De Morlaix à Marseille, la rue rejette la réforme des retraites

Ce samedi 11 février était la 4e journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites. 2,8 millions de personnes ont battu le pavé selon les syndicats, 963 000 selon les autorités. La rédaction de Politis est allée recueillir les paroles de ces Français en colère.

Politis  • 11 février 2023
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De Morlaix à Marseille, la rue rejette la réforme des retraites
Manifestation contre la réforme des retraites à Paris, le 11 février 2023.
© Lily Chavance

Ce samedi 11 février était la 4e grande journée de mobilisation nationale, à l’appel de l’intersyndicale, contre la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, visant à faire passer l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans.

Une date qui représentait un tournant pour les syndicats, comme nous l’expliquions hier, avec un rarissime appel à manifester et faire grève un samedi. Et qui fut donc un succès. Selon la CGT, ce sont 2,5 millions de personnes qui ont rempli les cortèges partout en France, en métropole comme outremer. Les autorités, elles, avancent le chiffre de 963 000 manifestants.

Au-delà des querelles de chiffres, un constat s’impose : dans les petites villes comme dans les moyennes et les grandes, se sont mélangés tous les âges, jeunes comme retraités, tous les profils, habitués des mobilisations comme des personnes n’ayant jamais battu le pavé.

En cette journée d’importance, avant celle du 7 mars qui marquera une prochaine étape de poids – les syndicats, CFDT incluse, n’hésitent plus à évoquer des blocages et un pays à l’arrêt – les journalistes de Politis sont allés à la rencontre de manifestants, pour écouter leur colère et leur opposition à cette réforme injuste.


À Morlaix, « Macron t’es foutu, les Bretons sont dans la rue »

« Un immense succès ». C’est par ces mots qu’Antoine Gauchard, délégué syndical de la FSU-Snuipp, décrit cette quatrième journée de mobilisation contre la réforme des retraites à Morlaix. Et pour cause : l’intersyndicale annonce que près de 15 000 personnes y ont défilé, 5 000 de plus que le 31. Du jamais vu, tout simplement, contre une réforme sociale dans l’histoire de cette ville moyenne.

15 000 personnes ont défilé dans la ville, selon l’intersyndicale. (Toutes photos à Morlaix : Pierre Jequier-Zalc.)

Dans le cortège, très bon enfant, de nombreuses personnes étaient venues en famille pour protester. Comme Céline, cette enseignante en primaire qui porte bien haut une pancarte sur laquelle on peut lire « Ne mettez pas à genoux ceux qui tiennent la France debout ». Une référence au discours de la députée Rachel Keke dans l’Hémicycle lundi. « Quand j’ai vu sa prise de parole, ça m’a tout de suite marquée. C’est aussi pour ces gens là que je me bats, pour ces personnes qu’on ne voit pas, pour ces femmes de ménage qui nettoient ma salle de classe tous les jours », glisse-t-elle.

C’est aussi pour ces gens là que je me bats, pour ces personnes qu’on ne voit pas.

Dans le cortège, on retrouvait ainsi beaucoup de fonctionnaires, l’hôpital de Morlaix étant le plus gros employeur de la ville. « Je suis agente d’entretien depuis 36 ans à l’hôpital. Je suis épuisée, je ne peux pas bosser deux ans de plus. Je veux profiter de mes petits enfants », souffle Nathalie qui vient d’avoir, en moins d’un an, trois nouveaux arrivants dans sa famille.

« Je suis agente d’entretien depuis 36 ans à l’hôpital. Je suis épuisée, je ne peux pas bosser deux ans de plus. Je veux profiter de mes petits enfants », explique Nathalie.

C’est au son du biniou, cet instrument breton réputé, et sous un soleil de fin d’après-midi que le cortège finit sa boucle dans la zone commerciale de Saint-Martin-des-Champs, une commune adjacente. Pour cette quatrième manifestation, le parcours s’est éloigné du centre-ville, aussi pour toucher d’autres populations. Dans les discussions, on évoque la suite du mouvement.

