« Les Roms : une cible facile du discours sécuritaire »

L’été aura été marqué par une intense répression à l’égard de la communauté rom. Plusieurs centaines de personnes ont été expulsées, malgré leur statut de citoyens européens. De nombreuses voix s’élèvent contre cette politique honteuse. Vice-président de la Ligue des droits de l’homme, Malik Salemkour analyse l’acharnement actuel contre les Roms.

Jean-Claude Renard  • 26 août 2010 abonné·es
« Les Roms : une cible facile du  discours sécuritaire »
© PHOTO : PICLISAN/AFP

Politis : Depuis les incidents de Saint-Aignan, à la mi-juillet, comment expliquez-vous ce durcissement gouvernemental à l’égard des Roms ? Et, à vrai dire, est-il nouveau ?

Malik Salemkour : Ce n’est, en effet, pas nouveau, depuis que Nicolas Sarkozy a été ministre de l’Intérieur. Le gouvernement s’est focalisé sur cette population parce qu’elle permet de cristalliser son discours sécuritaire. C’est une population précaire, ­pauvre, gênante, ciblée déjà en 2004 quand on a fait de la mendicité un délit. Ce sont en même temps des étrangers, souvent sans papiers, et qui ne sont pas défendus, notamment par leurs pays d’origine. Finalement, ce sont des proies facilement repérables, dont on parvient vite à ­saisir les impacts médiatiques. Ce n’est que de l’affichage. Car on ne peut pas s’attaquer aux Noirs ni aux juifs. On a essayé avec l’islam, du moins avec l’islam intégriste, mais en prenant des précautions par rapport aux musulmans. Dans le cas des Roms, c’est une population que tout le monde considère à part. Quand on regarde le baromètre du racisme en Europe, les Roms sont systématiquement stigmatisés. C’est une population qu’on n’aime pas. Cet été, il fallait trouver un moyen de parler d’autre chose que de l’affaire Woerth ou de la rentrée sociale.
Ce n’est là qu’un effet de la politique sécuritaire qui est menée, et c’est en même temps un échec de cette politique. En 2009, sur 30 000 expulsions, il y avait 9 800 Roms, d’origines bulgare et roumaine. Ils n’en restent pas moins estimés autour de 8 500 aujourd’hui. À côté de cette politique du chiffre, cela démontre bien l’inefficacité du dispositif.

Des violences ont eu lieu en même temps à Grenoble. Cette coïncidence a été l’occasion d’un amalgame entre Roms, insécurité et violences urbaines…

Absolument, d’autant que les images ont été très fortes. Les gens du voyage qui ont réagi à Saint-Aignan à la mort de l’un des leurs, tué par des policiers à la suite d’un contrôle, ont été considérés comme des bandits qui ne respectent rien. On parle alors de réseau mafieux, de délinquance, de gens du voyage et de Roms. Cela a permis d’asseoir le discours qui veut s’attaquer à ceux qui ne respectent pas la loi. Après quoi, il suffit de choisir une cible facile, comme les Roms, qui, en réalité, ne sont pas des gens violents, mais plutôt des fatalistes, qui acceptent aisément d’être expulsés. C’était l’occasion de taper sur eux.

Il existe en effet un amalgame, entre les Roms et les gens du voyage, de nationalité française…

La France ne reconnaît pas les minorités ethniques. Elle n’a jamais voulu reconnaître la présence de Roms, de Tziganes ou de gitans sur le territoire français, c’est ce qui explique les approximations.

Malgré les critiques,
en France et à l’étranger,
le gouvernement affirme respecter les textes européens, soulignant que les départs sont volontaires. Qu’en est-il réellement ?

Expulser un Européen est tout à fait possible. C’est le cas lorsqu’il y a ­trouble à l’ordre public. Ce n’est pas celui des Roms. En revanche, un ressortissant européen, au-delà de trois mois sur le territoire, qui est en insuffisance de ressources, c’est-à-dire représentant une charge déraisonnable pour les régimes sociaux français, peut en effet être expulsé, après une obligation de quitter le territoire dans un délai d’un mois. C’est aussi le cas s’il y a détournement de la législation du travail, c’est-à-dire s’il y a un travail au noir. Individuellement, donc, les cas sont possibles. Mais, dans le contexte actuel, il n’y a pas de cas par cas. On estime a priori que les Roms sont pauvres, qu’ils sont une charge déraisonnable, vivent en bidonville. On les vire donc collectivement. Non pas les Maliens ou d’autres étrangers qui vivent dans des bidonvilles, estimés à près de 230 000 en France, mais exclusivement les Roms. Ce sont donc des expéditions punitives. Quant aux retours volontaires, ils sont contraints. Quand on est harcelé par la police, ballotté d’un lieu à l’autre, on n’a plus guère le choix ! Enfin, la prime au départ, à hauteur de 300 euros par personne, crée une situation de départ rentable. Non seulement ils perçoivent une somme mais ils peuvent revenir.

