« Contes du hasard & autres fantaisies », de Ryusuke Hamaguchi : À la croisée des chemins

Avec Contes du hasard & autres fantaisies, Ryusuke Hamaguchi signe un film plein de grâce sur ces petits coups du sort déterminant le cours de nos existences.

Christophe Kantcheff  • 5 avril 2022 abonné·es
« Contes du hasard & autres fantaisies », de Ryusuke Hamaguchi : À la croisée des chemins
© Diaphana Films / NEOPA & Fictive

Après Cannes, l’an dernier, où il a obtenu le prix du scénario, le magnifique Drive My Car (1) vient de décrocher l’Oscar du meilleur film étranger. Ryusuke Hamaguchi cumule les hautes récompenses internationales. C’est mérité. Mais gageons que le réalisateur japonais gardera la tête froide et sa manière, qui récuse tout académisme pour aborder des questions profondes. Son nouveau film, Contes du hasard & autres fantaisies (lui aussi distingué dans un festival important : grand prix du jury à la Berlinale 2021), est, de ce point de vue, un chef-d’œuvre de grâce et d’épure. Ce qui est très réjouissant de la part d’un cinéaste dont le gain en maturité semble s’accompagner d’une légèreté accrue.

Contes du hasard… est composé de trois histoires, dont les personnages principaux sont des femmes. Dans le premier épisode, deux amies sont éprises du même garçon : l’une d’elles est son ancienne girlfriend, toujours amoureuse, l’autre est la nouvelle, qui ne sait rien de cette ancienne relation. Dans le deuxième, un étudiant voulant punir un professeur de ne pas l’avoir reçu à un examen lui envoie sa maîtresse pour qu’elle le séduise. Celle-ci se rend dans le bureau de l’homme, qui est aussi écrivain, et à qui elle lit un passage de son dernier roman, éminemment érotique. Enfin, dans le troisième, une femme pense reconnaître un amour de jeunesse en la personne d’une autre femme qu’elle croise au détour d’un escalator. Elle la rattrape mais il y a peut-être erreur sur la personne.

À chaque fois, le cours des événements dépend d’un fait exceptionnel. Il faut d’abord l’intervention du hasard ou un concours de circonstances. « Montrer la coïncidence, c’est une façon d’affirmer que la rareté est l’essence même du monde, plus que la réalité elle-même », dit joliment Ryusuke Hamaguchi dans le dossier de presse. Puis il suffit d’un presque-rien pour que la situation ainsi créée bascule dans un sens ou dans l’autre.

Ainsi, une des jeunes femmes du premier épisode est tentée de dévoiler la vérité en présence de son ex et de son amie, ce qui provoquerait des déchirures – le spectateur ignorant alors qu’il est entré dans son imaginaire, jusqu’à ce qu’elle rouvre les yeux de la même façon qu’un (mauvais) rêve s’achève.

Au contraire, les deux femmes du troisième épisode passent outre l’erreur sur leur identité et décident de jouer le jeu. Elles transposent la fiction dans le réel, leur toute nouvelle rencontre prenant dès lors un tour émotionnel intense.

La deuxième histoire est la plus sombre, bien que non dénuée d’un humour ténu. Une porte, celle du bureau du professeur, qu’il veille à ce qu’elle reste ouverte pour que tout ce qui se passe soit visible, y a un rôle capital. Elle constitue la théorique assurance que le professeur est protégé des intentions de la jeune femme, qui fut une de ses étudiantes, venue le compromettre. Cependant, la situation ne cesse d’osciller, semble se renverser quand l’ex-étudiante passe aux aveux, jusqu’à ce que, plus tard, elle commette un irréparable lapsus.

Dans Contes du hasard & autres fantaisies, il est régulièrement question des mots, de leurs interactions, de leur précision. C’est-à-dire aussi de l’inconscient. Ce qui fait écho à l’univers de Drive My Car, dont le travail sur une pièce de Tchekhov était un des fils rouges. On songe aussi à l’un des films précédents du cinéaste, Asako I & II (2018), où l’héroïne rencontrait le double de son amoureux disparu. Les films de Ryusuke Hamaguchi procèdent d’un élargissement de la perception du réel.

Ces merveilleux Contes du hasard… (titre rohmérien en diable !) mettent en exergue l’aléatoire de nos destins. Ils ont, comme chez Rohmer, une portée moraliste, mais non moralisatrice. Le cinéaste nous souffle que les calculs sur l’avenir sont inutiles, les projections sur nos existences vouées à l’échec. Mieux vaut s’abstraire de ses petits intérêts afin d’être pleinement présent au monde, disponible au contingent. Autrement dit, tentons de prolonger au-delà de la salle de cinéma l’état dans lequel nous met ce film, miraculeux comme un cadeau du ciel.

(1) Lire Politis n° 1663, du 21 juillet 2021. Drive My Car vient d’être édité en DVD et en Blu-ray par Diaphana.

Contes du hasard & autres fantaisies, Ryusuke Hamaguchi, 2 h 01.

Cinéma
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