Ce qui attend la gauche en 2023

Sept mois après une union historique, la gauche tente de consolider une alliance créée en quelques nuits de printemps. Mais, entre polémiques et desiderata de chacun, la Nupes pourrait ne pas profiter d’une éventuelle mobilisation sociale ni d’une hypothétique dissolution.

Jonathan Trullard  • 14 décembre 2022 libéré
Ce qui attend la gauche en 2023
Le 7 mai 2022 à Aubervilliers, la Nupes lançait sa campagne pour les législatives.
© JULIEN DE ROSA / AFP.

« Il faut reconquérir idéologiquement le pays. » L’analyse vaudrait presque consigne pour la nouvelle année. C’est celle du politologue Rémi Lefebvre, auteur de Faut-il désespérer de la gauche ? (1). Un titre qui vise juste quand on observe la situation critique de cette partie de l’échiquier politique et notamment son rétrécissement électoral : la gauche dans son ensemble n’a recueilli qu’à peine un tiers des voix à la présidentielle.

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Éditions Textuel, « Petite Encyclopédie critique », 2022.

La France de 2022 serait-elle de droite ? « Pas plus qu’avant », assure l’universitaire, elle est juste « écrasée par le fatalisme ». En creux, l’urgence à gauche pour 2023 est de réveiller les sceptiques et de paraître « crédible ».

Chacun bricole, replié sur ses problèmes de boutique, sans aucune planification politique.

Un constat partagé par Frédéric Sawicki, autre spécialiste de la vie politique, qui analyse sèchement l’essoufflement de la Nupes : « Chacun bricole, replié sur ses problèmes de boutique, sans aucune planification politique. » Autrement dit, la gauche est à la traîne et, « si une dissolution arrive prochainement, le Rassemblement national paraîtra mieux préparé ».

Guerres de succession

L’alliance de gauche souffre surtout, selon Frédéric Sawicki, d’un grave manque de leadership. Depuis le retrait de Jean-Luc Mélenchon et la chute de son dauphin Adrien Quatennens, La France insoumise – majoritaire parmi les 151 députés ­nupesiens – manquerait d’incarnation. Et la « guerre de succession » ne saurait tarder. « Si elle n’a pas déjà commencé, commente le politologue. On voit pointer quelque chose chez Autain et Ruffin, qui profitent de l’affaiblissement du clan Mélenchon » – les deux viennent d’ailleurs d’être écartés de la nouvelle coordination du parti.

Les changements de direction se succèdent aussi dans les autres composantes de la Nupes, sans toutefois bouleverser le jeu. Les Verts viennent d’élire leur nouvelle cheffe, Marine Tondelier, l’héritière de la ligne de son prédécesseur, Julien Bayou. Les socialistes devraient, eux, reconduire Olivier Faure en janvier et écarter deux candidats moins Nupes-compatibles, Nicolas Mayer-Rossignol et Hélène Geoffroy.

Enfin, les communistes tiennent leur congrès en avril et s’apprêtent, sauf surprise, à renouveler le mandat de Fabien Roussel au poste de secrétaire national. Aucun doute que celui-ci continuera alors à jouer les trouble-fête au sein de la Nupes en étalant ses désaccords avec la ligne insoumise. Sa popularité au sein du PCF semble néanmoins prendre du plomb dans l’aile : début décembre, son texte n’a convaincu que 58 % des membres du Conseil national.

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Un début d’année marqué par une succession de congrès donc, et une possible valse des chef·fes qui semble éloignée de l’enjeu actuel : celui de se décloisonner pour capter les colères non encartées, celles-là mêmes qui ne croient plus en la politique.

La Nupes en « consolidation »

« Nous sommes dans l’étape de consolidation, donc forcément c’est la plus lente », se défend la députée LFI Aurélie Trouvé. Pour l’ancienne porte-parole d’Attac, les choses avancent cependant en coulisses, avec « un cadre collectif et régulier d’échanges avec des responsables nationaux d’associations et de syndicats ». L’ambition est de relancer « sous forme d’agora » l’idée du parlement de l’Union populaire de la campagne présidentielle. « Faire venir des gens de l’extérieur est un enjeu, on y travaille, on est déjà sur le terrain à essayer d’être utiles, en appui des luttes. »

Cette alliance est un truc monté à la va-vite, il faut rapidement parler stratégie et gouvernance.

