Rama Yade a tout d’une grande…

Michel Soudais  • 20 février 2008
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Les municipales ne me laissent pas en repos. Ce samedi 16 février aurait dû être un jour de congé. Seulement voilà, mon maire, Mme Nicole Goueta, organisait cet après-midi une rencontre avec la jeunesse. A l’affiche, puisqu’une réunion UMP ne se fait plus sans people, Basile Boli, l’auteur du but victorieux de l’OM face au Milan AC en Coupe d’Europe. Il n’a pas parlé plus de trois minutes. Qu’importe puisque c’est Rama Yade que je voulais voir. La benjamine du gouvernement est en effet numéro trois sur la liste de droite à Colombes et, comme elle nous l’a confié d’entrée, c’était « la première fois dans [sa] vie » qu’elle organisait « une réunion publique » . C’était bien suffisant pour titiller ma curiosité.

J’ai déjà rencontré deux fois notre secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et aux droits de l’Homme , sur Radio Orient. Au printemps, quelques jours avant sa nomination. Et plus récemment, le 16 novembre. Je lui avais alors demandé de s’expliquer sur l’intitulé de son secrétariat d’Etat qui pouvait laisser croire que les droits de l’Homme n’étaient une préoccupation valable seulement à l’étranger. Elle m’avait expliqué que ce n’était pas sa conception.

Un mois plus tard, je découvrais que la même Rama Yade, interrogée par un jeune journaliste de Rue89, sur la gestion des mariages mixtes à Colombes, prétendait n’être en charge que des droits de l’homme à l’étranger. Elle déclarait aussi ne pas connaître le dossier qui avait valu à Nicole Goueta d’être condamnée par la Cour de Cassation, début 2007, pour ne pas avoir voulu célébrer un mariage entre un Français et une Algérienne. Or au micro de Radio Orient, je l’avais déjà interrogé sur cette condamnation… Si, le 16 novembre, elle découvrait cette affaire, elle ne pouvait plus l’ignorer ensuite.

Rama Yade et les droits de l’homme
envoyé par rue89

Pour prétendre ainsi une chose et son contraire en feignant d’ignorer un dossier dont les éléments lui ont été communiqués, je me disais que la chouchoute du gouvernement du haut de ces trente et un ans ne manque ni de culot ni de mauvaise fois pour faire une carrière. En cela, elle est bien conforme au sarkozysme, filiation chiraquienne. Restait à voir comment elle ferait campagne.

Première impression dans cette réunion publique: troisième sur la liste, Rama Yade, s’est comportée comme si elle en était la tête. La chef s’était elle. Quand Nicole Goueta introduit les débats en 2’40, elle tient le micro 21 minutes.

C’est elle qui distribue le micro. Encore elle qui défend le bilan de la maire sortante. Elle ne néglige rien qui permet d’enjoliver les réalisations de sa falote tête de liste. A commencer par les entreprises que Mme le Maire (seule) aurait fait revenir et qui «vont recruter des colombiens en priorité parce qu’elle le leur a demandé» . La secrétaire d’Etat au droit de l’homme (à l’étranger) en tire la leçon (douteuse) que l’UMP fait mieux que… le FN.

Deuxième impression: Rama Yade en fait trop. Dans sa réclame du bilan et du projet de l’équipe qu’elle vient de rejoindre, elle en rajoute. Non contente d’attribuer à la seule Nicole Goueta le trajet des tramway T1 et T2 qui desserviront Colombes dans un futur plus ou moins proche, elle affirme mordicus que le prolongement de la ligne 13 du métro va désenclaver le quartier de son enfance: «On ne sera plus obligé quand on vient de Paris de descendre au terminus à Asnières puis de prendre le 135 pour arriver aux Fossés Jean puisque la ligne 13 sera aux Fossés Jean.»

Pour ceux qui (comme Rama Yade?) ne connaissent pas les lieux, je précise que la prolongation de la ligne 13 [^2], en voie d’achèvement, va créer deux nouvelles stations de métro entre les communes d’Asnières et Gennevilliers. Du métro aux Fossés Jean, un des quartiers Nord de Colombes qui compte de nombreux logements sociaux, il faudra toujours prendre le bus 135 pour cinq stations.