A priori, ce ne serait plus le cas après la mise en place en septembre du fichier nommé Oscar, signifiant « Outil simplifié de contrôle des aides au retour »…

Oscar est un fichier sur les bénéficiaires de l’aide au retour, créé simplement pour empêcher les gens de la toucher deux fois, mais non pour les empêcher de revenir. C’est une aide qui est délivrée aux personnes dans une situation de dénuement, accordée pour retourner dans leur pays d’origine. Du coup, dans le cas d’une personne qui, six mois ou un an après, se retrouve à nouveau en France dans la même situation de dénuement, on peut craindre certaines discriminations si cette aide lui est refusée. En attendant, il n’y a pas de moyens d’empêcher les retours.

Éric Besson plaide pour sa défense « un retour humanitaire » et « la promotion de l’égalité des chances » dans sa feuille de route…

Si les gens veulent rentrer au pays, pourquoi pas ? Encore faut-il qu’il existe un vrai projet au retour. Ils sont 2 millions de Roms en Roumanie à vivre déjà dans des conditions très ­difficiles. Cette « égalité des chances » serait valable si on soutenait un accompagnement individualisé au pays. Ce qui n’est pas le cas.

Éric Besson a également déclaré que « la France fait au moins aussi bien que ses partenaires européens en matière d’immigration »…

Il existe certes des politiques d’expulsion ailleurs, au Danemark, en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Espagne. Mais la France, à l’exception de l’Italie maintenant, est le seul pays qui cible principalement les Roms, sans même chercher à maquiller ses opérations.

Au sommet européen consacré aux Roms, tenu à Bruxelles, il y a deux ans, Christine Boutin, alors ministre du Logement, avait promis la suppression du titre de circulation. Que s’est-il passé depuis ?

Cela concernait les gens du voyage, qui vivent en caravane de manière régulière, non pas les bateliers. Finalement, ce titre de circulation, imposé aux plus de 16 ans qui n’auraient pas de ressources régulières, n’a jamais été abrogé. Cette loi de 1969 est encore appliquée, bien que condamnée par le Conseil de l’Europe. Parce que, sur les gens du voyage, il existe toujours un regard policier. On considère qu’une population itinérante est une population à surveiller.

Que peut-on attendre de la rencontre entre les ministres roumains et les autorités françaises ?

On espère que les autorités roumaines défendront leurs ressortissants, en termes de dignité et de traitement individualisé. Or, on parle déjà de démantèlement de filières, de trafiquants. Ce ne sont clairement pas ceux qu’on expulse. Surtout, le débat qui se profile avec les autorités roumaines vise une interdiction d’entrer sur le territoire français, voire une interdiction de sortie de Roumanie, ce qui porterait atteinte à toutes les dispositions de libre circulation dans l’Union européenne.

Quel est le pouvoir des associations, voire des élus, face à cette politique répressive ?

Celui d’abord de protester ! Dès que l’on apporte une prise de conscience internationale, cela crée une pression diplomatique. Aujourd’hui, on sent bien que ça tangue à droite sur le ciblage et la dérive sécuritaire. Il s’agit aussi de mener des actions concrètes sur le terrain, telles que contester les obligations à quitter le territoire, se porter en justice quand les familles acceptent d’aller jusque-là. Enfin, il convient de ramener le débat sur l’essentiel : aujourd’hui, dormir dehors, pour les Roms, dans une situation précaire, c’est acceptable, tout comme d’être renvoyés chez eux. En réalité, il manque 600 000 logements en France. Pour les personnes françaises ou étrangères, il existe une réelle difficulté à se loger, d’autant qu’il n’existe plus d’hôtels meublés, de loyers loi de 1948, ce type de logement qui permettait aux plus pauvres de trouver des solutions. La vraie priorité est donc celle de l’habitat. Dans un autre registre, au niveau européen, après la libre circulation des capitaux, des travailleurs ou des étudiants, on observe que le pauvre est le seul à ne pas avoir le droit de quitter son territoire. Cela pose les vraies questions sur l’Europe que l’on veut, celle que l’on construit.

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