Durcir ? Pas tout de suite ? Pour Renaud, retraité et ancien pêcheur, il faut tout bloquer. « C’est triste à dire, mais c’est que comme ça que ça marche. En bloquant tout, voire en cassant. C’est qu’à ce moment-là qu’on nous écoute. » Sa vision radicale tranche avec la bonne humeur qui règne dans le cortège. Tous, pourtant, une fois la manifestation terminée, se donnent rendez-vous pour la prochaine. Car on sait que la lutte risque de durer.

Pierre Jequier-Zalc


À Lille, un cortège à l’ambiance familiale

Ils étaient 70 000 manifestants selon les syndicats, 10 000 d’après la préfecture, à arpenter les rues de Lille ce samedi, entre la Porte de Paris et la place de la République. Comme attendu, les manifestants étaient en tout cas plus nombreux que lors de la mobilisation du 7 février.

En tête de cortège, pour ce premier week-end de manifestation, une dizaine de gilets jaunes scandent à répétition le mot « Liberté ». Plus loin, les deux cortèges étudiants et lycéens – encadrés par des membres de l’UNEF, du NPA et des Jeunes communiste du Nord – sont ceux qui donnent le plus de la voix. Leurs banderoles affichent des messages d’union : « Lycéen.nes, salarié.es, ne battons pas en retraite », « Unité lycéens, étudiants, travailleurs ».

Quelques personnalités politiques étaient également présentes dans la manifestation. Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste, accompagnait les militants de la fédération du Nord du PCF. En retrait à l’arrière du cortège, loin derrière la banderole du groupe de La France Insoumise, le député du Nord Adrien Quatennens arborait son écharpe tricolore. La secrétaire nationale d’Europe Ecologie – Les Verts, Marine Tondelier, conseillère régionale des Hauts-de-France, défilait aussi.

Fabien Roussel était présent dans la capitale des Flandres…
…tout comme Adrien Quattennens. (Toutes photos à Lille : Valentin Salperwyck.)

Si je veux être à taux plein il faudrait que je travaille jusqu’à 67 ans.

Mais ce sont surtout des familles qui sont venues grossir le cortège lillois cet après-midi. Bien emmitouflés, Côme et Marceau manifestent avec leur père Benjamin, chanteur. Dans l’impossibilité de venir manifester en semaine, Benjamin se réjouit de pouvoir enfin se joindre à la mobilisation : « Déjà que quand on est intermittent la retraite n’est pas importante, mais là si je veux être à taux plein il faudrait que je travaille jusqu’à 67 ans. Être musicien jusqu’à 67 ans c’est pas évident. »

« Si je veux être à taux plein il faudrait que je travaille jusqu’à 67 ans » explique Benjamin, venu avec Côme et Marceau.
Le cercueil d’Extinction Rebellion.
Les gilets jaunes étaient présents en début de cortège.
Le départ de la manifestation lilloise, porte de Paris.

C’est aussi la première manifestation contre la réforme des retraites pour Priscilla, Maxime et leurs deux jeunes enfants. Maxime, enseignant, avoue avoir été rassuré par l’ambiance familiale annoncée dans les cortèges ce samedi : « J’ai été gréviste lors des deux dernières journées de manifestation, j’avais mes enfants avec moi et j’ai hésité à les emmener manifester. J’ai choisi de ne pas le faire par peur des débordements ». Arthur, en classe de CE2, a, quant à lui, « un peu la flemme de marcher » mais sait pourquoi il est là : « Ils veulent qu’on travaille plus, mais nous on n’est pas d’accord ».

Rose-Amélie Bécel


À Paris, ce que fait le gouvernement est « ahurissant »

Partis ensemble vers 14 h de la place de la République, les cortèges se sont séparés entre les boulevards du Temple et l’avenue Voltaire, pour mieux se retrouver place de la Nation. À l’arrivée, difficile de percevoir le large disque de béton, tellement il est piétiné par les manifestants, rassemblés en rangs serrés.

