Projet d’attentats d’extrême droite : AFO devant la justice

Sept ans après avoir été perquisitionnés et interpellés, 16 membres d’Action des forces armées (AFO) sont jugés pour « association de malfaiteurs terroriste ». L’un des enjeux de l’audience est de déterminer jusqu’où ils étaient impliqués pour préparer des actes terroristes.

Pauline Migevant  • 18 juin 2025 abonné·es
Projet d’attentats d’extrême droite : AFO devant la justice
© Illustration politis / Nicolas Guyonnet / HANS LUCAS / AFP

Le mardi 10 juin, s’est ouvert au tribunal correctionnel de Paris le procès pour « association de malfaiteurs terroriste » de 16 membres d’Action des forces armées (AFO), un groupe d’extrême droite. Philippe C., Olivier L., Philippe G. et Daniel R., sont les quatre premiers prévenus à avoir été interrogés successivement par la juge. Ils ont nié tout projet d’action violente, le qualifiant de « fantasme », de projet « irréalisable », ou prétendant qu’il ne s’agissait que d’un « groupe de défense » justifié par la crainte d’une « guerre civile ».

Les projets d’actions violentes sont pourtant dans l’essence même d’AFO, issu d’une scission avec le groupe Volontaires pour la France (VPF), fondé après les attentats de 2015 pour lutter contre « l’islamisation du pays ». C’est justement la volonté d’agir qui pousse deux membres des VPF, Guy S. et Dominique C., à fonder AFO. Le 2 août 2017, les premières recrues d’AFO se réunissent à Barbizon (Seine-et-Marne).

ZOOM : Association de malfaiteurs

Ils sont seize, jugés pour association de malfaiteurs terroriste. Seize membres d’un groupuscule baptisé Action des forces opérationnelles (AFO), convaincus qu’il faut « défendre la civilisation » en préparant des attentats contre des musulmans – parmi lesquels 200 imams ciblés. Ce procès qui s’est ouvert le 10 juin met au jour une réalité qui semble déranger au point de ne pas faire la une des journaux : l’existence d’une extrême droite prête à l’action violente, souterraine mais bien réelle, déterminée et structurée.

Le plus glaçant n’est pas tant ce que projetaient ces militants d’extrême droite que le terreau sur lequel leur entreprise terroriste a germé. Plusieurs des accusés gravitent autour du Rassemblement national (RN), certains y ont même milité. Ce n’est ni un hasard ni une simple coïncidence. C’est le reflet d’une porosité persistante, nourrie par des années de discours anxiogènes, de stigmatisation, de glissements sémantiques soigneusement calculés. Pendant que le RN tente de lisser son image, de s’imposer comme parti de gouvernement, ces groupuscules puisent dans les mêmes obsessions : l’identité, le déclin, l’ennemi intérieur. L’un conquiert les urnes, les autres préparent les armes.

Entre eux, la frontière est plus floue qu’on ne le dit – et trop peu s’en inquiètent – obsédés que sont les médias par le terrorisme islamiste, qui est une réalité mais qui est loin d’être la seule. La preuve ici. Alors que le RN bat des records dans les sondages, alors que ses responsables sont reçus avec complaisance sur les plateaux, ce procès rappelle ce que certains voudraient faire oublier : derrière la façade républicaine,
il y a des passerelles. Et au bout de certaines d’entre elles, il y a des explosifs, des armes, des listes de cibles. Ce dossier ne cherche pas à amalgamer, mais à alerter. Parce qu’il y a des silences qui valent complicité, et des banalités qui nourrissent l’impensable. La justice dira le droit. À nous, citoyens, de rester lucides.

Pierre Jacquemain

Un compte rendu de cette réunion a été retrouvé dans les notes de Frank G., identifié comme le responsable d’Île-de-France à distance : « Actions rapides ciblées sur deux ou trois sites, pas plus de quelques minutes. Réactions au top au niveau national. Modalités à définir ultérieurement. » Les objectifs sont ensuite clairement énoncés : d’abord « étoffer l’équipe », ensuite l’« étude de sites », puis lister les « équipements complets ».

« Jamais on n’est entré dans les détails comme ça, jamais », dira à la barre Philippe C. Face aux « lacunes » concernant la confidentialité, ce dernier évoque pourtant, dans un mail du 17 août 2017, l’idée d’utiliser « une clé USB » cryptée, et insiste sur la nécessité d’utiliser les « pseudos ». Mis devant les faits, Philippe C., alias Achille, explique à la juge s’être pris « pour un agent secret ». Dans une audition, Frank G., avait rapporté les propos d’Olivier L. et de Philippe C. lors de cette réunion : « tout casser », « faire des opérations commandos » et éventuellement « faire des opérations meurtrières ».

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Parmi les documents retrouvés chez Dominique C., des notes datées du 31 août 2017, rédigées par Frank G., décrivent les recrues pressenties. S’y dessinent les qualités recherchées : avoir fait l’armée ou fréquenter un club de tir constituent un atout primordial. Daniel R., ancien militaire engagé en Afghanistan, intéresse : « A l’expérience du matériel (haute, en détient beaucoup) et des explosifs. Est très engagé contre l’islam radical malgré sa double culture. » L’homme dont l’alias est Tommy deviendra par la suite « l’artificier du groupe ».

