À Belém, un projet d’égouts symbole du racisme environnemental

En prévision de la COP 30, des travaux d’assainissement sont menés à la Doca, un quartier aisé de Belém, au détriment de Vila da Barca, bien plus défavorisé. La population, rompue à la résistance, dénonce du racisme environnemental.

Giovanni Simone  et  Anne Paq  • 10 novembre 2025 abonné·es
À Belém, un projet d’égouts symbole du racisme environnemental
Les maisons sur pilotis de Vila da Barca abritent plus de 5 000 personnes. Il s’agit de la plus grande communauté urbaine sur pilotis de l’Amérique latine.
© Anne Paq

Un parc urbain moderne, très minéral, avec un long plan d’eau, aux pieds de gratte-ciel huppés, avec vue sur la baie de Guajará. C’est la carte postale de Belém réalisée en vue de la COP 30 dans la métropole du nord du Brésil, dans le quartier de la Doca. Ce coin de la ville amazonienne détient la palme du mètre carré le plus cher de la municipalité. À quelques centaines de mètres de là, sur la berge de la baie de Guajará, se trouve la communauté de Vila da Barca.

Début 2024, les habitant·es de ce quartier sur pilotis ont eu une surprise désagréable. « Les camions ont commencé à décharger des débris ici, rembobine Pawer Martins, animateur communautaire, en indiquant un terrain vague juste en face de chez lui. C’était la boue des travaux de la Doca. » En effet, pour ce chantier, le canal de la Doca a dû être dragué. Alors que les déchets s’amoncellent jusqu’à atteindre plusieurs mètres de hauteur, une autre nouvelle trouble la vie du quartier.

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Un bâtiment désaffecté en face du terrain vague est voué à devenir une station d’assainissement, mais pas pour n’importe qui : les eaux usées de la Doca transiteront par ici jusqu’à la station d’épuration finale. Vila da Barca a été fondée il y a plus de cent ans par des Ribeirinhos, le peuple traditionnel qui vit le long des fleuves amazoniens. Vivant au rythme des marées, des générations d’habitant·es de Vila da Barca ont construit une vie sur pilotis, faite de pêche et de commerce, malgré le manque de services essentiels.

Les égouts de la Doca passeront au milieu du quartier, alors qu’ici on n’en a pas. 

P. Martins

Les quelque 5 000 personnes qui habitent dans le quartier, une des plus grandes communautés sur pilotis de l’Amérique latine, n’ont pas d’assainissement de base, et l’eau qui effleure les pilotis se remplit de déchets. Une réalité qui reflète la situation de la métropole : moins de 20 % de la population de Belém a accès à l’assainissement, selon le Système national d’information sur l’assainissement de base (Sinisa). Contre 60 % en moyenne pour la population totale du Brésil.

L’arrivée de la COP 30 à Belém a été l’occasion d’améliorer le réseau d’eaux usées de la capitale du Parà : le gouverneur de l’État, Helder Barbalho (membre du Mouvement démocratique brésilien [MDB], de centre-droit), a annoncé plus de 15 milliards de reais (2,3 millions d’euros) d’investissements pour franchir ce pas. Mais les priorités choisies sont discutables. « Pour nous, c’est du racisme environnemental, tranche Pawer. Les égouts de la Doca passeront au milieu du quartier, alors qu’ici on n’en a pas. »

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À Vila da Barca, la nouvelle n’est pas passée inaperçue et une mobilisation s’est immédiatement mise en place. « Nous avons bloqué la route par où arrivaient les camions, explique l’animateur. On a organisé beaucoup d’autres manifestations, des auditions publiques, on a utilisé les réseaux sociaux… » Finalement, au mois de juillet, le gouvernement du Parà a annoncé l’installation d’un nouveau système d’égouts dans le quartier. Un résultat que le maire de Belém a salué comme « une grande conquête ».

Une façon de présenter les choses raillée par les habitant·es de Vila da Barca. « Sans toutes nos mobilisations, on n’aurait jamais obtenu ce résultat, revendique Suane Barreirinhas, éducatrice populaire. J’attends encore de voir si ce sera vraiment mis en place ! » Des travaux de réfection des arrivées d’eau ont déjà été accomplis, mais l’installation des égouts devrait prendre encore près de huit mois, selon les annonces.

Des craintes de spéculation immobilière

Pour Pawer, ce projet n’est pas une réponse suffisante : « Le pire est déjà fait, car la merde de la Doca va littéralement passer par ici et sentir très fort. Et la merde des riches ne se mélange pas avec celle des pauvres. » Une référence au fait que les égouts de Vila da Barca ne seront pas reliés au réseau créé pour la Doca, dont la mise en fonction devait précéder la COP 30. L’animateur estime que le schéma d’aménagement s’apparente à de la spéculation immobilière.