Si la CGT annonce 500 000 personnes à Paris, le ministère de l’Intérieur fait chuter le nombre à 93 000. « Il y a autant de monde qu’au 31 janvier », estime quant à lui Théo, 24 ans, intermittent du spectacle, avant de filer rejoindre la batucada qui s’improvise. La bataille des chiffres a démarré dès le milieu d’après-midi. Mais la participation à Paris est en nette hausse.

Toutes photos à Paris : Lily Chavance.
La capitale a vu défiler 500 000 personnes selon la CGT… 93 000 selon la préfecture.

Ce premier samedi de manifestation a permis à des familles de garnir les rangs des opposants à la réforme des retraites. C’était tout l’enjeu du jour, avaient promis les syndicats. Collègues de travail dans le social, Eric, 54 ans et Laurence, 52 ans, ont apprécié cette atmosphère de fin de semaine. « Il y avait des parents avec leurs enfants, les gens étaient calmes », observent-ils.

Lui ne peut pas promettre d’être présent si des grèves reconductibles se lançaient, début mars, dans son secteur. De son côté, Laurence pourrait se déclarer gréviste pour deux ou trois jours consécutifs. « Ça commence à être difficile dans le même mois », explique-t-elle devant son fils, Elliot. Étudiant à la fac de Nanterre, lui déplore le manque de mobilisation dans son université. « Il va falloir que vous preniez le relais ! », lui rétorque sa mère. Il lui répond : « Oui, on vise tous la convergence des luttes ».

Vers 17 h 30, les grappes de personnes se détachent, laissant apparaître des lignes de CRS à chaque artère de la place. Le jour faiblit. « La CGT nous a dit de partir pour nous reposer en prévision de jeudi », glisse Djim, 29 ans, amusé devant cette organisation millimétrée.

 J’espère que la mobilisation tiendra et que les gens ne vont pas être dépités devant ce gouvernement qui ne recule pas.

Andrée observe la foule disparate. « J’espère que la mobilisation tiendra et que les gens vont pas être dépités devant ce gouvernement qui ne recule pas », observe-t-elle alors que des manifestants ont escaladé la statue du Triomphe de la République. « Parce que ce qu’il fait, c’est ahurissant », annonce-t-elle, alors que quelques gilets jaunes chantent : « Le 16, le 7, on sera là ! ». Andrée sourit, rassurée.

L’intersyndicale met la pression avant une « France à l’arrêt » le 7 mars

Réunis avant la manifestation, les syndicats ont lancé un « avertissement » au gouvernement : ils sont prêts à « durcir le mouvement ». « Si le gouvernement ne sort pas de sa posture de silence, on lui promet qu’on répondra présents », affirme François Hommeril, de la CFE-CGC. Le 16 février, ce sera la dernière manifestation du mois. Le prochain rendez-vous est prévu le 7 mars. D’ici à là, si les soutiens au texte « restent sourds à la contestation populaire », l’intersyndicale appellera à mettre « la France à l’arrêt dans tous les secteurs ».

Pas question, cependant, de rester les bras croisés entre ces deux dates. « Ce n’est pas une respiration », confirme Philippe Martinez. Les syndicats vont mettre la pression sur les parlementaires. « Il faut que ça change à l’Assemblée. La majorité relative du président doit prendre la mesure de ce qu’il se passe dans le pays ». Non loin de là, Benoît Teste, de la FSU, promet une séquence active. « On va cibler des parlementaires, organiser des rassemblements devant les permanences, lancer des rassemblements. Beaucoup de choses se passeront sur le territoire, tous les jours », promet-il.

Jusqu’à la grève reconductible ? « Depuis le départ, on dit que seules les grèves peuvent faire basculer le gouvernement », explique Murielle Guilbert, co-déléguée nationale chez Solidaires. « Nos modalités d’actions ne sont pas toujours les mêmes, mais on se respecte. Le gouvernement ne veut rien entendre, donc on réagit aussi ».

