« Oui, c’est un immense camouflet pour le garde des Sceaux »

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), saisi par Éric Dupond-Moretti, a réaffirmé le 14 décembre la liberté fondamentale d’expression syndicale des magistrats. Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature, visé par le ministre, réagit à cet avis passé inaperçu.

Nadia Sweeny  • 20 décembre 2023
Partager :
« Oui, c’est un immense camouflet pour le garde des Sceaux »
© ALAIN JOCARD / AFP

Que retenez-vous de cette décision du Conseil supérieur de la magistrature ?

Kim Reuflet : Cette saisine a été faite dans un contexte de volonté, peu dissimulée de la part du ministre, de restreindre la liberté d’expression des magistrats. Nous étions très inquiets de cette demande d’avis car elle répondait à des critiques syndicales envers le ministre et constituait une instrumentalisation politique. Le Syndicat de la magistrature était clairement visé. Finalement le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), organe indépendant et constitutionnel, renforce nos positions.

Le CSM réaffirme une protection encore plus importante de la liberté d’expression de manière très claire et sans équivoque.

Il réaffirme une protection encore plus importante de la liberté d’expression de manière très claire et sans équivoque. La liberté syndicale, mais aussi celle des magistrats et des chefs de juridictions, au moment de l’audience solennelle de rentrée. Ouverte au public, cette audience est l’occasion de paroles parfois critiques sur le fonctionnement de la justice. Les chefs de juridiction alertent sur l’état de la justice en France et décrivent le réel. Certaines de ces prises de paroles ont déplu au ministre car elles contredisent sa communication.

Le CSM semble aller relativement loin : il confirme la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) selon laquelle cette liberté est même un « devoir » dès lors qu’il s’agit de défendre « l’État de droit et l’indépendance judiciaire lorsque ces valeurs sont menacées ». Le CSM insiste aussi sur la liberté d’expression syndicale, un droit « encore plus large que celui qui résulte du droit commun. En particulier la possibilité d’adopter un ton polémique, pouvant comporter une certaine vigueur, constitue un corollaire indispensable à un plein exercice de la liberté syndicale », lit-on dans la décision. C’est une position extrêmement forte.

Le CSM a rappelé que dans le contexte actuel, les magistrats avaient vocation à apporter une contribution importante au débat public et que celle-ci ne pouvait se faire dans la crainte d’une sanction imposant un effet dissuasif. Tout ceci est presqu’une incitation à user de notre liberté d’expression. Nous avons communiqué en ce sens envers les magistrats. Nos libertés dépérissent si on ne s’en sert pas : alors utilisons les !

Peut-on donc parler d’immense camouflet pour le ministre ?

Oui. Le ministre ne s’était pas caché : il attendait de cette décision une restriction de la liberté d’expression.

Sur le même sujet : « Une magistrature majoritairement de gauche, c’est un fantasme total »

Cependant, saisi sur la légalité du droit de grève pour les magistrats qui, selon la saisine du ministre, « semble s’installer dans la pratique de certains syndicats de magistrats alors que la loi organique du statut de la magistrature interdit toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions », le CSM se dit incompétent et renvoie notamment au Conseil constitutionnel.

Oui. Pour nous, cela ne contrevient pas à l’idée, qui est la nôtre, que les magistrats ont le droit de grève. Suite aux grèves massives et inédites après l’appel des 3 000 dénonçant une « justice au rabais », le ministre nous avait dit qu’il saisirait le Conseil d’État sur cette question. Nous aurions aimé qu’une institution se prononce. Le garde des Sceaux a reculé. Là, le CSM désavoue le ministre en disant que cela relève du Conseil constitutionnel alors qu’il pensait au Conseil d’État. Or le Conseil constitutionnel ne se saisit pas aussi facilement.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Police / Justice
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Frontière franco-espagnole : sept solidaires sur le banc des accusés
Récit 29 octobre 2025

Frontière franco-espagnole : sept solidaires sur le banc des accusés

Mardi 7 octobre, un procès particulier s’est tenu au tribunal judiciaire de Bayonne. Sept personnes sont inculpées pour « aide à l’entrée et au séjour de personnes en situation irrégulière » en « bande organisée ». Mais ce procès revêt un caractère politique : les prévenus ne sont pas des passeurs, ce sont des solidaires.
Par Élise Leclercq
Entassés dans des containers, 50 détenus de Kanaky gagnent au tribunal
Décryptage 28 octobre 2025 abonné·es

Entassés dans des containers, 50 détenus de Kanaky gagnent au tribunal

Une semaine après l’entrée à la prison de la Santé de Nicolas Sarkozy, une autre réalité carcérale a surgi, ce mardi 28 octobre. Saisi en urgence par 50 détenus du principal centre pénitentiaire en Kanaky/Nouvelle-Calédonie, le tribunal administratif a reconnu des conditions de détention indignes.
Par Hugo Boursier
Rébecca Chaillon cyberharcelée : l’extrême droite, un fantôme sur le banc des accusés
Justice 27 octobre 2025 abonné·es

Rébecca Chaillon cyberharcelée : l’extrême droite, un fantôme sur le banc des accusés

Sept personnes comparaissaient la semaine dernière devant le tribunal de Paris pour cyberharcèlement à l’encontre de la metteuse en scène Rébecca Chaillon et de sa productrice. Si Gilbert Collard et Éric Zemmour étaient à l’origine de cette vague de haine, ils n’ont pas été inquiétés pour autant.
Par Chloé Bergeret
Violences policières : le combat des familles endeuillées
Enquête 24 octobre 2025 abonné·es

Violences policières : le combat des familles endeuillées

C’est la double peine : les proches d’une victime de violences policières doivent subir à leur tour une violence judiciaire et médiatique quand elles veulent obtenir justice. La sœur d’Adama Traoré et la tante de Souheil El Khalfaoui témoignent de leur lutte dans un climat dénué d’empathie.
Par Kamélia Ouaïssa