L’agriculture, mère de toutes les batailles antiproductivistes ?

Les rendements agricoles ont fortement augmenté. Mais ces gains n’ont pas profité aux paysans. Il faut sortir de ce productivisme et beaucoup mieux payer le travail paysan. Cela semble impossible si l’on ne raisonne qu’au niveau du secteur agricole.

Mireille Bruyère  • 14 février 2024
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L’agriculture, mère de toutes les batailles antiproductivistes ?
Manifestation des producteurs laitiers français contre la politique agricole, près de l'Ecole Militaire à Paris le 13 février 2024.
© Ludovic MARIN / AFP

La révolte agricole a montré combien les revenus de la majorité des paysans sont faibles. La victoire de la FNSEA n’a pas répondu à la question. Est-ce vraiment une surprise ? Cette situation sociale est le résultat d’un techno-phyto-productivisme agricole amorcé dès les années 1950 sous l’impulsion de la mal nommée « modernisation » agricole. Les rendements agricoles ont fortement augmenté. Mais ces gains n’ont pas profité aux paysans. Sous l’effet de la concurrence et de la domination de la distribution et de l’industrie agroalimentaire, les prix agricoles ont baissé parallèlement.

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Pour résister à cette baisse, les paysans ont encore mécanisé et ont utilisé toujours plus d’intrants chimiques. Ainsi, leurs rendements et leurs charges augmentent de pair. Ils ont donc été intégrés à la logique profonde du capitalisme, qui industrialise les modes de production et transforme les producteurs indépendants en travailleurs exploités. Cela divise en deux classes les agriculteurs : ceux qui ont racheté massivement les terres des voisins et se sont alliés aux industries de la transformation, comme c’est le cas du patron de la FNSEA, Arnaud Rousseau ; et les autres, qui n’ont pas pu résister à l’appropriation des plus-values issues de ce productivisme par la distribution et les industries agroalimentaires. On leur paye à peine leur temps de travail à rallonge.

La situation agricole n’est pas une simple impasse sectorielle indépendante de l’ensemble du capitalisme.

Il faut sortir de ce productivisme, donc baisser les rendements et en même temps beaucoup mieux payer ce travail paysan. Cela semble impossible si l’on ne raisonne qu’au niveau du secteur agricole. En effet, ce productivisme agricole n’a pu se déployer qu’à la condition d’une transformation conjointe des modes de vie devenus urbains.

Cette urbanisation a eu comme principal effet d’augmenter fortement la part des dépenses contraintes dans le budget des ménages, en particulier celles liées au logement du fait de la concentration de la rente immobilière. Productivisme agricole et consumérisme contraint sont indissociables. Pour preuve, pendant que la part de l’alimentation dans le budget des ménages passait de 38 % en 1960 à moins de 20 % en 2008, celle du logement passait de 8 % à plus de 25 % sur la même période, véritable effet de cliquet productiviste.

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On saisit bien que la situation agricole n’est pas une simple impasse sectorielle indépendante de l’ensemble du capitalisme. Elle est la première strate matérielle des autres logiques productivistes sectorielles. Ainsi, pour revenir à une agriculture paysanne saine et locale, source de revenu digne pour les paysans et sans croissance économique dangereuse, il est nécessaire de limiter politiquement d’autres prix, en particulier ceux du logement qui ne s’expliquent que par la rente.

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