Le marin des terres

Dans « Capitaine Achab », Philippe Ramos imagine une partie de la vie du personnage de « Moby Dick ». Mêlant la légèreté du conte et une liberté poétique peu courante.

Christophe Kantcheff  • 14 février 2008 abonné·es

Capitaine Achab. Le même ? Celui de Moby Dick ? Oui oui, le même. Tel qu’on ne le connaît guère, cependant. Le deuxième long métrage de Philippe Ramos n’est pas une nouvelle adaptation du roman ultramarin de Melville, après celle de John Huston (1956). D’ailleurs, c’est à peine si on voit la mer, dans Capitaine Achab . Le générique précise : « librement inspiré de l’oeuvre d’Herman Melville, Moby Dick ». Capitaine Achab est le résultat d’une rêverie de lecteur. Celle qui nous prend au détour d’une page, quand le texte a cette force d’emmener loin, et que soudain on se retrouve vraiment ailleurs. Ainsi, Philippe Ramos a imaginé une partie de la vie d’Achab, celle, surtout, qui ne se passe pas sur son navire.

Les malheurs de son enfance, où à la mort de ses parents s’ajoutent la veulerie des adultes et la violence de bandits de grands chemins ; le goût pour la mer, qui, loin d’être une vocation, lui vient un peu par hasard ; un amour pour une femme, pas aussi puissant que l’appel du fameux cachalot blanc… Capitaine Achab se décline en quelques tableaux. Le dernier, se déroulant sur la mer, étant le seul qui sorte directement du roman, avec des variations. Sinon, l’imagination est au pouvoir. L’une des trouvailles les plus fécondes est d’avoir fait d’Achab un homme originaire d’un pays de terre et de forêts. D’où un contraste fort entre des ambiances végétales et sensuelles, et des tonalités plus humides et froides.

C’est d’ailleurs dans ce qui émane du film ou dans ce qu’il évoque, plus que dans la narration elle-même, que réside le meilleur de Capitaine Achab . Lui aussi nourrit le songe éveillé du spectateur. Comme, par exemple, cette longue dérive en barque sur une rivière, alors que le jeune Achab (Virgil Leclaire) y est inconscient, qui résonne avec le souvenir de la Nuit du chasseur ; ou ces deux bandits mis à prix, assommant l’enfant par surprise, qui semblent, avec leur bizarre accoutrement, tout droit sortis d’un roman de Dickens ; ou encore ces étonnantes images d’un cachalot dans les fonds marins, prises par le National Geographic et utilisées par Philippe Ramos, qui diffusent une improbable mélancolie.

Capitaine Achab n’est certes pas totalement abouti. Tous les comédiens ne sont pas au diapason : Jean-François Stévenin, en père Achab, marche à côté de son rôle, quand Hande Kodja, en fille libre, Philippe Katerine, en affreux, Carlo Brandt, en pasteur généreux, ou Dominique Blanc, en femme amoureuse, sont très convaincants. De même, le film ne parvient pas dans sa seconde partie à atteindre toute sa dimension lyrique alors que l’obsession d’Achab (Denis Lavant), qui lui a valu une jambe en moins et l’impossibilité de rester auprès d’une femme aimante, barre l’horizon de sa vie.

Il n’empêche. Capitaine Achab témoigne d’une fraîcheur du regard, qui permet de réinventer la légèreté du conte, et d’une liberté poétique, peu courante aujourd’hui dans le cinéma français, qu’il convient donc de saluer.

Culture
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