Le sentiment est moins allègre côté Europe Écologie-Les Verts : « On est parfois à côté de la plaque, assène Marine Tondelier, il ne faut pas oublier pour qui et pour quoi on se bat. Cette alliance est un truc monté à la va-vite, il faut rapidement parler stratégie et gouvernance si on veut que ça tienne. »

La nouvelle cheffe d’EELV souhaite que le parti soit moins « pris au piège » de la stratégie personnelle des insoumis et pousse pour une liste écologiste aux européennes de 2024 : « L’union ne se fera pas avec des méthodes de forceur, sous la menace publique, en nous disant que, si on quitte le train, ça nous coûtera cher », assume-t-elle. Ambiance…

En dehors de la Nupes, certaines voix à gauche n’hésitent pas à taper franchement sur cet alliage. L’ancien socialiste Bernard Cazeneuve pose aujourd’hui les bases d’une alternative. Cinq mille signataires, comme Stéphane Le Foll et Carole Delga, ont apposé leur nom à son manifeste de refondation d’une gauche sociale-démocrate et républicaine.

« La question est de savoir quel rassemblement on souhaite, explique l’éphémère Premier ministre de François Hollande. Je ne veux pas de cette démarche outrancière qui juxtapose des clientèles à séduire, ni de ce culte de la personnalité à l’égard de M. Mélenchon, qui, s’il ne voulait pas se représenter en 2027, aurait déjà désigné un successeur. »

« On est sur un volcan »

En attendant, 2023 pourrait s’ouvrir sur une mobilisation sociale d’ampleur contre la réforme des retraites. « On est sur un volcan, juge Dominique Andolfatto, spécialiste du syndicalisme, la sismographie est très active, les syndicats sont unis, en train de fourbir leurs armes. » Le « mécontentement rentré » est palpable, selon le politologue, « chez les salariés surtout », où la « conscientisation » en pleine crise inflationniste pourrait aboutir à une nouvelle forme de mouvement et de citoyenneté.

La gauche s’assurera de démasquer le RN, ce parti anti-classes populaires.

« Et ça ne profitera pas forcément à la gauche », tacle Frédéric Sawicki, qui voit dans un conflit social la mise à l’épreuve de la Nupes. « Pas si évident, tempère Aurélie Trouvé, il n’y a rien de plus imprévisible qu’une révolution. La gauche s’assurera en tout cas de démasquer le RN, ce parti anti-classes populaires, au service des plus riches. »

Du côté des organisations syndicales, c’est principalement à la CGT que l’année annonce du neuf. Contesté en interne, Philippe Martinez avance la discrète et peu populaire Marie Buisson comme future numéro un. Et si l’heure est à la « détermination », comme il l’affirme, la bataille des retraites sera décisive pour le sortant. Une première mobilisation rassemblant toutes les organisations, de la CFDT à Solidaires, devrait d’ailleurs avoir lieu en janvier. Tout converge donc vers une action massive, surtout si elle est soutenue par la jeunesse.

Car la colère se mêle à la résignation dans les rangs étudiants. Plus que jamais précaires, ils refusent d’envisager une vie entière de misère mais, « lorsque les politiques ne nous écoutent pas, il est difficile de se bouger pour voter pour eux », cingle Imane Ouelhadj, présidente de l’Unef. La Nupes n’est pas épargnée : « On n’est pris en compte nulle part, y compris à gauche. Ce ne sont pas deux députés de notre âge, invités sur quelques chaînes au fond de la TNT, qui y changent quelque chose ».

L’enjeu pour cette jeunesse militante est de faire pression sur ces vieilles entités que sont les partis, de les pousser corps et âme à intégrer leurs luttes ­multiples : sociales, antiracistes, antisexistes. Et, bien sûr, celle du climat. « Des actions légitimes », jauge le membre du Giec François Gemenne, mais parfois pleines de « postures, y compris chez des politiques comme Sandrine Rousseau ».

Sans filtre, le chercheur fustige ceux qui « gueulent à tout-va » quand un pragmatisme honnête « à la Ruffin » est nécessaire. Un problème de sincérité donc, et de « centrage sur le nombril » dont les Français auraient leur claque, voilà peut-être le tir à rectifier pour la gauche en 2023. 

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