendons prendre le problème à bras-le-corps et y remédier par l’engagement de cette révolution copernicienne.

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