Enfermés, relâchés, expulsés : en France, des Palestiniens dans la machine administrative
Dimanche 21 septembre, Politis a rencontré deux jeunes Palestiniens enfermés dans la zone d’attente de l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle, à l’occasion d’une visite de la députée Gabrielle Cathala (LFI). L’un d’eux s’y trouve toujours. Comme les autres étrangers qui y sont enfermés, pour la plupart demandeurs d’asile, il craint l’expulsion.

© Pauline Migevant
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La France reconnaît l’État de Palestine mais continue de réprimer ses soutiens « Le ministre des Affaires étrangères empêche des Palestiniens de sortir de la bande de Gaza » « Un faux État pour soumettre les Palestiniens et couvrir le génocide »Il faut passer devant plusieurs panneaux annonçant le « meilleur aéroport du monde » pour parvenir à la « zone d’attente » (1) de Paris-Charles de Gaulle, l’aéroport à une trentaine de kilomètres au nord de Paris, à Roissy. Dans le réfectoire du bâtiment, les chaises et les tables sont fixées au sol. Un purificateur d’air tourne.
Une zone d’attente est un lieu d’enfermement administratif, souvent situé aux frontières, en l’occurrence à l’aéroport. Y sont retenues les personnes contrôlées à la sortie de l’avion qui n’ont pas les documents exigés pour entrer en France et en UE. Elles peuvent y rester 26 jours, le temps qu’ils se régularisent ou que la Police aux frontières [PAF] les remette dans un avion.
Aucune des fenêtres ne s’ouvre, pas plus ici que dans les chambres. Une mesure de « sécurité » depuis qu’une personne a tenté de s’évader il y a deux ans, en brisant une vitre et en s’échappant par le toit. Dans le bâtiment, une voix sort des haut-parleurs : plusieurs personnes sont priées de se rendre à l’accueil avec leurs bagages.
Garde à vue après refus d’embarquer
Ici, les personnes enfermées sont appelées « les non-admis », ou les « hébergés ». Parmi eux, Khaled* et Hamza, 25 ans tous les deux. Ces Palestiniens sont arrivés jeudi dernier de La Havane (Cuba), où ils ont étudié la médecine. Ils veulent rejoindre des amis et de la famille en Espagne, pour travailler mais n’ont pas eu de visa. Khaled a tout pris avec lui, son diplôme de l’université cubaine format A3, l’original. Son certificat de naissance palestinien. Des attestations de résidence de sa famille qui a obtenu la protection internationale en Espagne.
Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.
En Cisjordanie, un soldat de l’armée d’occupation israélienne a menacé son père, travailleur dans une entreprise de télécommunication, de lui tirer dessus s’il ne collaborait pas. Le père de Hamza, lui, était médecin dans un des nombreux hôpitaux de la bande de Gaza détruits par l’armée israélienne. Ça fait plus de trois semaines qu’il n’a pas eu de nouvelles. Pour l’instant, les deux amis sont coincés là. Hamza a déjà été mené une fois à l’aéroport pour être renvoyé à Cuba, il a refusé.
Tout ce système d’enfermement participe à la criminalisation des personnes en migration.
L. Palun
Plus tôt dans la semaine, ils ont croisé une femme et sa fille de 11 ans, elles aussi palestiniennes. Elles ont été mises en garde à vue après avoir refusé quatre vols, une infraction. Au téléphone, Laure Palun, directrice de l’Anafé, association qui accompagne certaines personnes au sein de la zone d’attente, a réagi : « Elles ont refusé d’embarquer parce qu’elles avaient peur de repartir ce qui les a conduites en garde à vue. Tout ce système d’enfermement participe à la criminalisation des personnes en migration. »
Enfants enfermés
Les personnes retenues peuvent aller dans la « zone détente », aussi appelée « jardin » : un espace confiné par des grillages, qui donne sur une piste d’atterrissage. Trois personnes sont assises sur un banc. Sarah*, à peine la vingtaine, ne sait pas si ses proches savent qu’elle est ici. Probable que non. Quand elle a été emmenée dans la zone, elle a dû remettre son téléphone à la police, comme tout le monde. Comme dans les autres lieux d’enfermement administratif en France : les portables pouvant prendre des photos sont interdits. Il y a des cabines à disposition, mais Sarah ne connaît pas par cœur le numéro de ses proches et n’a pas osé demander à la police si elle pouvait consulter son répertoire.
« Il y a pas mal de punaises qui sont là dans la chambre », dit un homme qui s’est réveillé ce matin avec des piqûres sur le corps. Sa demande d’asile a été rejetée et le juge a prolongé pour huit jours son enfermement, commencé il y a quatre jours. Il dit qu’il tient le coup, mais que les enfants lui font de la peine. À quelques mètres, deux fillettes venues de Madagascar, environ 3 et 5 ans, jouent sur une maigre structure conçue pour faire du sport.
Ce qu’on a fui là-bas nous poursuit ici.
« On remercie Dieu, d’autres enfants ont été libérés ce matin », dit-il. « Libérés ou emmenés à l’aéroport… », fait remarquer Sarah. Le premier homme poursuit : « De là où on vient, chacun de nous a fui quelque chose qui porte atteinte à la vie humaine. Mais ce qu’on a fui là-bas nous poursuit ici. » Les derniers chiffres disponibles concernent l’année 2023 durant laquelle 2 873 personnes ont été enfermées à Roissy. Le jour de la visite, il y avait près de 130 personnes, dont au moins quatre enfants en bas âge avec leur famille.
