« Changer radicalement un système à bout de souffle »

Ahmad Asgari, réfugié politique iranien et syndicaliste CGT, raconte son parcours et son engagement dans les luttes.

• 27 mars 2024
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« Changer radicalement un système à bout de souffle »
Lors de la 11e journée d'action contre la réforme des retraites, à Montpellier, dans le sud de la France, le 6 avril 2023.
© Pascal GUYOT / AFP

Ahmad Asgari, réfugié politique, aujourd’hui syndicaliste CGT dans le sud de la France, où il travaille comme saisonnier dans l’hôtellerie et la restauration, nous raconte son parcours dans notre pays et son engagement en faveur des luttes des travailleurs et des peuples opprimés.


Après avoir participé à la révolution de 1979 contre le régime du shah d’Iran, j’ai presque immédiatement rejoint les rangs de l’opposition à la suite de l’avènement de la République islamique. Le nouveau régime ne répondait pas aux aspirations profondes du peuple, mais s’employait au contraire à les réprimer violemment. Rapidement, j’ai été repéré par les agents du régime et obligé de quitter le pays clandestinement par la frontière turque.

Je suis arrivé en France en 1983 et me suis engagé dans le combat toujours en cours en Iran contre la dictature cléricale de la République islamique. En dénonçant le pouvoir iranien auprès de la population française et internationale. En essayant de transmettre l’expérience de la lutte à la nouvelle génération qui s’éveille dans le pays. Ma participation passe par l’écriture d’articles, des traductions ou des commentaires de textes pouvant aider cette jeune génération. Notre questionnement quotidien porte sur le cours des luttes actuelles et les perspectives qu’elles pourront ouvrir.

Sans compréhension de la lutte des classes dans un monde changeant, nous serons condamnés à répéter les schémas du passé.

Mes engagements politiques s’articulent en trois points : l’Iran, la solidarité sans faille avec le peuple palestinien et les luttes des travailleurs en France par l’intermédiaire des syndicats. J’essaie aussi de suivre les débats et les réflexions menés dans le monde autour de la crise et de la dispersion idéologique qui frappe partout la gauche mondiale. Sans cette réflexion, sans la compréhension de la lutte des classes dans un monde toujours changeant, il me semble que nous serons condamnés à répéter inlassablement les schémas du passé.

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Depuis mon arrivée en France, j’ai pratiquement toujours travaillé dans l’hôtellerie et la restauration. Depuis 2011, je suis travailleur saisonnier dans le sud de la France. J’ai subi, comme les autres, la pandémie et ses conséquences directes. En effet, au moment du premier confinement, nous n’étions pas encore sous contrat et, de ce fait, nous ne pouvions pas bénéficier des mesures de chômage partiel. En clair, nous étions en train d’épuiser nos derniers mois d’indemnisation et cela sans la moindre visibilité. De plus, beaucoup de saisonniers arrivaient à la fin de la portabilité de leur mutuelle et allaient se retrouver privés d’une partie de la couverture santé.

Certains collègues ont lancé une initiative en organisant une action collective afin d’alerter les autorités, d’une part, sur l’importance du travail saisonnier face à un besoin réel du marché du travail, d’autre part, sur la nécessité absolue de prendre en compte notre situation désespérée. C’est ainsi que le Collectif des saisonniers de Lourdes et de la vallée, dont j’étais l’un des porte-parole, est né. La CGT nous a accompagnés dans ce mouvement.

S’il y a une pénurie, elle concerne les offres correspondant à un salaire digne.

Après quelques mois d’activité au sein de ce collectif, conscient de la nécessité d’un front de lutte plus large contre l’ensemble des politiques menées contre les travailleurs, particulièrement les plus précaires, j’ai décidé de m’impliquer activement dans le comité CGT des travailleurs précaires et privés d’emploi 65.

Depuis la première présidence d’Emmanuel Macron, le gouvernement a précarisé le monde du travail tout en faisant baisser les chiffres du chômage. Or on fait dire aux chiffres ce que l’on souhaite, avec un jeu de catégories bien pratique. En se basant uniquement sur la catégorie A, on met toutes les autres sous le tapis. De fait, cela masque l’explosion des contrats précaires dans le pays, en contradiction avec la réforme luttant contre ce type de contrats.

Il me semble nécessaire de préciser que toutes ces politiques sont fondées sur un discours ne reflétant en rien la réalité. On nous bassine avec la pénurie de main-d’œuvre, mais la CGT a démontré qu’environ 50 % des offres d’emploi ne sont pas conformes à la charte déontologique de l’institution sur le site de France Travail. Alors, s’il y a une pénurie, elle concerne les offres correspondant à un salaire digne de ce nom et à des conditions de travail décentes.

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À côté de cela, une population émerge, que certains appellent « excédentaire », de personnes qui ne sont ni des consommateurs ni des producteurs. Cette population privée de tout droit est abandonnée, laissée entre les mains de gouvernements violents ou sous la coupe de bandes mafieuses. Je pense à Gaza, à l’Afghanistan, à l’Amérique centrale, à l’Afrique, à Haïti…

La question centrale qui s’impose à tous est de trouver le chemin tortueux menant de la constatation de l’état du monde au changement radical d’un système à bout de souffle et en faillite. Comme le disait Gramsci, « le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à paraître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».

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