Une soirée électorale entre faux suspens et ennui

Devant leur télé, les amateurs de propos creux et de clichés indéfiniment répétés auront été servis.

Jean-Claude Renard  • 23 avril 2017
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Une soirée électorale entre faux suspens et ennui
© photo : Eric FEFERBERG / POOL / AFP

À vos marques ! Prêts ? Partez ! Toutes les chaînes sont sur le pont. La première à dégoupiller, c’est CNews (ex-iTélé), avec Audrey Pulvar, dès 16h45, suivie de BFMTV à 18h avec Alain Marshall et Ruth Elkrief, entourés d’un pluralisme étincelant et inédit (Éric Brunet, Christophe Barbier, Hervé Gattegno, Anna Cabana). Sur le service public, on a pris l’antenne à 18h30, avec Laurent Delahousse, Marie-Sophie Lacarrau, David Pujadas et Léa Salamé. Un communiqué a annoncé que « France 2 sera au rendez-vous de cette nuit où le destin d’un pays bascule ». Rien que ça ! De son côté, France 3 a préparé une édition spéciale pour son 19/20, puis un retour à 22h30.

28,54 %, c’est le chiffre que répète sans cesse iTélé, le taux de participation mesuré à 12h. C’est la seule chose que la chaîne d’info continue puisse livrer. Avec 47 millions d’électeurs, et des bureaux de vote ouverts jusqu’à 19h dans les petites villes. On a envoyé des reporters un peu partout pour saisir l’ambiance. Ça tourne très vite en rond, forcément. BFMTV ne fait pas mieux. On poireaute devant les QG de campagne, on glose sur un scrutin à « haut risque », sur l’abstention, estimée à 19 %, sur la participation à 17h, mesurée à 69,42 %. Pour Le Gorafi, déjà « plusieurs millions d’électeurs sont suspectés de vouloir influencer le résultat de l’élection en allant voter ».

Sur TF1, c’est, à 18h45, avec Anne-Claire Coudray, Gilles Bouleau, Christophe Jakubyszyn et Édouard Lecerf, directeur général de Kantar-Sofres. Sur CNews, c’est un relai entre Audrey Pulvar et Laurence Ferrari, entourées notamment de Jean-Pierre Elkabbach et PPDA.

Remplir le vide

Sur tous les plateaux, ce sont les mêmes dispositifs (France Télévisions et BFM ont envoyé ainsi un reporter à Hénin-Beaumont). Il s’agit de remplir le vide, en rabâchant combien pèsent les incertitudes à cause de la fermeture des bureaux de vote à 19h et d’une confrontation inédite entre les candidats.

À 19h, « le compte à rebours est clairement lancé », s’exclame Laurent Delahousse. « Combien seront-ils à 20h ? Deux ou trois candidats ? » Une campagne « à nulle autre pareille », renchérit Alain Marshall sur BFM. « Incroyablement romanesque », surenchérit Anna Cabana. Tandis que le sondologue maison brille dans la prédiction : « Pour ceux qui ne seront pas qualifiés, la suite sera difficile. » Fallait y penser. « Et il y a de très nombreuses questions autour du sort de François Fillon », prévient Ruth Elkrief. « Fillon a un esprit de résistance, jusqu’au bout, il a voulu y croire », reprend à 19h16 Anna Cabana. Aurait-elle déjà des chiffres cachés ? Certains circulent depuis 19h : selon le ministère de l’Intérieur, Macron est à 23/24 ; Le Pen et Fillon à 20 ; Mélenchon à 18… Le suspens est haletant. Dans le même temps, Louis Laforge sur FranceTV Info ne parle pas de « résultats », mais de « révélations ».

À 19h30, sur France 2, selon Brice Teinturier, l’abstention grimpe à 23 %. 20 minutes avant 20h, « la tension monte dans les QG », affiche un bandeau de CNews. BFM a choisi de se caler dans la roue de Fillon pour « nous faire vivre son arrivée [à son QG] en direct ».