Un espace de la zone d’attente géré par la Croix-Rouge est dédié aux mineurs isolés, trois ce dimanche. L’un d’eux est un ado péruvien de 17 ans. « Il ne lui manquait que 40 euros [sur la somme nécessaire aux étrangers pour venir dans l’espace Schengen] », dit l’employée de la Croix-Rouge d’un air désolé… Il risque d’être expulsé au Pérou alors que sa mère est en Italie. « Pourquoi on ne l’expulse pas en Italie ? » demande la députée Gabrielle Cathala (France insoumise) venue faire une visite parlementaire ce dimanche 21 septembre. « Parce que ce sont les mêmes conditions dans tout l’espace Schengen », répond la femme de la Croix-Rouge.
À l’intérieur du bâtiment de la zone d’attente, le chef de brigade détaille la façon dont les « non-admis » sont reconduits à l’aéroport : « On nous dit qu’il ne faut pas de coercition mais qu’il faut les inciter à y aller ». Concrètement ? « Pas de menottes mais des scratchs. » Ce n’est pas lui ni les agents de la police présents dans la zone qui s’en occupent, il y a pour l’escorte, « un service spécifique ». Une histoire « d’éthique », précise-t-il.
« On n’est même plus choqués »
La zone d’attente comprend aussi les bureaux de l’Ofpra, pour les demandes d’asile et l’annexe du tribunal de Bobigny, où ont lieu les audiences devant le juge des libertés et de la détention (JLD). Dans une salle qui sent toujours le renfermé, 28 personnes attendent, assises en ligne, de voir quelques minutes les avocats de permanence. Les enfants qui jouaient sur les structures attendent avec les adultes. Leur mère, enceinte de 8 mois, a fait un malaise au sein de la zone d’attente et a été transférée à l’hôpital. Leur petite sœur, un nourrisson qui a eu un an hier, est accrochée à son père grâce à un porte-bébé.
On doit voir les gens de manière expéditive.
Une pièce exigüe avec trois sièges soudés au sol. C’est ici, à même le sol, que l’avocat de permanence ce jour-là examine les quelques documents que contient le dossier. Pas de table, lumière froide. « Les conditions sont catastrophiques mais on n’est même plus choqués… », lâche-t-il. « On doit voir les gens de manière expéditive. » À 9 h 10, il a découvert ses dossiers du jour, neuf en l’occurrence, dont il prend connaissance avant 10 h. Soit moins de six minutes par dossier. Les quelques minutes d’entretien qui s’ensuivent avec ses clients permettent de fignoler une défense.
Hamza répète qu’il ne veut surtout pas demander l’asile en France mais aller au plus vite en Espagne pour travailler et aider sa famille. « On a aucun mot, aucun document qui prouvent vos liens avec des gens en Espagne ? », demande l’avocat. Un interprète traduit en direct. « Non. » « Donc on a rien d’autre que votre parole ? », poursuit le conseil. « Oui. » « Alors c’est presque sûr que le juge des libertés va vous prolonger en zone d’attente. » « Je sais », répond le jeune homme. « Je ne peux pas repartir à Cuba, car je ne pourrai pas aider ma famille. Et je ne peux pas repartir à Gaza », souffle-t-il.
« On m’avait dit que les droits de l’homme étaient respectés ici »
Dans la salle d’audience, faiblement éclairée, une femme a traversé « tout Paris » avec ses deux fillettes pour assister à l’audience. Une des petites trépigne, elle se retient de courir vers son père qu’elle n’a pas vu depuis longtemps. Enfermé ici depuis 4 jours, il a fui en vitesse la Russie, sans demander de visa, après une convocation pour rejoindre l’armée et combattre en Ukraine. Dans les plaidoiries de l’avocate de la PAF, qui se cantonnent souvent à quelques phrases qui se ressemblent, l’ambiance est au soupçon. « Il y a des limites à prendre le tribunal pour des imbéciles », lâche-t-elle à un homme sahraoui demandeur d’asile qui a pris l’avion avec un passeport mauritanien.
Un autre lui succède, il n’a plus d’illusions : « On m’avait dit que les droits de l’homme étaient respectés ici. Mais ce qui se passe, c’est que nous sommes retenus là. » Un indépendantiste tamoul du Sri Lanka, dont la demande d’asile a été refusée, explique avoir fui « pour sauver sa peau ». Les plaidoiries sont brèves. Parfois, elles ne durent pas trente secondes. Même dans la salle d’audience, on entend le bruit des avions qui décollent.
Vient le tour de Hamza. « Pourquoi Monsieur est passé par la France ? », amorce l’avocate de la PAF. « Parce que c’est sa seule et unique chance de rentrer sur le territoire européen », renchérit-elle dans un même souffle. « Cette information circule comme beaucoup d’autres : le seul point d’entrée envisageable quand on n’a pas de documents, c’est Roissy-Charles de Gaulle », poursuit-elle. Elle conclut : « Aujourd’hui, il ne respecte absolument aucune règle du Ceseda [code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, N.D.L.R.]. Je vous demanderai, bien évidemment, de vouloir le maintenir en zone d’attente. »
Les avocats, de leur côté, tentent tant bien que mal de trouver des vices de procédure, de plaider la difficulté de faire une demande d’asile depuis la zone d’attente, ou encore d’invoquer les conventions internationales censées faire primer les droits des enfants. À la fin de l’audience, l’avocate de la PAF, qui a demandé le maintien dans la zone d’attente pour les 28 personnes du jour, berce l’une des deux gamines venues voir leur père.
Trois heures plus tard, la décision est rendue : Khaled est libéré. Passé le délai durant lequel le procureur a fait appel, il a été lâché dans la nuit, entre deux bretelles d’autoroutes. Hamza, lui, a été maintenu. Ses craintes de renvoi sont confortées par les statistiques. Près des trois quarts des personnes enfermées en zone d’attente sont finalement renvoyées.
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