Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale

L’idéologie accélérationniste s’impose comme moteur d’un terrorisme d’ultradroite radicalisé. Portée par une vision apocalyptique et raciale du monde, elle prône l’effondrement du système pour imposer une société blanche.

Juliette Heinzlef  • 28 juin 2025 abonné·es
Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale
© Illustration politis / Nicolas Guyonnet / HANS LUCAS / AFP

Alors que le procès du groupe d’ultradroite Action des Forces opérationnelles (AFO) pour « association de malfaiteurs terroriste » continue, un concept n’a pas manqué d’être relevé par le Parquet national antiterroriste pour décrire l’idéologie de ceux qui prévoyaient des attentats islamophobes : l’accélérationnisme.

Loin d’être anecdotique, ce courant de pensée constitue, selon un rapport d’Europol de 2024, « la menace la plus critique » parmi le terrorisme d’extrême droite.

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En quoi consiste-t-elle ? « C’est la théorisation d’une action violente qui enjoint à accélérer le mouvement pour que le système en place arrive à bout de souffle. Et aboutir à une révolution allant dans leur sens, c’est-à-dire une révolution conservatrice », explique Stéphane François, spécialiste des droites radicales et professeur de sciences politiques à l’université de Mons.

Le courant n’est pas cantonné à l’extrême droite. Partiellement issu du marxisme, il peut se décliner à l’extrême gauche. La stratégie consiste alors à accélérer le capitalisme pour le faire imploser sous le poids de ses contradictions.

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Mais lorsqu’il est récupéré par le camp réactionnaire, la conclusion est tout autre : « C’est en provoquant la guerre raciale – supposée en cours pour les plus radicaux – que ces adeptes pensent pouvoir arriver à la société voulue. » Autrement dit, une société exclusivement blanche, qui aurait survécu au « grand remplacement », ce mythe complotiste popularisé par l’idéologue, Renaud Camus, et qui a inspiré plusieurs terroristes d’extrême droite, assurant que la « civilisation occidentale » est menacée d’être substituée par une population non-blanche.

L’accélérationnisme d’ultradroite se targue donc d’être défensif car le changement radical qu’il vante répondrait, selon lui, à l’offensive d’une submersion démographique venue d’Afrique constituant un « génocide blanc ».

Un discours qui découle d’une vision apocalyptique du futur, porté par un ésotérisme qui divinise la race. L’une des images privilégiées par ce courant est le soleil noir, symbole du mysticisme nazi issu de la mythologie nordique. « Leur complotisme est très millénariste. Pour eux tout fait sens, tout est signes dans un mélange de contre-culture et d’eschatologie chrétienne », analyse Stéphane François.

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Un phénomène ancien

Pour l’universitaire, l’accélérationnisme trouve ses prémisses dans les années 1970 en Italie, soit « Les années de plomb », une période d’extrême tension politique où pullulent luttes armées et actes de terrorisme.

Deux ouvrages américains vont permettre à cette mouvance d’ultradroite de se déployer. D’abord, Les carnets de Turner d’Andrew McDonald, publié en 1978. Ce roman d’anticipation décrit un coup d’État mené par des Blancs aux États-Unis contre les Noirs et les Juifs qui contrôleraient l’État américain.

La seconde bible de l’accélérationnisme est le manifeste Siège. Écrit en 1993 par le néonazi américain James Mason, il défend une violence raciale contre le « système » pour faire advenir un ethnonationalisme inspiré du Troisième Reich.

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Selon le Centre international de lutte contre le terrorisme (ICCT), l’ouvrage est le catalyseur de certains passages à l’acte. Ceux, par exemple, des accélérationnistes néonazis Atomwaffen Division (AWD, « division des armes atomiques », groupe américain encore actif), la Sonnenkrieg Division (« Division de la guerre du Soleil », une organisation britannique terroriste active jusqu’en 2020), Feuerkrieg Division (« La division de la guerre du feu », notamment très active dans les pays Baltes, elle est dissolue en 2022), et The Base, un groupe américain classé terroriste par l’union européenne.

