Exilé.es : la vidéo qui révèle les pratiques inhumaines de la police

Une vidéo diffusée par l’association Utopia 56 révèle l’utilisation par les policiers de gaz lacrymogènes pour dégrader les campements de réfugiés à Paris. La Défenseure des droits et l’IGPN ont été saisies.

Zoé Neboit  • 14 mars 2023
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Exilé.es : la vidéo qui révèle les pratiques inhumaines de la police
Les camps de fortune de migrants, aux abords de La Chapelle ou de Stalingrad à Paris sont quotidiennement expulsés par les forces de police.
© Pauline Tournier / Utopia 56

« Si ces pratiques sont régulières, il est rare d’en avoir la preuve. » L’association Utopia 56 a publié jeudi dernier sur ses réseaux une énième vidéo qui pointe du doigt la répression policière des demandeurs d’asile. On y voit un CRS en train d’asperger de gaz lacrymogène les matelas et effets personnels de deux personnes exilées en-dessous de la station de métro Stalingrad à Paris, les rendant inutilisables. 

Deux jours plus tôt, l’association d’aide aux exilés avait fait une distribution de matériel d’urgence et notamment de couvertures pour ces personnes à la rue, qui sont en large majorité aussi demandeurs et demandeuses d’asile. 

Utopia 56 qui, depuis 2015, organise maraudes, hébergement solidaire et accompagnement administratif a pour habitude de lancer l’alerte sur les violences policières à l’encontre des migrants« Mais c’est vrai qu’en règle générale, lorsqu’on est sur place, la police fait attention à se tenir » explique Ema, l’autrice de la vidéo. Cette dernière ne fait pas partie des bénévoles de l’association, mais les connaît bien. Depuis quelques mois, cette militante observe et documente le « harcèlement policier quotidien au camp de Stalingrad ».

Ce jeudi soir, après une accalmie de quelques jours, trois vans de CRS débarquent le long du boulevard de la Villette. Ils déploient un cordon de sécurité pour empêcher la cinquantaine de réfugiés d’accéder à leurs affaires et annoncent l’intention de les détruire car « considérées comme des déchets », raconte Ema.

C’est en faisant le tour du dispositif pour parler avec les effectifs de police que cette dernière remarque l’un d’entre eux en train d’asperger de gaz lacrymogène des sacs et lits de fortune. « Lorsqu’il voit que je le filme, il se rapatrie dans le camion. Avec son collègue, ils se mettent à me filmer en retour avec leurs téléphones, dans un but d’intimidation », estime la militante. 

C’est très difficile d’attaquer ce genre de pratiques systémiques.

Cette usage d’une arme paraît tout à fait illégale, le recours à la force devant se faire « si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l’ordre public » (article R211-13 du Code de la sécurité intérieure).

Enquête administrative

Ema interpelle immédiatement le commandant sur place. Ce dernier assure ne pas avoir donné de tels ordre ni même être au courant, mais à la mention de l’existence d’une vidéo, assure qu’il compte « faire le point » avec ses troupes. La jeune femme remarque alors que le CRS concerné « ne porte même pas son RIO » – le numéro d’identification individuel obligatoire. 

 « C’est très difficile d’attaquer ce genre de pratiques systémiques, explique Nikolaï Posner, coordinateur de communication d’Utopia 56. Déjà, c’est compliqué d’identifier les coupables, mais en plus, ça met les victimes dans une situation très complexe. Porter plainte peut les desservir dans leur demande d’asile. »

Depuis 2015, Utopia 56 organise maraudes, hébergement solidaire et accompagnement administratif et a pour habitude de lancer l’alerte sur les violences policières à l’encontre des migrants. (Photo : Pablo Gubitsh.)

Cette fois-ci, la preuve vidéo se joint au relevé des numéros d’immatriculation des trois vans de police présents sur place. Saisie dès le lendemain par l’association, la Défenseure des droits Claire Hédon a requis depuis les images de vidéosurveillance du secteur. De plus, ce lundi, épaulée par l’équipe d’Utopia 56, Ema a choisi de saisir elle-même l’IGPN pour une enquête.

De son côté, la police nationale a ouvert une enquête administrative. Cet énième fait de maltraitance policière débouchera-il enfin sur une condamnation ? L’association est optimiste sans se faire d’illusions. En six mois, elle a saisi à trois reprises la police des polices, en vain.

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