Le Vase De Soissons Et Le «Tabou» Des Retraites

Sébastien Fontenelle  • 10 mai 2010
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Illustration - Le Vase De Soissons Et Le «Tabou» Des Retraites

Ce matin, le député «socialiste» Jean-Marie Le Guen appelle à son tour son parti à s’engager sans «tabou» dans le (vif) débat sur la réforme des retraites où s’affrontent une droite qui juge qu’il faut qu’on réforme vitement les retraites, comme dans une dissertation de Christophe Barbier, et une «gauche» dont le siège est rue de Solférino, et qui de son côté considère plutôt qu’il faut qu’on réforme vitement les retraites, comme dans une rédaction de Denis Olivennes.

Je dis «à son tour», parce que Jean-Marie Le Guen était, si j’ai bien compté, l’un des tout derniers «socialistes» à ne pas encore avoir exhorté son parti à se libérer du joug du tabou des retraites – et, bon, tu sais comment ça se passe dans ces cas-là, tu peux faire le mariolle pendant quelques jours, mais au bout d’un moment faut quand même que tu choisisses le camp du progrès.

François Hollande, par exemple, a de longue date fait son devoir de «socialiste», en récitant dès le 28 mars dernier qu’au Parti «socialiste» la réforme des retraites n’était plus un «tabou» , et qu’elle passait notamment par un allongement de la durée de cotisation – en toute «justice» , il va de soi.

Itou – et conformément à son voeu, ancien, de ne plus jamais rester plus de trois ou quatre heures d’affilée sans réclamer une nouvelle droitisation de la «gauche» -, Manuel Valls a confirmé, dès le 22 avril dernier, après l’avoir déjà scandé au mois de janvier, que «pour un socialiste, la retraite à 60 ans n’est plus un tabou» – convenant pour l’occasion que, certes, vu de certaines catégories socio-professionnelles de type CSP moins, «la retraite à 60 ans est un acquis social» , mais qu’ «il y a des acquis à dépasser» [^2], et que donc, oui, comme l’a fort bien montré François Fillon, dont le fond de pantalon est d’un ravissant goût sucré, «la question de l’âge de départ à la retraite doit être dépassée» .

En somme, vérification faite: Jean-Marie Le Guen brise un tabou qui a déjà été mainte et mainte (et mainte, et mainte) fois brisé.

Notons, au passage, qu’il existe donc bel et bien, quoiqu’en dise Claude Allègre, une vraie différence entre le vase de Soissons et le tabou de la réforme des retraites, qui est qu’une fois que tu as brisé le vase de Soissons, ayé, il est brisé, on n’en parle plus, jamais personne vient te dire attends, si ça te fait rien, je vais briser le vase de Soissons que tu as déjà brisé – ça serait complètement con -, alors que le tabou des retraites, pardon: plus que tu le brises, plus que t’as de volontaires pour le briser.

Avec le brisage du tabou des retraites – mais tu noteras que ça fonctionne aussi avec le brisage de plein d’autres tabous -, le P«S» a en quelque sorte inventé le mouvement perpétuel – vive le «socialisme» scientifique -, mais revenons s’il te plaît à Jean-Marie Le Guen, qui a bien évidemment réservé ce matin la primeur de son appel du 10 mai au quotidien Libération , dont le barbichu taulier bubule quant à lui depuis de très, très, très longues années que «la gauche» doit se libérer de la «série de tabous» qui l’empêchent d’ «épouser son temps» , etc.

Que dit à Libération le bon Le Guen?

Le bon Le Guen dit à Libération qu’il faudra mobiliser, pour la réforme des retraites, «non seulement les revenus du travail, mais aussi ceux des capitaux financiers» .

Puis bien sûr, et tout de suite après, il précise – pour le cas douteux où le Medef irait s’imaginer qu’il vient de faire une promesse, et non l’une de ces traditionnelles boutades solfériniennes qui font dire à Vincent Bolloré que non, vraiment, ces «socialistes» sont tordants: «Mais tout le monde est d’accord pour dire que cette ressource ne suffira pas.»

Un terrible hurlement de rage monte alors d’une population harassée que les mensonges des «socialistes», s’additionnant aux vilenies du régime, poussent vers la folie, et qui sait fort bien, elle, que si, bien sûr, la ressource d’une mobilisation des revenus des capitaux financiers suffirait à combler en quelques minutes le déficit des retraites – même un enfant de trois ans moyennement versé dans le bolchevisme peut très facilement le vérifier, ici, par exemple -, et qui par conséquent n’est pas du tout «d’accord» avec Le Guen, et qui du reste lui promet, s’il persiste à faire comme si «tout le monde» pensait comme lui, de lui mettre bientôt son pied au fondement.

Mais Le Guen, inconscient que des millions de souliers lui tanneront le cul s’il ne change pas ton, hausse d’un cran sa divagation: «N’ayons pas peur du compromis social!»

Lance-t-il aux «socialistes» qui depuis trois décennies ont sans cesse réinventé la compromission sociale.

«Il faut aborder, sur les retraites, les négociations avec la droite sans condition préalable» .

Ajoute-t-il.

(Orgasme collectif au siège de l’UMP.)

Et de demander, pour finir: «Y a-t-il des gens, au PS, qui proposent l’abandon de toute réforme» des retraites?

Des gens de gauche???

Rue de Solférino???

Et de répondre: bien sûr que non, «soyons sérieux» .

Et là, en effet, reconnaissons-le: tout le monde est d’accord avec lui.

[^2]: Non mais sérieusement, qu’est-ce qu’on en a à foutre, des acquis sociaux, on est au Parti «socialiste» , là, ou chez Maüs?

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