Troisième impression: Comme Nicolas Sarkozy, son héros et modèle, Rama Yade jour sur la peur. Elle n’a aucun scrupule à s’emparer d’une question brûlante, le logement, pour jouer de l’inquiétude des gens dans le besoin venus l’écouter dans l’espoir d’une attention, ou d’une aide. Au cours de la réunion, plusieurs feront état de leur demande de logement non satisfaite, de courriers restés sans réponse… L’équipe sortante n’a pas construit un seul logement social en 7 ans de mandature, mais elle agite comme un trophée les 265 millions d’euros de subvention obtenus, en janvier, pour un projet de rénovation urbaine. Et laisse entendre à son auditoire qu’il pourrait être privé de cette manne si l’équipe aux écharpes fuchsias (elle les voyait roses) ne gagne pas. Ce qui est évidemment un joli mensonge.

Rama Yade se pose en victime d’une gauche raciste

Quatrième impression: le storystelling n’a plus de secret pour elle. Le sien est tout entier dirigé contre la gauche qu’elle veut délégitimer. Comme quand elle raconte sa version de sa visite improvisée en septembre dernier à des squatteurs qui avaient monté un campement en plein air à Aubervilliers, expulsés après que le maire eut obtenu de la justice qu’ils soient délogés. Cette démarche lui avait valu un rappel à l’ordre du Premier ministre François Fillon. «Je suis allée voir et j’ai découvert que le maire qui avait fait ça, c’était un maire communiste.»

Quand Rama Yade se raconte, c’est pour évoquer son enfance, «colombienne avant d’être française» , les difficultés qu’elle et sa famille ont connu (elle gomme au passage sa scolarité dans une école privée de la ville), avec au bout du chemin, à force d’entêtement, la réussite malgré l’absence de soutien de l’ancienne municipalité de gauche. Une réussite que «les socialistes et les communistes» , à la croire, lui contestent encore «parce qu’elle est noire» . Tel est le message principal que la jeune secrétaire d’Etat, se posant en victime, martèle insidieusement. Et parfois sans détour.

En guise de preuve, elle évoque des propos qu’auraient tenu des personnes socialistes et communistes mettant en doute la validité de ses diplômes et qu’on lui aurait rapporté. Effet garanti dans une salle acquise.

«Cette gauche qui dit défendre les modestes, les minorités et les immigrés, c’est cette gauche qui s’en prend à moi, qui ne suis que numéro 3 de la liste, je le rappelle, qui s’en prend à moi parce que je suis noire» , conclut-elle [^3].

Capable de dire une chose et son contraire, d’embellir la réalité, de s’imposer face à une élue qui ne voulait pas de son parachutage, comme de se poser en victime, la benjamine du gouvernement a tout d’une grande. J’entends par là tous les atouts pour faire une carrière à l’UMP.

P.S.: Aux dernières nouvelles, Rama Yade a été vue dans une école primaire de Colombes, accompagnée du Premier adjoint, en train de distribuer des tracts. Des photos existent de cette incursion (on peut les voir là et encore ici). Aurait-elle confondu le secrétariat d’Etat aux droits de l’homme avec un secrétariat d’Etat aux affaires scolaires?


[^2]: Le projet a été lancé en juillet 1998, sous le gouvernement de Lionel Jospin. Il est financé par l’Etat, la Région Ile-de-France, le Conseil Général des Hauts-de-Seine et la RATP.

[^3]: Le candidat de la gauche aux municipales de Colombes (Hauts-de-Seine), Philippe Sarre (PS), a dénoncé hier ces propos d’une «rare violence» . Il «trouve désolant que l’UMP en soit rendue à ce niveau et qu’un membre du gouvernement de la République n’ait pas d’autres arguments à faire valoir en direction des Colombiens» et se réserve «la possibilité de poursuivre en justice ces propos diffamants» en l’absence d’excuses publiques. La vidéo de l’intervention de Rama Yade, qui se trouvait paraît-il sur le site internet de la liste conduite par Nicole Goueta, avant la diffusion de ce communiqué, a été amputée depuis des propos contestés. Reste mon enregistrement audio.

Temps de lecture : 7 minutes
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