Le groupe cherchera durant ses mois d’activité à se procurer de nouvelles armes.

Il sait fabriquer du TATP (marque de fabrique des attentats islamistes). Il en détenait la « recette » lorsqu’il était adolescent, période à laquelle il relègue son intérêt pour Hitler et le IIIe Reich, dont de nombreuses photos ont été retrouvées dans son ordinateur. Au sujet d’Olivier L., la fiche de recrutement indique : « Vivant en cité, pourrait être un informateur précieux, voire nous indiquer où sont les trafics. » Certains ont déjà des armes, le groupe cherchera durant ses mois d’activité à s’en procurer de nouvelles.

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Le 23 octobre 2017, la scission du groupe avec VPF est actée par un mail de Bernard S. envoyé notamment à Achille, Oliès et Tommy : « La zone noire a pris son indépendance vis-à-vis des VPF. L’ex-partie zone noire prend le nom de AFO. » La structure sera hiérarchisée et divisée par zones géographiques.

« Les tièdes devront être éliminés »

« Notre but est de combattre l’emprise musulmane qui s’installe en France», pouvait-on lire dans un document retrouvé lors des perquisitions. Intitulé «Notre action», il expliquait : « Après un nouvel attentat d’ampleur nous devons être capables d’éliminer en 24 heures et sur tout le territoire français 150 à 200 imams salafistes. » L’étape suivante est « d’organiser la lutte contre les musulmans et leurs complices à grande échelle », de se rapprocher des « autorités politiques pas trop pourries ».

Le document précise : « Les tièdes devront être éliminés. Pour cela il y aura de nombreux morts, comme dans le passé », mais « la France ne disparaîtra[it] pas ». Une fois le pays nettoyé, « la génération suivante devra faire son boulot ». Les écoutes téléphoniques révèlent la crainte des membres d’AFO d’être suivis, tout comme leur souci de la clandestinité. Les membres ont des pseudos et ils communiquent via la messagerie Proton. Une réunion dédiée à la garde à vue est même organisée en novembre 2024.

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À la barre, Philippe G., alias Sacha, qui a servi cinq ans dans l’armée, explique avoir rejoint le groupe pour se « défendre » en cas « d’explosion des banlieues » et qu’il n’était pas question d’actions violentes. En décembre 2017, il participe au stage organisé à Chablis (Yonne), occasion pour les membres d’AFO de partager leur « spécialité » : tests de cocktails Molotov à base de napalm pour Tommy, tirs à l’arbalète pour Philippe C. Sacha, lui, fait une démonstration de grenades airsoft. Trois jours après, il écrit un mail pour définir « l’effet recherché » des grenades airsoft qu’il devait fournir, afin d’en déterminer le type.

Est-ce qu’on terrorise une population en faisant des actes préparatoires ? 

« Est-ce qu’il s’agit de mettre hors de combat par blessure un ou plusieurs adversaires, assourdir des adversaires, allumer un incendie, dissimuler par fumée le relevage d’un blessé ou une esquive sous le feu de l’ennemi ? » Son mail reste sans réponse, il fournit tout de même des grenades à Daniel R., « l’artificier » du groupe, lors d’une réunion en février 2018. Fin mars, un autre stage est organisé lors d’un week-end à Chablis. Au programme : « démonstration d’explosifs », « déplacement tactique », « tests de grenades airsoft modifiées » et maquillage de plaques d’immatriculation.

« L’OP halal »

Lors d’une réunion, le 5 mai 2018, le groupe monte « l’OP halal ». « L’objectif de tuer un certain nombre d’imams n’est pas réaliste dans l’état actuel », indiquait un document rédigé, à l’issue de la réunion, par Philippe C. D’où une « solution palliative » : l’idée est d’injecter du poison, notamment de la mort-aux-rats, dans des barquettes de nourriture halal. Le projet d’attaquer une mosquée est aussi évoqué. En rédigeant ce document, Sacha explique avoir voulu montrer au groupe, en train de « s’essouffler », « qu’on pouvait faire des choses sérieuses. Mais moi-même je n’y croyais pas ». Il conteste aussi avoir fait du repérage dans un supermarché malgré les photos retrouvées.

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« Vous reconnaissez que vous avez adhéré à un groupe, qu’il fallait faire un certain nombre d’actes parfois pas très légaux, et que la situation in fine de l’organisation était de s’en prendre à une partie de la population dans le cadre d’une guerre civile ? » La procureure s’adresse à Olivier L., qui a quitté le groupe au moment de l’OP halal tout en continuant de chercher des armes par la suite. Il répond : « De toute façon, il y a eu aucun acte» « Ce sont des actes préparatoires », rétorque la procureure. « Est-ce qu’on terrorise une population en faisant des actes préparatoires ? », demande-t-il. «Oui, Monsieur.» Le démontrer, c’est tout l’enjeu de ce procès, qui durera jusqu’à début juillet.

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