Municipales : entre LFI et le PS, la guerre totale est lancée
Les socialistes accusent les mélenchonistes de vouloir ravir les grandes villes qu’ils dirigent. Les insoumis leur rétorquent que la gauche ne leur appartient pas. Derrière 2026, la guerre du leadership en vue de 2027 a commencé.
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À Toulouse, pour François Piquemal, « la victoire passe par l’union » Municipales : une opération à hauts risques pour les écolos À Marseille, la guerre des gauches aura bien lieu aux municipalesQu’il semble loin ce temps où socialistes et insoumis faisaient campagne main dans la main. Aujourd’hui, le Nouveau Front populaire (NFP) est mort et enterré. Et si certains peuvent encore en douter, les municipales de 2026 devraient normalement les convaincre. Car, entre les socialistes et les insoumis, la bataille semble avoir repris de plus belle. D’un côté, les insoumis ambitionnent de s’ancrer dans tout le pays en vue de la prochaine présidentielle. De l’autre, les socialistes revendiquent être la première force territoriale à gauche et ne comptent pas céder cette place.
Depuis des semaines, les attaques fusent. Les stratèges des deux camps égrènent les villes dans lesquelles les insoumis font pression sur un maire rose. La liste est longue. À Rennes, la députée Marie Mesmeur compte faire tomber Nathalie Appéré. À Villeurbanne, l’adjoint au maire Mathieu Garabedian veut détrôner Cédric van Styvendael. À Montpellier, la députée Nathalie Oziol a lancé sa campagne depuis plusieurs semaines contre Michaël Delafosse.
À Nantes, le conseiller régional William Aucant veut prendre la place de Johanna Rolland. À Saint-Denis, Bally Bagayoko compte faire tomber Mathieu Hanotin. À Rouen, Maxime Da Silva veut battre Nicolas Mayer-Rossignol. À Nancy, Sarah Farghaly veut détrôner Mathieu Klein. À Brest, la suppléante du député Pierre-Yves Cadalen, Cécile Beaudouin, se verrait bien à la place de François Cuillandre. À Clermont, la députée Marianne Maximi vise le poste occupé par Olivier Bianchi. À cette liste s’ajoutent aussi les cas de Cergy, Reims, Marseille, Avignon ou Pantin.
Un socle insoumis potentiellement important
Partout, les insoumis se délectent de ces sondages qui les placent en situation de déstabiliser les majorités sortantes ou, en cas de surprise, d’arracher quelques villes. Ils le savent : une dynamique est là. « Les gens ont confiance en nous. Quand on est dans les quartiers populaires, tout le monde sait qu’on tiendra bon. Malgré les insultes et les caricatures, tout le monde sait que les insoumis font ce qu’ils disent et disent ce qu’ils font », assure Séverine Véziès, candidate à Besançon et responsable des élections pour le mouvement mélenchoniste.
Malgré les insultes et les caricatures, tout le monde sait que les insoumis font ce qu’ils disent et disent ce qu’ils font.
S. Véziès
Dans de très nombreuses moyennes et grandes villes, les candidats de La France insoumise (LFI) pourraient obtenir au moins 10 % des suffrages, selon les enquêtes d’opinion. « Partout, ils ont un socle haut », observe une élue locale écologiste. « Les insoumis ont la capacité d’accéder à tous les types de communes, les grandes métropoles comme les petites villes, et dans n’importe quel département de France. Nous ne sommes pas là pour faire de la figuration », prévient le député insoumis Hadrien Clouet.
Au regard de cette situation, les émissaires du Parti socialiste (PS) accusent les insoumis de vouloir surtout faire tomber les édiles du parti au poing et à la rose. « Les insoumis sont dans leur stratégie de conflit pour faire exploser la gauche, pour que Jean-Luc Mélenchon soit le seul pôle de stabilité et nous refaire le coup de 2022 », grince Jonathan Kienzlen, membre de la direction du PS.
« Les insoumis n’ont aucune chance de victoire. Ils n’ont qu’un pouvoir de nuisance. On les entend parler de Montpellier ou d’Aubervilliers, mais on les entend moins sur Nice ou Boulogne-Billancourt », attaque Luc Broussy, président du conseil national du PS et proche d’Olivier Faure. Réponse d’Hadrien Clouet : « Notre sujet, ce n’est pas le récit du PS. C’est la question du fond. S’ils veulent juste exister dans les médias en nous attaquant, c’est leur problème. Nous, nous parlons du fond. »
Œil pour œil…
Le duel entre insoumis et socialistes est de plus en plus assumé. Le premier des roses, Olivier Faure, se retrouve obligé de hausser le ton. « Quel est leur objectif dans la vie ? Être les idiots utiles de la droite ? Ou sont-ils prêts, au contraire, à être les renforts de la gauche ? », lâche-t-il sur Franceinfo le 25 novembre. Changement de braquet. Car lors du congrès de sa réélection au mois de juin, Faure reléguait au second plan la question du rapport avec les insoumis pour 2026. « Est-ce qu’avoir un adjoint à l’urbanisme ou aux espaces verts insoumis est vraiment un sujet ? », demandait-il en privé pour disqualifier ses oppositions internes qui faisaient du rapport aux insoumis leur obsession.
Quel est leur objectif dans la vie ? Être les idiots utiles de la droite ? Ou sont-ils prêts, au contraire, à être les renforts de la gauche ?