Son collègue, Simon Duteil, insiste sur l’autonomie du mouvement social. Surtout devant des débats à l’Assemblée qui virent au chahut. « On voit un cirque parlementaire. Mais c’est la responsabilité du gouvernement. En décidant que tout devait être plié en quelques semaines, il ne crée pas une situation favorable au débat ».

Pour Laurent Berger, de la CFDT,  « le seul moyen, pour le gouvernement de sortir de l’impasse, c’est de faire une pause dans ce projet, de le retirer, et de se mettre autour de la table. Je ne comprends pas qu’on reste sourds à un mouvement social de cet ampleur », explique celui qui indique n’avoir eu aucun contact récent avec Elisabeth Borne.

Lui n’envisage pas le mois de mars comme le mois des grèves reconductibles. « Le 7 mars, c’est la possibilité de s’exprimer et de montrer sa détermination, selon ses réalités professionnelles », tient-il à préciser. Pour un mouvement massif ? Une chose est sûre, selon lui, « on est en train de redémontrer la centralité du syndicalisme ».

Hugo Boursier


À Marseille, « on a battu le PSG, on peut vaincre Macron »

« Macron mange tes morts sur le Vieux Port » ; « On a battu le PSG, on peut vaincre Macron. » Entre références au tube de rap « Bande organisée » et à l’OM, les pancartes reflétaient bien l’ambiance du cortège cet après-midi à Marseille. Festive mais remontée, avec moins de drapeaux syndicaux que les trois précédentes journées, et une plus grande diversité de profils, unis par les mêmes revendications.

140 000 manifestants (12 000 pour la préfecture), c’est autant que le 19 janvier et un peu moins que les deux autres actes. Toutefois, plusieurs petites et moyennes villes de la région ont enregistré de très bons chiffres – 7 000 à Manosque, 20 000 à Avignon : du jamais-vu depuis 20 ans.

Roxane, Lise, Armelle, Margot et Nina, cinq amies du lycée revenues pour les vacances ont toutes des pancartes à la main : « On nous dit qu’en étant jeunes, on n’est pas concerné, mais il s’agit de notre futur et de celui de nos familles » expliquent-elles.

140 000 manifestants ont rempli les rues de Marseille, selon les syndicats, environ 12 000 selon la préfecture. (Toutes photos à Marseille : Zoé Neboit.)
Roxane, Lise, Armelle, Margot et Nina, étudiantes de retour à Marseille pour les vacances défilent ensemble.

« On n’a pas l’habitude de manifester » confient plus loin Nicolas et Lise-Marie, couple de fonctionnaires quinquagénaires dans les télécoms. En semaine « c’est financièrement trop compliqué », confie-t-elle. Mais ce samedi, ils sont venus sans hésitation depuis la région d’Aix-en-Provence « pour donner plus de force au mouvement ». Son mari précise : « Cette réforme me met en colère rien que d’en parler. »

Cette réforme me met en colère rien que d’en parler.

La colère, c’est également un sentiment qui envahit « J-C de Bandol », un gilet jaune aguerri. Autre particularité de cette journée : ils étaient environ 300 sur le port. « Il faut bloquer le pays pour que le gouvernement ait peur. On pourrait être des millions à chanter et danser dans les rues, ils s’en moqueraient toujours », clame avec émotion cet ancien militaire.

« JC de Bandol », gilet jaune de toujours, estime qu’il faut maintenant « bloquer maintenant ».
Des profils très variés de personnes ont défilé, y compris des non-habitués des manifestations.

Bloquer le pays, c’est bien l’objectif de l’appel à la grève du 7 mars. Présent ce samedi, Jean-Luc Mélenchon se « félicite » de cette annonce. Au sujet du dépôt en masse d’amendement des députés LFI à l’Assemblée, contesté par d’autres membres de la Nupes, il estime qu’il « n’y a pas d’autres stratégies à avoir. Il faut qu’on prenne en tenaille le gouvernement entre le mouvement de rue, l’entreprise et l’Assemblée ».

Zoé Neboit


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Temps de lecture : 17 minutes
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