Gérard Collomb endort le téléspectateur

20h. Tombent les résultats. Sur France 2, Macron est crédité de 23,7%, Le Pen de 21,7%, Fillon et Mélenchon de 19,5 %. Benoît Hamon n’existe plus. C’est à peu près la même chose sur BFM. Invité sur France 2, Laurent Wauquiez dit : « On paye cher les affaires ». Combien déjà ?

Pour Hamon, le premier à reconnaître sa défaite, très digne, il n’empêche, « la gauche n’est pas morte », et demande une « gauche féconde pour demain ». En attendant, il se range du côté de Macron. Sur France 2, Gérard Collomb endort le téléspectateur, Raffarin montre son bronzage. Ça débat mollement entre seconds couteaux. C’est au diapason de ce qui suivra.

Sans être invité sur les plateaux, Valls s’invite à travers Twitter en maintenant son soutien à Macron. Sur TF1, Stéphane Le Foll a choisi le même camp, au milieu d’un afflux de micro-trottoirs. Sur France 2, Retailleau cherche ses mots, ou plutôt la position de Fillon avant de se prononcer pour la suite. Il ne sera pas ministre, il le sait déjà. Ça arrive, justement. « Le moment venu, la vérité de cette élection sera écrite », estime François Fillon, s’exprimant toujours sans gilet pare-balles. Son courage ne l’aura pas sauvé.

Quand la chaîne sort de son plateau, c’est pour donner la parole à des électeurs qui ressemblent à des clowns. À l’occasion de l’intervention de Marine Le Pen, on observe que seul le sexe masculin l’entoure. Sur BFM, Christophe Barbier est déjà dans la sentence : « On a incontestablement une révolution française ce soir. » Ça ne changera rien à l’ennui à suivre.

Emmanuel Macron arrive en rock star

À 21h20, Dupont-Aignan s’avance. Sur France 2, le son est inaudible. C’est à peine mieux sur CNews. Il est sûrement à deux voix de se faire rembourser ses comptes de campagne, mais on ne l’entend pas. Sur CNews, Laurence Ferrari lui coupe même le sifflet. C’est un peu à l’image des micro-trottoirs qui ont lieu sur toutes les chaînes. Sans enthousiasme. On sent bien que les chaînes créent le suspens pour retenir le téléspectateur.

« Priorité au direct », dit Léa Salamé, alors qu’on est justement en direct depuis 18h30. C’est juste le QG de Marine Le Pen où de jeunes filles en minijupes se trémoussent. Chez Macron, on entend du Rihanna. À 21h47, Macron sort un bras de la fenêtre de sa voiture, son alliance brille comme ses boutons de manchette. Il signe des autographes. Patrick Bruel ne ferait pas mieux.

À 21h54, Jean-Luc Mélenchon s’exprime enfin « sur son beau pays ». « Visage fermé et sombre », dit Pujadas. Dans la foulée, Julien Dray vise déjà un ministère. À 22h10, Brice Teinturier lance les sondages du second tour. Macron prend son temps avant de prendre le micro. Sur BFM, Hervé Gattegno ne comprend pas la position de Mélenchon qui temporise.

À 22h19, Emmanuel Macron arrive en rock star. Il a des mimiques de Sarkozy, reprend tous les codes d’une victoire déjà acquise. Il ne cite pas, à un seul moment, Marine Le Pen dans le lot de ses adversaires, en profite pour livrer deux occurrences du terme « patriote » dans son allocution. C’est toujours bon à prendre. À 23h04, sur France 2, Philippe Poutou dénonce « deux visages du capitalisme au deuxième tour », tandis qu’on annonce que Macron file au resto.

La chaîne garde l’antenne, pour mieux se répéter. Sur TF1, on a déjà rendu l’antenne depuis un moment pour la série « Esprits criminels ». Il est temps que la soirée s’achève.

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