O. Faure
Aujourd’hui, Manuel Bompard, coordinateur du mouvement mélenchoniste, est déterminé à rendre les coups : « Certains nous reprochent de présenter des listes, après avoir dit sur tous les tons qu’ils voulaient ne rien avoir à faire avec La France insoumise. Les diviseurs regrettent la division. Quelle hypocrisie ! » Œil pour œil, dent pour dent. « On mettra en difficulté des socialistes, mais pas le socialisme. Ceux qui prennent la responsabilité de diviser la gauche, comme Emmanuel Grégoire à Paris, prennent la responsabilité de faire perdre le socialisme », menace un député insoumis parisien.
Sous pression, les socialistes accusent déjà les insoumis d’être ambigus sur leur stratégie d’entre-deux-tours entre le 15 et le 22 mars prochain. « Leur attitude n’est pas très claire. Ils veulent se positionner au premier tour, d’accord. Et s’ils font perdre des villes de gauche, ce sera leur responsabilité, soutient Amin Mbarki, chargé des fédérations PS. Les électeurs se rendront compte qu’il existe un vote utile, celui du rassemblement de la gauche. » Paul Vannier, le « Monsieur élections » de LFI, l’affirme pourtant : « Partout où nous serons en tête au soir du premier tour, nous proposerons aux autres listes de gauche prêtes à défendre avec nous un programme de rupture de nous retrouver pour battre la droite, pour battre l’extrême droite, pour changer la vie vraiment. »
Tour d’échauffement pour le « club de Bagneux »
Les mélenchonistes ne veulent pas se laisser faire et tiennent à rappeler que des candidats PS se présentent aussi dans des villes détenues par d’autres forces de gauche. À Poitiers, Besançon et Strasbourg, les candidats socialistes – François Blanchard, Jean-Sébastien Leuba et Catherine Trautmann – veulent ravir la mairie aux trois édiles écolos, Léonore Moncond’huy, Anne Vignot et Jeanne Barseghian. À La Courneuve, le premier adjoint Oumarou Doucouré porte une liste contre la candidate adoubée par le maire communiste, Gilles Poux.
« L’hypocrisie des socialistes est hilarante. Ça fait des mois qu’ils disent ne pas vouloir faire de liste avec nous. Nous, nous faisons simplement le BA-BA de la politique : écrire un programme, faire campagne et se présenter aux élections », estime Maxime Da Silva, candidat à Rouen et coordinateur national des élus insoumis. « Ce ne sont pas des législatives. Mais, dans la grande majorité des villes, nous partons ensemble, relativise le socialiste Amin Mbarki. Il y a et il y aura toujours des exceptions. »
Chez les socialistes, les objectifs sont clairs : conserver Paris, Lille et Marseille, maintenir les villes dirigées par la gauche et se rassembler dans les autres villes « avec deux ou trois forces », selon un cadre PS. Mais ils ne sont pas non plus sans ambitions, et espèrent rafler des communes dans des zones périurbaines et des sous-préfectures. Dans leur viseur, Amiens, Saint-Étienne, Limoges, Metz, Toulouse. Néanmoins, les socialistes ne décorrèlent pas totalement les municipales de la prochaine présidentielle.
Ils espèrent que le scrutin de 2026 permettra de donner une existence politique au périmètre unitaire qu’ils souhaitent pour la prochaine présidentielle. Le « club de Bagneux », cette alliance entre socialistes, écologistes et ex-insoumis officiellement baptisée « Front populaire 2027 », se frotterait pour la première fois aux urnes. « Il faut que ces municipales permettent de consolider l’axe de la gauche non-mélenchoniste », annonce le socialiste Luc Broussy.
Les Écologistes, arbitres du match ?
Toutefois, les roses regrettent les hésitations des écolos, tiraillés entre les deux pôles de la gauche. « Marine Tondelier est consciente qu’elle ne peut pas s’engager sur Bagneux et nier les situations locales », garantit pourtant un député socialiste. Les insoumis ne sont pas de cet avis. « Il faut qu’ils aillent au bout de leur démarche et qu’ils ne participent pas à la division du camp de la rupture », espère Nathalie Oziol, députée et candidate insoumise à Montpellier.
Dans cette ville dirigée par Michaël Delafosse, une partie des verts a décidé de rejoindre la liste LFI, comme à Toulouse. À Perpignan, les écolos ont également rejoint la liste mélenchoniste. « On a des discussions. Ils partagent nos diagnostics. Il y a des villes où l’on pourrait partir ensemble, croit une députée LFI de Seine-Saint-Denis. Pour eux, ce serait une opportunité de s’émanciper du PS. » Mais les Écologistes préfèrent mettre leur énergie à déjouer le match des deux gauches irréconciliables.
Tout scrutin municipal sera un scrutin national .
H. Clouet
À travers 2026, les insoumis jouent surtout la présidentielle. Les troupes de Jean-Luc Mélenchon comptent politiser ce scrutin pour lancer le plan qui conduirait le triple candidat à la présidentielle à l’Élysée. L’insoumis Hadrien Clouet en est convaincu : « Tout scrutin municipal sera un scrutin national : est-ce que les gens veulent l’eau publique ? Est-ce qu’ils veulent une police de proximité ? Est-ce qu’ils veulent plus de transports publics ? Ce sont des grands débats français. On est là pour appliquer “l’Avenir en commun” dès demain. »
Le socialiste Luc Broussy le prédit : « S’ils avaient envie de gérer des municipalités, ça se saurait. Ces municipales vont être le terrain de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon. On aura droit au “Mélenchon tour” de janvier à mars financé par les budgets des campagnes. » « Toutes les formations politiques vont utiliser les municipales comme tremplin. Et ça tombe bien, il paraît qu’on a un candidat », confiait un député insoumis parisien il y a quelques semaines. La course de chevaux élyséenne commence déjà.
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