Darcos (ne) censure (pas encore) la Palme d’or

Le ministre de l’Éducation nationale pris en flagrant délit de complicité avec une association anti-avortement, à propos du film de Cristian Mungiu récompensé à Cannes.

Christophe Kantcheff  • 12 juillet 2007 abonné·es

Le retour de l’ordre moral n’est décidément pas qu’une impression. On a pu s’en apercevoir ces dernières années, notamment au travers des plaintes déposées, souvent par des ligues de vertu rances ou des associations de protection des enfants, contre des œuvres ou des expositions d’art contemporain. Dans ce même élan régressif, le gouvernement de Nicolas Sarkozy, via Xavier Darcos, commence fort.
Dans un premier geste, le ministre de l’Éducation nationale avait en effet décidé que le travail d’accompagnement pédagogique de 4 mois, 3 semaines, 2 jours, de Cristian Mungiu, Palme d’or cette année à Cannes, et prix de l’Éducation nationale, n’aurait pas lieu. Ce travail consiste notamment en l’édition d’un DVD produit et diffusé dans les classes par le Centre national de documentation pédagogique. Dans une lettre du 2 juillet adressée à l’inspectrice générale de l’Éducation nationale, Christine Juppé-Leblond, le directeur du cabinet du ministre, Philippe Court, justifiait ainsi cette décision : « Après avoir constaté en personne la dureté délibérée de 4 mois, 3 semaines, 2 jours sur un sujet touchant à l’intime, et en vertu du principe de précaution, il n’apparaît pas souhaitable… »

« Dureté délibérée » ? En effet, il semble que ce soit volontairement que Cristian Mungiu n’ait pas réalisé une romance sur les conditions d’un avortement, nécessairement clandestin, dans la Roumanie de Ceausescu. Il semblerait même que le cinéaste ait mobilisé tous les moyens cinématographiques à sa disposition, en particulier scénario et mise en scène (cadrages, lumières, jeu des comédiens…), pour révéler ce que cet acte requerrait d’énergie du désespoir chez les jeunes Roumaines, les laissant totalement démunies, surtout sur le plan psychique, une fois les obstacles surmontés. Voilà qui aurait pu ouvrir sur de riches réflexions avec les élèves. Comme ce fut le cas, par exemple, avec Elephant, de Gus Van Sant, Palme d’or en 2003, qui, malgré sa « dureté délibérée », bénéficia d’un travail d’accompagnement pédagogique.

Quant à l’invocation du « principe de précaution », elle laisse sans voix, le film de Cristian Mingiu étant ainsi reconnu potentiellement plus dangereux qu’un champ de maïs transgénique.
En outre, le ministre, toujours par l’intermédiaire de son directeur de cabinet, tance Christine Juppé-Leblond pour avoir laissé les jurés du prix de l’Éducation nationale se prononcer en faveur de 4 mois, 3 semaines, 2 jours, et lui recommande d’être plus vigilante à l’avenir sur les critères d’attribution du prix. Un véritable rappel à l’ordre… moral !
Xavier Darcos n’est pourtant pas un esprit fermé. Le ministre a su entendre d’autres avis avant de trancher. Celui, par exemple, de l’association anti-avortement Choisir la vie, qui, dans un communiqué publié au lendemain de la remise de la Palme d’or, en appelait au ministre pour qu’il s’oppose à la diffusion de 4 mois, 3 semaines, 2 jours dans les établissements scolaires. La Société des réalisateurs de films a dénoncé haut et fort ces pressions, faisant reculer, un peu, le ministre. Celui-ci a en effet suspendu samedi sa décision de censurer la Palme d’or.

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