« Nous montrer davantage en prise avec ce qui préoccupe les personnes au jour le jour »

Léonore Moncond’huy, maire EELV de Poitiers, a été désignée garante du processus des États généraux de l’écologie lancés par son parti en février dernier, et dont les conclusions seront présentées lors du lancement de leur nouveau mouvement « Les Écologistes » à Pantin, ce 14 octobre. Entretien.

Patrick Piro  • 13 octobre 2023
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« Nous montrer davantage en prise avec ce qui préoccupe les personnes au jour le jour »
Léonore Moncond'huy lors des Journées d'été EELV à Poitiers, le 19 août 2021.
© MEHDI FÉDOUACH / AFP

Ces États généraux de l’écologie ne sont pas les premiers du genre, dans l’histoire de votre mouvement, et leurs intentions se sont ensuite perdues dans les sables. Qu’est-ce qui peut éviter un destin similaire à votre démarche ?

Léonore Moncond’huy : Il est vrai que plusieurs initiatives avaient déjà, par le passé, manifesté l’intention de donner une place aux personnes « compagnes de route » de l’écologie politique, sans souhaiter nécessairement adhérer au parti. Ce fut le cas avec la Coopérative fondée en 2010, lorsque les Verts ont évolué pour devenir Europe écologie les Verts (EELV). C’est bien la preuve que cet esprit d’ouverture nous anime depuis longtemps ! Mais le processus des États généraux de l’écologie que nous avons lancé en février dernier répond avant tout aux attentes du moment, et est inédit pour notre mouvement. Il part du constat que les citoyens manifestent une forte appétence pour l’écologie, et que la société française est de plus en plus mûre face aux enjeux qu’elle pose. On le constate d’ailleurs avec l’accession croissante d’écologistes aux responsabilités à certains niveaux, comme aux dernières élections municipales de 2020 dans plusieurs villes — dont Poitiers.

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Cependant, le mouvement de l’écologie politique est bien loin de répondre aux aspirations de toutes ces personnes sensibles à l’écologie. Il nous fallait donc trouver une méthode pour faire évoluer notre mouvement afin qu’il gagne leur confiance, et corresponde mieux à leur désir d’engagement. Nous avons donc posé l’ouverture et l’écoute en principes centraux de ces États généraux. Une ouverture totale, dès le début, visant à associer dans un même mouvement les personnes adhérentes au parti et celles qui lui sont extérieures — ce qu’on pourrait appeler le peuple de l’écologie, soit toute personne ayant des attentes à l’égard d’un mouvement de l’écologie politique.

Cette ambition d’ouverture a été maintes fois énoncée, d’abord chez les Verts puis EELV, avec la volonté d’articuler le parti à des partenaires associatifs ou à des individus. Là, vous visez le ralliement d’un million de personnes, cent fois plus que le nombre d’adhérent·es d’EELV !

On ne peut pas nier que nous ayons toujours eu la préoccupation de l’ouverture et de la diversité en notre sein. Nous faisons aujourd’hui le constat que les sympathisant·es de l’écologie au sens large ne recherchent pas un statut particulier ni l’adhésion à une nouvelle organisation. C’est ce qui ressort notamment de la grande enquête que nous avons menée en ligne et dans les territoires auprès du grand public, et qui a donné l’occasion à plus de 30 000 personnes de donner leur avis. Plutôt qu’un cadre structuré traditionnel, les gens montrent une préférence pour des espaces d’engagement beaucoup plus souples dans leurs modalités d’organisation.

Il faut que notre projet soit perçu comme plus crédible et plus audible sur l’ensemble des sujets de société.

Les réponses recueillies sont cependant très contrastées, puisque certaines personnes manifestent le souhait de s’engager dans les campagnes électorales, au sens classique du terme. D’autres veulent bénéficier de formations, avoir accès à des informations associatives locales, s’engager dans des mobilisations en ligne, etc. Au bout du compte, nous avons conclu, dans les préconisations des États généraux de l’écologie, que l’on ne saurait répondre à cette diversité d’aspirations par la création d’un nouveau « statut du sympathisant » , mais plutôt en faisant des Écologistes un espace permettant de reconnaître et de rassembler toutes ces envies d’engagement.

Quels sont les autres points saillants de cette consultation ?

Parmi les éléments qui nous ont le plus marqués : près de 80 % des personnes souhaitent nous entendre sur d’autres sujets que l’environnement. Où nous sommes audibles, certes. Mais à plus de 50 %, par exemple, on veut nous entendre sur la défense des services publics, l’éducation, la santé, le « pouvoir d’achat ». Il faut donc que notre projet soit perçu comme plus crédible et plus audible sur l’ensemble des sujets de société. Nous sommes aussi fortement interpellés sur la capacité d’inclusion du mouvement. Comment faire que notre mouvement sache accueillir, fidéliser des militant·es, proposer des parcours d’engagement, mais aussi montrer plus de diversité dans ses incarnations, à l’image de la composition de la société. Aussi nous nous engageons à ce que la représentation de la diversité de la société soit le critère principal de nos futures désignations internes et externes. On reproche régulièrement au mouvement écologiste d’être « écolo-bobo-urbain ». Il faudra démontrer que c’est une appréciation très réductrice, en donnant plus de place aux milieux sociaux, professions, territoires, générations, moins représentés dans les espaces politiques.

