Retraites : au risque du pire

Combatifs contre la réforme des retraites, nos concitoyens se savent aussi soumis au narcissisme capricieux d’Emmanuel Macron. Lequel, au lieu d’alimenter ce désenchantement démocratique et de s’en réjouir, ferait bien de s’en méfier.

Denis Sieffert  • 15 février 2023
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Retraites : au risque du pire
Manifestation contre la réforme des retraites à Paris, le 19 janvier 2023.
© Lily Chavance.

Depuis plusieurs semaines, des sondages nous disent deux choses qui semblent ne pas aller bien ensemble : d’une part, les Françaises et les Français sont très majoritairement hostiles à la réforme des retraites, et, d’autre part, ils sont nombreux à penser que le gouvernement finira par imposer sa volonté.

On pourrait sombrer dans la mélancolie et paraphraser Musset – « les plus désespérés sont les “combats” les plus beaux » –, mais ce n’est pas notre état d’esprit, ni celui des Français. Car ce pessimisme sur l’issue du conflit n’entame en rien une magnifique combativité. Il mérite cependant qu’on y prête attention. Et cela devrait inquiéter le gouvernement autant que le désaveu qui frappe sa réforme.

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Nos concitoyens semblent en effet avoir intégré l’idée que les voies institutionnelles sont une impasse, et que nous sommes soumis au narcissisme capricieux d’un homme au service d’intérêts économiques et financiers trop identifiés. Ce sera soit le ralliement des députés LR, soit le 49.3. Et il peut bien y avoir trois millions de manifestants dans les rues le 16 février, rien n’y fera.

On manifeste comme on accomplit un devoir civique, mais on n’y croit pas. Au lieu d’alimenter ce désenchantement démocratique, et de s’en réjouir, le gouvernement devrait s’en méfier. Pas tant pour lui-même que pour la santé sociale et politique du pays à moyen et long termes. S’il passe en force, sa victoire sera une dangereuse illusion.

On manifeste comme on accomplit un devoir civique, mais on n’y croit pas.

On néglige trop les effets différés des grandes crises sociales. De nombreuses voix font déjà le constat que la violence des gilets jaunes a été plus efficace que des centaines de milliers de manifestants pacifiques dans la rue. Même Laurent Berger le dit. Or le gouvernement s’acharne à rendre ce constat évident pour tout le monde.

Il n’entrouvre aucune porte sur la question centrale du report de l’âge de départ à la retraite. Toute honte bue, il supporte sans ciller les révélations de ses propres mensonges sur les fameux 1 200 euros de pension minimum, ou sur le prétendu « féminisme » de la réforme (Élisabeth Borne dixit). Autant de défis à la population et à la morale politique.

Le malaise fait tout juste chanceler quelques professionnels de la dialectique politicienne, comme Olivier Véran ou Franck Riester, à la peine face à des interviewers pugnaces. Mais à l’Élysée, rien. Bien entendu, il est bien trop tôt pour affirmer que le mouvement social le plus massif de ces vingt dernières années sera vaincu.

La journée de grève générale du 7 mars redéfinira le rapport de force. Beaucoup dépendra de cette mobilisation inédite. Et beaucoup dépendra de la CFDT, habituel maillon faible du mouvement social. On peut comprendre que Laurent Berger ne veuille pas abattre ses cartes tout de suite. Mais la question se pose déjà plus qu’en pointillé : après le 7 mars, quoi ?

La messe (laïque) est donc loin d’être dite. Et le scepticisme ambiant n’a aucune vertu prédictive. C’est en revanche une forte indication de ce qui pourrait nous attendre si le gouvernement s’obstinait jusqu’au bout. Un glissement dans la violence n’est pas à exclure.

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On a coutume de conclure, un peu systématiquement peut-être, que l’entêtement gouvernemental fera le jeu du Rassemblement national. C’est une éventualité pour la prochaine présidentielle. Mais l’échéance est encore lointaine. Le plus probable, qui n’est pas moins inquiétant, c’est que cet épisode blesse notre société en profondeur, que les corps intermédiaires s’en trouvent démonétisés, que la démocratie élective soit perçue comme un piège, et que la parole politique soit encore un peu plus décrédibilisée. Et il n’est pas sûr que la stratégie suivie par LFI à l’Assemblée n’y contribue pas.

S’ensuivrait une perte de confiance désastreuse dans la chose publique. Avec l’abstention, le processus est déjà bien engagé. Qui sait dans quel abîme nous conduirait cette crise. Car, pour la dictature, il n’y a pas que Marine Le Pen. Dans ce vide, des candidats peuvent émerger, inconnus aujourd’hui. C’est avec ce feu-là que joue Emmanuel Macron.

Un glissement dans la violence n’est pas à exclure.

Un homme d’État responsable verrait un peu plus loin que sa réforme, et que le bout de son destin politique. Il prendrait en compte les épreuves subies ces dernières années par notre société. Il ne perdrait pas de vue qu’à l’est de l’Europe, un autre modèle de société s’offre comme une alternative funeste. L’Italie y a déjà en partie cédé. Il va se jouer beaucoup de choses dans les deux mois qui viennent. Beaucoup plus que la réforme des retraites.

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