Quand la télé étonne

Le Fipa a laissé entrevoir ce que serait un petit écran de qualité si les chaînes étaient moins frileuses.

Jean-Claude Renard  • 31 janvier 2008 abonné·es

À l’ouverture du Festival international des programmes audiovisuels (Fipa), Pierre-Henri Deleau, délégué général de la manifestation, a rappelé que nombre de films primés l’an passé n’avaient toujours pas été achetés en France (au contraire de l’Allemagne et de l’Angleterre). Tel est le cas, par exemple, de la remarquable Saga moscovite , le premier cercle ou de Frantz et Pauline , des oeuvres en dehors des formats standards. Deleau a pointé là tout l’intérêt et l’enjeu que représente le Fipa, vitrine de la production nationale et internationale, qui donnerait à voir et à penser que « la télévision peut encore nous étonner » . Quel que soit le genre.

Se sont bousculés des films parfois déjà diffusés : l’Affaire Ben Barka , de Jean-Pierre Sinapi (France 2) ; Claude Chabrol, l’enfant libre , de Jean-Bernard Thomasson (France 5) ; Comme un Juif en France , d’Yves Jeuland (France 3) ; ou encore les Maeght, une histoire de famille , de Valérie Exposito (Arte). D’autres oeuvres, produites, coproduites ou acquises par les chaînes, passeront bientôt sur le petit écran. Sur France 3, l’Affaire Finaly , de David Korn-Brzoza, relatant le sort de deux enfants juifs confiés à une directrice d’école pendant la guerre et non restitués en 1945 à leurs proches survivants. Un fait divers basculant en affaire d’État, divisant catholiques et juifs, cléricaux et laïcs, mondes intellectuel et judiciaire. Sur France 3 également, Roubaix, commissariat central , de Mosco Boucault, tout l’ordinaire d’un bureau de police, ou encore Afghanistan, le choix des femmes , portrait croisé de deux Afghanes, l’une incarnant le pouvoir démocratique naissant, l’autre le pouvoir autocratique des chefs de guerre des provinces reculées. Sur Arte, une évocation de Mai 68 par Simon Brock, Générations 68 , une autre sur l’installation du gouvernement Pétain à Vichy, de Bertrand de Solliers.

Si les professionnels viennent précisément à Biarritz pour faire leur marché, parmi les oeuvres présentées, beaucoup risquent de rester confidentielles. Parce qu’elles sont moins évidentes. Ainsi les Enfants abandonnés de Bulgarie , de Kate Blewett, galerie de portraits de mômes dans un orphelinat retiré du monde ; Dis à Mario de ne pas revenir , de Mario Handler, sur la dictature en Uruguay de 1973 à 1986, Gekiryu chugoku , de Toshifumi Kataoka, un reportage sur les autorités chinoises et leur volonté de censurer l’information.

On peut espérer que Qualcosa di sinistra , de Wolfgang Achtner, soit diffusé en France dans un proche avenir, s’agissant d’un long entretien avec Nanni Moretti, qui livre son rapport à la politique à travers ses films et son engagement personnel. On pourrait espérer que le reportage exceptionnel de Daniel Grandclément, les Martyrs du golfe d’Aden , sur les conditions épouvantables de l’exil vers le Yémen de Somaliens et d’Éthiopiens, soit enfin diffusé dans son intégralité, et non pas seulement par petits bouts.

En revanche, quelles sont les chances d’acquisition de Ser Isla , somptueux documentaire de Eun-Hee Ihm~? Un voyage visuel et sonore, tourné sur l’île de Sorokdo, en Corée du Sud, destination des lépreux depuis l’occupation japonaise, autrefois véritable camp de concentration, devenu un lieu d’isolement pour les malades. Une réflexion sur la valeur de la vie humaine, dont la synecdoque pourrait tenir dans une longue scène finale, éprouvante, étirée sur la difficulté à glisser un fil dans le chas d’une aiguille.

Si rien ne filtre sur les acquisitions des chaînes, assurément, on ne peut guère parler de crise d’écriture, de scénario, ni d’idées. Des créateurs, des documentaristes, des producteurs n’en manquent pas. Reste à diffuser ces idées, sans frilosité.

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