La force de ces groupes tient à leur éclatement numérique.

Une résurgence en ligne transnationale

Les carnets de Turner a beau être interdit de circulation en France, il est très facile de le consulter en ligne sur Google Books, Amazon, ou sur le site « Arts Enracinés », une librairie du Puy-en-Velay spécialisée dans « l’enracinement de la civilisation européenne ». Le livre Siège, lui, est devenu, grâce à la plateforme néonazie Iron March, une référence revendiquée par des groupes violents dispersés dans les États baltes, en Australie, ou dans les pays du Nord.

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La force de ces groupes tient à leur éclatement numérique. « Entre 2011 et 2017, Iron March a constitué une plateforme transnationale pour les nationalistes blancs des pays, regroupant plus de 1 600 utilisateurs », analyse Nicolas Lebourg, historien spécialiste de l’extrême droite. Outre ce forum, la messagerie Telegram, Discord, ou les forums Fascist Forge, 4chan et 8chan, participent de la dilution géographique de la mouvance.

« Internet rend les sociétés très fluides, permettant une large diffusion des idéologies radicales en leur sein », pointe Stéphane François. C’est aussi l’autre atout de ces accélérationnistes : pas de chefs, mais des loups solitaires dispersés qui agissent en petites cellules. « C’est une idéologie horizontale. Il y a un corpus théorique qui est mis en ligne, et différentes personnes se reconnaissant dans la mouvance peuvent compléter le manifeste et y accéder. »

En France, les attentats islamistes du 13 novembres ont accéléré la tendance.

Le 15 mars 2019, le terroriste Brenton Tarrant, responsable de l’assassinat de 51 personnes à Christchurch (Nouvelle Zélande) avait déposé un manifeste accélérationniste, intitulé « Le Grand Remplacement » sur 8chan. Le mois suivant, John Earnest abat un individu dans une synagogue en Californie, après avoir publié « Une lettre ouverte » sur le même forum. Et d’être suivi, la même année, par Patrick Crusius, tuant 22 personnes dans un supermarché au Texas. Il laisse derrière lui le manifeste « Une Vérité qui dérange » qui se réfère au texte de Brenton Tarrant : « La communauté hispanique n’était pas ma cible avant que je ne lise Le Grand Remplacement ».

En France, une possible menace

En France, les attentats islamistes du 13 novembres ont accéléré la tendance. En 2021, deux adeptes de l’accélérationnisme d’ultradroite sont arrêtés à Montauban, soupçonnés de fomenter des actions terroristes. En juin 2023, le communiqué de presse du syndicat de police Alliance évoque une situation de « guerre », prônant, en place de l’action syndicale, le « combat contre ces ‘nuisibles’ », les « hordes sauvages ».

Si le document ne se réclame pas de l’accélérationnisme à proprement parler, sa rhétorique en est imprégnée : « Tous les moyens doivent être mis en place pour réinstaurer au plus vite l’État de droit. Une fois rétabli, nous savons déjà que nous revivrons cette chienlit que nous subissons depuis des décennies. » La même année, les quatre néonazis du groupe Waffenkraft (« puissance de feu ») sont condamnés aux assises pour leurs projets terroristes contre des mosquées, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) et des personnalités politiques à l’instar de Jean-Luc Mélenchon.

Reste que pour Stéphane François, la tendance est minoritaire en France comparée aux États-Unis. Nicolas Lebourg alerte tout de même : « Si le déni de l’existence d’un terrorisme d’extrême droite est une quasi tradition française, le cas de l’accélerationnisme s’avère pire avec un phénomène tout simplement ignoré. »

Cette lacune s’expliquerait par « une gêne à appréhender un phénomène volontairement chaotique, haineux et irrationnel, ne lui donnant pas l’aspect d’un objet coutumier pour les sciences politiques ». L’accélérationnisme est certes dystopique, mais ses conséquences, elles, sont bien réelles.

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