La pénalisation des clients de prostituées jugée conforme à la Constitution

Les travailleuses du sexe sont de nouveau face au mur. Cinq prostituées réclamaient l’abrogation de la pénalisation des clients au Conseil constitutionnel. Les juges ont déclaré cette mesure conforme à la Constitution ce vendredi 1er février.

Romain Haillard  • 1 février 2019
Partager :
La pénalisation des clients de prostituées jugée conforme à la Constitution
© Crédit photo : Estelle Ruiz/Nurphoto

Une défaite sans résignation. Ce vendredi 1er février, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution la pénalisation des clients de prostituées. Au siège parisien de Médecins du Monde (MdM), association positionnée contre cette mesure, où se tenait ce matin une conférence de presse, la décision échauffe les esprits plus qu’elle ne les refroidit. Juan, membre du Syndicat du travail sexuel (Strass), se lève et clame : « Nous sommes en guerre, nous sommes organisés, la lutte continue ! » La déclaration regonfle l’assistance et lui arrache quelques applaudissements.

Depuis l’adoption de loi du 13 avril 2016 pour lutter contre « le système prostitutionnel », les travailleuses du sexe ne peuvent plus être poursuivies pour racolage. En revanche, leurs clients s’exposent à une amende de 1 500 euros. Selon une enquête menée et publiée par Médecins du monde en avril 2018, la loi a eu un impact désastreux sur les conditions de travail des travailleuses du sexe. Cinq d’entre elles et une dizaine d’associations de terrain avaient fait parvenir une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour abroger la pénalisation des clients.

À lire aussi >> Notre article sur les effets pervers de la pénalisation des clients

« Nous nous y attendions, surtout de la part d’une Institution moralisatrice », peste Anaïs, porte-parole du Strass. Après avoir entendu les arguments pour et contre le 22 janvier, les « sages » ont donné raison aux législateurs. Selon les juges suprêmes, les parlementaires « ont ainsi entendu assurer la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre ces formes d’asservissement et poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions ».

À lire aussi >> Notre compte-rendu d’audience au Conseil constitutionnel

Au siège de Médecins du monde, une voix s’élève : « Que le gouvernement rende public l’évaluation de la loi ! » Dès son adoption, un comité de suivi a été chargé d’étudier l’impact du nouveau texte. Il réunit les différents ministères concernés (intérieur, justice, santé, éducation nationale, travail, secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes), ainsi que plusieurs associations. Initialement prévu pour avril 2018, le rapport se fait toujours attendre. Les associations de terrain ont une hypothèse pour ce retard : le rapport ne pourrait qu’acter l’échec de la loi.

À lire aussi >> Nos portraits de travailleuses du sexe

Toutes les voies de recours juridique ont été épuisées auprès des juridictions françaises. Mais pas européennes. Les cinq requérantes de la QPC, épaulées par l’avocat Me Patrice Spinosi, vont saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Les arguments resteront les mêmes – atteinte au droit à la vie privée et à l’autonomie personnelle –, mais l’esprit de ses juges n’est pas le même. « La CEDH a une approche plus individuelle des libertés », souligne le juriste, à l’origine de plusieurs condamnations de la France par cette cour.

La durée de ce type de recours pose problème. De trois à cinq années pour obtenir une décision, selon Maître Spinosi. Irène Aboudaram, coordinatrice à Médecins du monde déclare, l’air grave :

Les impératifs de santé et de sécurité des prostituées ne nous laissent pas ce temps. Nous continuerons notre travail de sensibilisation et d’informations auprès des parlementaires.

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Snipers franco-israéliens : « Ce qui est effarant, c’est qu’ils revendiquent leurs crimes de guerre à Gaza »
Justice 1 juillet 2025 abonné·es

Snipers franco-israéliens : « Ce qui est effarant, c’est qu’ils revendiquent leurs crimes de guerre à Gaza »

Deux soldats franco-israéliens sont visés par une plainte de plusieurs ONG, déposée ce 1er juillet à Paris, pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis à Gaza. Ils sont accusés d’avoir participé à des exécutions sommaires au sein d’une unité baptisée Ghost Unit.
Par Maxime Sirvins
Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes
Terrorisme 28 juin 2025

Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes

De l’instruction à la barre, les 16 prévenus ont constamment invoqué la crainte de la guerre civile qui les a poussés à rejoindre le groupe. Ils ont brandi cette obsession, propre à l’extrême droite, pour justifier les projets d’actions violentes contre les musulmans.
Par Pauline Migevant
Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale
Idées 28 juin 2025 abonné·es

Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale

L’idéologie accélérationniste s’impose comme moteur d’un terrorisme d’ultradroite radicalisé. Portée par une vision apocalyptique et raciale du monde, elle prône l’effondrement du système pour imposer une société blanche.
Par Juliette Heinzlef
« Notre école est le dernier service public du village »
École 26 juin 2025

« Notre école est le dernier service public du village »

Depuis vingt ans, 7 000 écoles publiques ont été fermées. Celle du Chautay, dans le Cher, pourrait également disparaître. Cette école est l’une des dernières classes uniques de ce département rural. Des parents d’élèves, dont Isabelle, ont décidé de lutter pour éviter cette fermeture.