À peine un tiers du chemin vers la transition

Les avancées du projet de loi sur les mobilités sont très insuffisantes pour lutter contre le dérèglement climatique et la réduction des inégalités sociales, jugent les associations.

Patrick Piro  • 14 novembre 2018 abonné·es
À peine un tiers du chemin vers la transition
© photo : La Journée sans voitures à Paris, le 15 septembre 2018.FRANCOIS GUILLOT/AFP

Du Macron tout craché. La fronde des gilets jaunes prend-elle de l’ampleur ? Il confirme que le gouvernement tiendra bon sur la hausse des taxes sur les carburants. Mais, « en même temps » qu’il semble vouloir freiner le transport routier, il appuie sur le champignon, prêt à muscler le chèque énergie pour apaiser la colère. Et vendredi dernier, en pleine « itinérance mémorielle », le Président sort de sa manche l’annonce d’une baisse « drastique » du coût du permis de conduire. Un atout à double effet : une mesure pour les jeunes mais aussi pour le portefeuille de bon nombre de parents.

« C’est une voie tout à fait malheureuse, estime Jean Sivardière, vice-président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut). Alors qu’il faudrait réduire la dépendance à la voiture individuelle, ce type d’aide en conforte l’usage. » Le transport routier est utilisé pour 80 % des flux intérieurs de passagers (et 90 % pour le fret), proportion inchangée depuis trente ans, et propulsé à 95 % par des carburants fossiles. Si l’on ajoute à cela l’attachement que les Français lui vouent, on comprend pourquoi le secteur des transports est le plus rétif de tous aux évolutions qu’impose la transition énergétique.

Le Réseau action climat (RAC-France), qui fédère une trentaine d’associations, a publié en mai dernier sa feuille de route, contrepoint au projet de loi d’orientation sur les mobilités (LOM) du gouvernement, qui doit être présenté le 21 novembre en conseil des ministres.

La stratégie associative s’articule autour de trois axes : une réorganisation de l’espace en vue de limiter l’étalement urbain et les besoins en déplacements (dont découle le choix des modes de transport) ; une amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules (sobriété, passage aux énergies renouvelables) ; et une -évolution des comportements afin de réorienter les usages vers le ferroviaire et le fluvial pour le fret, les transports en commun, le vélo et la marche pour les personnes.

Le RAC a établi un tableau de bord pour mesurer l’écart entre la politique gouvernementale et son plan, qu’il présente comme pleinement cohérent avec la transition énergétique. Le résultat n’est pas brillant : selon l’association, les mesures annoncées ne permettent de parcourir qu’un tiers seulement du chemin pour enrayer le dérèglement climatique dû aux transports.

Le volet santé est le seul à recueillir une appréciation supérieure à la moyenne. La LOM prévoit pour les villes les plus polluées l’instauration de zones « à faible émission ». Mais l’obligation est cependant limitée. Et si la baisse à 80 km/h de la vitesse maximum sur route contribue à la qualité de l’air, « on ne parle plus du tout de l’écoconduite, regrette Jean Sivardière. Des gestes qui permettent pourtant jusqu’à 20 % de réduction sur la consommation de carburant. »

Un plan vélo inédit de 350 millions d’euros sur sept ans entre en vigueur, mais il est quatre fois moins ambitieux que celui du RAC et la contribution des employeurs pour les trajets domicile-travail demeure facultative ; l’aide aux versions électriquement assistées est anecdotique, etc.

« Il existe des incitations efficaces pour remplacer son véhicule par un modèle moins polluant, mais très peu pour faciliter les changements de mode de transport, souligne Lorelei Limousin, qui suit le dossier pour le RAC. Nous préconisons une prime à la mobilité durable qui faciliterait l’accès à un abonnement aux transports en commun, à l’autopartage, au vélo électrique, etc. » Les Français sont 40 % à prendre la voiture pour un trajet urbain inférieur à cinq kilomètres.

On est loin du compte pour les investissements dans les transports en commun, affirme le RAC, qui place l’aiguille de satisfaction à 37 % sur ce point. « Les derniers appels à projets datent de 2015 », relève Lorelei Limousin. Et les pôles de report modal (échange voiture-train-vélo, par exemple) ne sont pas la priorité. « Il faut pourtant faciliter l’accès des habitants des zones périurbaines et rurales aux stations de transport en commun », insiste Jean Sivardière, et accroître le maillage des modes (bus, transport à la demande, etc.). « On ne parle pas forcément d’opérations lourdes, précise Pierre Serne, ancien élu régional écologiste et spécialiste des transports de la région Île-de-France. L’objectif, pensons-nous, serait de mettre tout habitant à moins de dix minutes d’une station de transport en commun. »

Ainsi, le RAC accorde également la note de 37 % aux progrès dans la réduction de la fracture territoriale. Les territoires devront certes disposer d’une « autorité organisatrice de la mobilité », mais elle ne sera pas obligatoire pour ceux de moins de 100 000 habitants. Et rien n’indique que leurs plans devront viser la neutralité carbone. Signal négatif, « le gouvernement a enclenché un plan de désenclavement routier, mais il investit a minima pour l’entretien du réseau ferré », déplore le RAC. C’est particulièrement visible avec l’abandon progressif des petites lignes de train. Abandon que l’on a organisé, renchérit Jean Sivardière. « Or des études montrent qu’elles sont rentables moyennant une bonne gestion. La pertinence économique du rail est largement sous-estimée. » Des exemples le démontrent en Suisse, dans le land allemand du Bade-Wurtemberg, et même en Bretagne.

Enfin, c’est un cinglant 0 % au chapitre de la protection des ressources naturelles, quand le RAC juge qu’elle devrait chapeauter toute politique de mobilité. « Le gouvernement est en pleine contradiction » avec les objectifs de la transition énergétique, pointe l’association, qui rappelle qu’il s’accroche à plusieurs projets de grandes artères et de nouvelles autoroutes, souvent contestées localement pour leur impact environnemental. « Nous réclamons l’instauration d’une “règle d’or climat” qui imposerait à tout projet d’infrastructure le respect des objectifs de la transition », expose Lorelei Limousin. À ce jour, il n’en est nullement question dans le projet de loi.

Écologie
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