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Autre enseignement : quand on demande aux gens d’expliciter les barrières qui freinent leur engagement politique, ils mentionnent régulièrement les guerres d’ego et les clivages en interne, ainsi que la complexité et l’opacité ressenties vis-à-vis des règles de fonctionnement. Il nous faut donc aborder de front la question de notre démocratie interne : nous sommes fiers d’être un mouvement plaçant la démocratie au cœur de son fonctionnement. Mais notre système de motions est aujourd’hui trop consommateur de temps et d’énergie, alors que l’on devrait en consacrer beaucoup plus à convaincre, à l’extérieur, de cheminer avec nous. Notre feuille de route acte ainsi la nécessité d’une réforme en profondeur de notre vie démocratique, pour aboutir à plus de simplicité, de cohérence, et de qualité de participation pour nos militant·es.

On sait qu’il ne suffit pas d’avoir un programme politique complet pour être reconnu comme crédible et audible sur tous les sujets.

Et puis dernier élément frappant, la question de la coopération. Nous avons diffusé un questionnaire spécifique à l’attention des organisations de la société civile. Plus de 180 nous ont répondu, et nous avons conduit des entretiens avec la plupart d’entre elles. À plus de 95 %, elles affirment vouloir renforcer les liens avec nous ! Pas juste pour siéger ici ou là, mais pour se coordonner et coopérer au service d’actions communes. C’est l’une des priorités affichées dans notre feuille de route : nous voulons travailler beaucoup plus étroitement avec tous les partenaires de la société civile — les associations, au niveau national et local, les syndicats mais aussi les mouvances les plus informelles qui émergent aujourd’hui, telles que les collectifs citoyens ou activistes, qui sont aussi des alliés dans les batailles écologiques.

Pourtant, ça fait bien longtemps que les programmes de votre parti sont généralistes, défendant les services publics, la justice sociale, l’équité économique, les avancées sociétales, la culture pour tous, etc. Votre public ne vous lit donc pas ?

Ça fait longtemps qu’on sait qu’il ne suffit pas d’avoir un programme politique complet pour être reconnu comme crédible et audible sur tous les sujets que l’on aborde. La défense des services publics n’est bien évidemment pas un impensé des programmes écologistes, et ce depuis longtemps. En revanche, pour les gens, nous ne sommes pas visibles dans ce type de bataille. Nous devons nous montrer davantage en prise avec ce qui préoccupe les personnes au jour le jour. Et parmi les premiers sujets, il y a le maintien des services publics de proximité — l’hôpital public se dégrade à grande vitesse, l’éducation va de réforme en réforme sans parvenir à résorber les inégalités, etc.

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On nous demande d’avoir à la fois des propositions, mais aussi un discours plus en prise avec la réalité quotidienne des Françaises et des Français. À la question « quelle tonalité attendez-vous de la part des écologistes dans les discours politiques ? », plus de la moitié répond, avant tout, un discours « pédagogique » et « entraînant », et beaucoup moins un discours clivant. Et je peux vous garantir que c’est aussi une attente entendue par les élus locaux !

Même étonnement sur l’inclusivité : EELV est l’un des partis le plus en avance sur ce sujet…

C’est vrai, et la force de nos discours et engagements sur le sujet impose une exigence d’exemplarité en interne, vis-à-vis de laquelle nous restons très humbles. Europe Écologie Les Verts est en effet un parti déjà relativement divers dans ses incarnations, qui se préoccupe par ailleurs fortement et depuis longtemps de lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Cependant, de récents épisodes ont montré combien l’on attendait de nous de la rigueur. Il ne s’agit pas tant de prendre conscience des enjeux que d’adopter en interne une méthode de prévention et de traitement rigoureuse des situations problématiques. C’est une priorité, car beaucoup de personnes nous renvoient qu’elles ont besoin de se sentir en sécurité pour venir militer avec nous.

Qu’est-ce qui pourrait aujourd’hui séduire ce « peuple écologique », ce million de personnes « au moins », dans la perspective de rallier à votre mouvement, qui patine sans succès dans la conquête du pouvoir, bien qu’habité depuis plusieurs décennies par la certitude de porter les idées politiques phares du 21e siècle ?

N’oublions pas qu’il n’y a pas que l’échelon national ! Qu’un certain nombre de communes aient été remportées par les écologistes tient aux mêmes ingrédients que ceux qu’expriment ces États généraux de l’écologie — l’ouverture, la capacité à travailler en coopération avec des partenaires, la préoccupation d’être concrètement en prise avec les enjeux du quotidien des Françaises et des Français. Quant au « million », c’est une expression visant avant tout à imager un effet d’entraînement. On n’aura jamais autant d’adhérent·es, les partis de masse, ce n’est plus dans l’air du temps ! C’est plutôt un million de sympathisants dont nous avons besoin pour faire avancer un projet de société fondé sur l’écologie, la justice sociale, la démocratie.