L’odeur va tout simplement nous faire partir d’ici, et les promoteurs pourront racheter à prix cassés.

P. Martins

« Auparavant, habiter près du fleuve était mal considéré. Avec le changement climatique, les riches comprennent qu’il y fait plus frais et convoitent les terrains. L’odeur va tout simplement nous faire partir d’ici, et les promoteurs pourront racheter à prix cassés. » Une stratégie qui appellera encore des mobilisations très fortes pour la contrer.

Si ce projet d’assainissement injustement favorable à la population aisée a acquis de la visibilité grâce à la COP 30, « le racisme environnemental n’a pas commencé avec la COP, il existe depuis toujours », affirme Pawer. Les habitant·es du quartier se considèrent comme invisibles, et chaque avancée doit être défendue bec et ongles. La maison où il habite, par exemple, est en dur et fait partie d’un projet de logement social commencé au début des années 2000. Mais 300 logements manquent toujours à l’appel.

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« Je connais quelqu’un qui attend sa maison depuis vingt ans », se désole Carla Figuereido, cuisinière membre du projet Cozinha Periferica, qui vise à professionnaliser des habitantes du quartier. Pour elle, c’est clair et net : « Ici le problème essentiel, c’est l’habitat. On a trop de logements insalubres. »
À Vila da Barca, on a l’habitude de se battre pour tout. Pawer rappelle que la dernière grande lutte qui a soudé la communauté était la défense du Curro Velho. Ce centre social, ouvert à la fin des années 1990 dans un ancien abattoir, se trouve à l’entrée du quartier.

Carla Figuereido s’est formée à la cuisine grâce au projet Cozinha Periferica. Elle cuisinera pour la délégation suisse lors de la COP 30. (Photo : Anne Paq.)

En 2019, il risquait la fermeture pour manque de financements, mais une grande mobilisation des jeunes, qui l’ont bloqué pendant plusieurs jours, a permis de le garder en fonctionnement. « Depuis, on doit se battre chaque année pour obtenir les financements nécessaires pour qu’il reste ouvert », explique Pawer, qui enseigne les percussions dans le centre social. Après cette lutte, une solidarité populaire a pris forme pendant la pandémie de covid-19, lorsqu’un collectif auto-organisé a pu distribuer 20 000 paniers alimentaires dans le quartier.

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Une occasion de s’exprimer

De cette expérience est née la Barca Literária, un projet mené par Suane Barreirinhas et Inêz Mendeiros. Le petit espace encastré au milieu des maisons sur pilotis est rempli de livres, de dessins d’enfants et d’affiches accrochées aux murs. L’une d’elles annonce : « Novembre, Amazonie vivante : soin, amour et respect des survivants dans nos territoires. »

« Ce sont les sujets choisis par les adolescent·es pour les sessions de formation politique, explique Suane. On essaye de les préparer à la COP 30 et de discuter de justice climatique avec eux. » Barca Literária fait partie du réseau de la COP das Baixadas (« la COP d’en bas »), qui depuis trois ans organise des événements et mobilise autour de la justice climatique. La COP das Baixadas a prévu d’ouvrir une série d’espaces dans les quartiers défavorisés de Belém, avant et pendant la COP, pour tenir des rencontres, des ateliers, des expositions.

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Si la COP 30 fait parler, elle ne semble pas être une inquiétude majeure pour les habitant·es de Vila da Barca. « Nous sommes habitué·es aux turbulences, explique Carla Figuereido. On a surtout peur des prix qui vont monter. » La cuisinière s’anime en revanche en parlant de la forêt. « On est en train de saccager toute l’Amazonie. J’espère que ce sommet servira au moins pour que les décideurs nous voient et qu’ils prennent les bonnes décisions. » Suane Barreirinhas, de son côté, affiche une ligne pragmatique. « Pour nous le problème n’est pas la COP 30, c’est l’État. Ce sommet sera au moins l’occasion de nous exprimer », glisse-t-elle, même si elle a peu d’espoir d’être écoutée en haut lieu.

Nous sommes résistance. L’histoire d’un peuple qui ne survit pas seulement, il transforme.

S. Barreirinhas

La leadeuse communautaire s’inquiète plutôt de l’avenir de son quartier. Elle ne semble jamais en panne de projets et pense déjà à l’après-COP, avec pour objectif de créer un musée de Vila da Barca, évidemment sur pilotis, pour préserver la mémoire des luttes dans le quartier. La page d’accueil du site annonce la couleur : « Nous sommes résistance. L’histoire d’un peuple qui ne survit pas seulement, il transforme. »

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Écologie
Publié dans le dossier
Les impasses coupables de la COP 30
Temps de lecture : 8 minutes

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