Parti Vetëvendosje du Kosovo : « Nous sommes un mouvement incorruptible »

Le parti Vetëvendosje, issu d’un mouvement citoyen, dirigé par Albin Kurti, pourrait incarner un renouveau politique de gauche au Kosovo. Verbatim.

Hugo Boursier  et  Hervé Bossy (collectif Focus)  • 21 février 2018 abonné·es
Parti Vetëvendosje du Kosovo : « Nous sommes un mouvement incorruptible »
© photo : Armend NIMANI/AFP

Lors des élections législatives du 11 juin 2017, Vetëvendosje a doublé son nombre de sièges, passant de 16 à 32. Nous avons obtenu plus de 200 000 votes. Grâce à la confiance de nos concitoyens, nous sommes devenus le premier parti d’opposition. Quelles sont les raisons de ce succès ? Contrairement aux partis traditionnels, nous ne limitons pas notre action politique au simple cadre de la démocratie représentative, qui ne porte d’intérêt pour le peuple qu’en période électorale. La citoyenneté ne doit pas reposer sur un unique bulletin de vote glissé dans l’urne tous les quatre ans. C’est un engagement constant, et il est rendu possible par notre forme originelle, celle d’un mouvement dans une grande proximité avec les gens. Nous avons aussi la particularité d’être un parti social-démocrate, ce qui est une exception : depuis la fin de la guerre, tous les gouvernements appartiennent à la droite libérale. Nous souhaitons garantir aux concitoyens un développement économique fondé sur la justice sociale, en reprenant notamment le contrôle de notre industrie. Notre pays est actuellement contraint à des importations dix fois plus importantes que les exportations. Cela doit s’accompagner d’un impôt progressif et d’un système de sécurité sociale pour toutes et tous.

Le fait que nous sommes un mouvement incorruptible séduit la jeunesse et semble lui redonner confiance en la politique. Cela fait partie de notre histoire et des idéaux que l’on porte pour l’avenir du Kosovo. Notre priorité est de faire valoir l’intérêt général avant nos intérêts particuliers. Le peuple kosovar est habitué à ce que les dirigeants qu’il élit ne tiennent aucune promesse ! Nous refusons cette attitude clientéliste, et nous avons la volonté de placer l’éthique au cœur de la politique. Pendant trop longtemps, notre démocratie n’a été qu’un mauvais jeu de rôles, où il suffisait de retourner sa veste au moment opportun. C’est aussi notre ténacité qui a payé avec ces dernières élections. Il faut savoir être patient en politique, et ne pas se décourager dans l’affirmation et l’explication récurrentes de ses idées.

Ainsi en est-il du qualificatif « nationaliste », qui est utilisé par certains observateurs pour définir notre idéologie. Mais nombre d’entre eux ont tendance à accoler une étiquette pour éviter toute réflexion. Or il est nécessaire d’analyser concrètement une situation dans son contexte. Frantz Fanon était nationaliste dans sa lutte pour la décolonisation de l’Algérie. Charles de Gaulle peut être vu comme un nationaliste, tout comme Marine Le Pen, qui se pense aussi comme telle. Pourtant, je doute qu’il existe une quelconque similarité entre ces trois personnes ! Vetëvendosje est un mouvement politique qui considère que les concepts de « Nation » et d’« État » ne doivent pas être réservés à la droite. Je pense qu’il est nécessaire d’avoir une vision de gauche de la nation.

L’explication de notre intransigeance avec la Serbie serait, pour ces mêmes observateurs, celle de ce fameux « nationalisme ». Il faut être précis. Je ne suis pas contre le principe du dialogue, mais contre un dialogue sans principes. Les négociations avec Belgrade nous ont beaucoup coûté. Depuis 2007, leurs gouvernements n’ont pas respecté plusieurs engagements, notamment la construction de postes de frontière. La Serbie a encore une forte influence dans nos institutions, et a activement milité contre notre adhésion à l’Unesco. Il est injuste de conditionner notre intégration dans l’UE à la « normalisation » de ce dialogue, dont il faudrait reprendre les bases. D’autant plus que Vetëvendosje est favorable à cette adhésion ! Pour nous, le modèle européen doit être défendu. Il repose sur trois piliers : la paix par l’antifascisme, le bien-être des citoyens, et la protection de l’environnement. Et ces piliers sont en train de vaciller. Nous ne devons pas abandonner ces idéaux, tout comme celui d’une Europe sociale, bâtie dans une nouvelle Constitution européenne.

Albin Kurti 42 ans, fondateur et actuel président de Vetëvendosje (littéralement « Autodétermination »).

Monde
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