Au sein de ce large mouvement, le parti politique prendra pour nom Les Écologistes à l’horizon 2024.

Finalement, à quoi ressemblera ce « mouvement des écologistes » ?

Il s’agira d’un mouvement dans lequel auront vocation à être coordonnés et valorisés une diversité d’espaces d’engagement : initiatives associatives nationales et locales ; formations ouvertes à toutes et à tous ; mobilisations citoyennes, etc. Il s’appelera Les Écologistes. Et parmi tous les espaces d’engagement de ce mouvement très souple, très libre et sans adhésion, il restera une composante ‘parti politique’ qui prendra également pour nom Les Écologistes à l’horizon 2024. Nous espérons que cette nouvelle forme permettra d’embarquer suffisamment de personnes convaincues qu’il faut faire avancer l’écologie en France, parce qu’elle donnera une place à toutes leurs envies d’engagement.

Crédibilité, attractivité, lisibilité… Est-ce qu’EELV n’est pas confronté, in fine, à un problème de méthode ?

Question de méthode, mais aussi de fond et de forme. Les écologistes ont besoin aujourd’hui d’être perçus comme un mouvement plus mûr, et apte à engager une réelle transformation de la société. Dans leur projet politique, pour être audible sur tous les sujets qui préoccupent les Françaises et les Français ; dans leurs méthodes ; et dans leur communication. Il nous faut passer du rôle de lanceurs d’alerte, dans lequel nous nous cantonnons parfois encore, au rôle de moteur des transformations structurelles attendues dans la société, et dans tous les espaces — politique, institutionnel, juridique, associatif, etc. L’état des lieux est grave et il faut l’assumer, mais ce n’est pas en ajoutant de la peur et de la culpabilisation à l’anxiété générée par les incertitudes sur l’avenir, notamment chez les jeunes, que l’on parviendra à être entraînant. Nous sommes au contraire attendus sur un discours plus positif — sans être bisounours — qui donne confiance en notre capacité collective à construire un avenir meilleur. C’est aussi ce que nous avons entendu, à travers les États généraux de l’écologie.

Nous sommes attendus sur un discours plus positif.

En adoptant la dénomination Les Écologistes, pour le parti, ne craignez-vous pas que les autres formations politiques qui se réclament de l’écologie y voient une main mise hégémonique ?

Tout d’abord, il s’agit d’un intitulé beaucoup plus simple et lisible qu’Europe Écologie Les Verts. Ce changement s’inscrit donc dans les intentions de simplification des États généraux de l’écologie. Chacun sait par ailleurs combien, bien au-delà de notre nom, nous restons profondément européistes, l’Union européenne est au cœur de notre projet. Et puis ce choix témoigne surtout d’une ouverture au plus grand nombre : de nombreuses personnes disent « je suis écolo, mais pas membre d’EELV ». Demain, dire « je suis écologiste », ça pourra signifier avoir sa place dans un mouvement plus large et plus ouvert qu’un parti. Les Écologistes, c’est une affirmation fière de l’identité et de l’espace politique dans lequel on agit. Toutes celles et ceux qui s’y reconnaissent, d’une manière ou d’une autre, y sont bienvenues, et notamment bien sûr les partenaires politiques de l’écologie.

Pour les élections européennes de 2024, tous les partis composant la Nupes vont se présenter chacun de leur côté, jusqu’à nouvel ordre. Est-ce que vous pourriez envisager qu’il en soit de même pour les municipales de 2026 chez vous, à Poitiers ?

Je ne comparerai pas, pour ma part, des systèmes électoraux complètement différents, et l’on ne peut pas analyser les stratégies des organisations politiques de la même manière selon qu’il s’agisse des européennes, avec un scrutin à la proportionnelle qui, de fait, encourage la diversité des candidatures, et les municipales, scrutin de liste à deux tours. Si je me suis engagée dans la démarche des États généraux de l’écologie, c’est que j’ai pu observer, à Poitiers comme dans de nombreuses villes, combien l’ouverture et les méthodes démocratiques renouvelées étaient un ferment des victoires que les écologistes ont enregistrées en 2020.

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À Poitiers par exemple, plus de la moitié des personnes élues viennent de la société civile et n’ont jamais été encartées auparavant, ce qui ne les empêche pas de fournir un formidable travail et tout aussi engagé pour l’écologie que le sont nos adhérent·es. Et nous comptons bien poursuivre une telle dynamique en 2026, pour solliciter à nouveau la confiance des citoyennes et des citoyens de notre ville sur la base d’une démarche citoyenne. Aussi j’espère qu’à travers ces États généraux de l’écologie, nous aurons contribué à diffuser cette culture au sein de notre organisation.

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