Afghanistan : « On a créé une situation plus difficile qu’en 2001 »

Spécialiste de la région, Gilles Dorronsoro* estime que les talibans ont renforcé leurs positions au cours des derniers mois. Alors que les Occidentaux doivent se retirer au plus tard fin 2014.

Denis Sieffert  • 2 février 2012 abonné·es

La situation en Afghanistan est plutôt marquée par un renforcement des talibans. Selon Gilles Dorronsoro, un partage du pays est à craindre.

**Quelles sont les positions des talibans, aujourd’hui sur le terrain ?

Gilles Dorronsoro :** À part certaines régions comme le centre (chiite) ou le Panjshir, au nord, qui était la région de Massoud, leur présence est plus « nationale » qu’elle ne l’était initialement. Dans certains districts, ils ont été obligés de se replier lorsque les États-Unis intensifiaient leurs efforts. On a alors assisté à un changement de mode opératoire, davantage d’assassinats et d’opérations suicides. Ils sont en revanche de plus en plus présents dans l’est du pays, près de Jalalabad et de la frontière pakistanaise. Dans la vallée de la Kapisa, à l’est de Kaboul, cela dépend de la configuration ethnique. Les Pachtounes sont plutôt pro-talibans, les non-Pachtounes, plutôt anti. Mais 2011 a été une bonne année pour l’insurrection.

Saisi par l’émotion de l’attentat de New York contre les tours jumelles, et ses trois mille morts, le monde entier avait approuvé au moins tacitement le lancement de l’opération « Liberté immuable », le 7 octobre 2001, en Afghanistan. Près de douze années plus tard, l’heure du bilan a sonné. L’enlisement sur le terrain des armées de la coalition, doublé d’un retournement des opinions publiques frappées par la mort de militaires pour une cause incertaine, conduisent aussi bien Barack Obama que Nicolas Sarkozy à annoncer le désengagement de leur pays : fin 2014 pour l’un, fin 2013 pour l’autre, et peut-être même avant si François Hollande remporte la présidentielle et tient sa promesse de rapatrier nos derniers soldats dès la fin de cette année. Depuis 2001, 1 864 soldats américains ont trouvé la mort, ainsi que 974 soldats appartenant à d’autres pays de la collation. Et, parmi eux, 78 Français. Du côté afghan, on compte 16 896 morts, civils, militaires ou policiers. Et tout ça pourquoi ? Le politologue Gilles Dorronsoro le dit dans l’entretien publié ci-contre. Aujourd’hui, les talibans sont à peu près partout, prêts à reprendre tout ou partie du pays, soutenus qu’ils sont par le Pakistan voisin.
Que peut-il se passer après un retrait occidental ?

L’armée afghane est très faible. Beaucoup moins nombreuse qu’on ne le dit officiellement. Elle comptera sans doute moins de 100 000 hommes au moment du retrait. Et Hamid Karzaï n’a aucun projet politique. Il est dans l’incapacité de réformer l’État, ou de prendre la moindre initiative significative. Du reste, que signifie l’État aujourd’hui pour un paysan afghan qui est loin de Kaboul ? Probablement plutôt l’insurrection ou un potentat local. Dans l’immédiat, les Américains ne pourront sans doute rien négocier avec des talibans. Aux États-Unis, les Républicains y verraient un signe de faiblesse, et Obama a une marge de manœuvre limitée en année électorale. Karzaï est de toute façon dans une position difficile car il a peu de soutiens politiques. Sa signature n’engage pas forcément les groupes armés au nord.
On risque donc d’avoir une situation de partage du pays, avec le Sud et l’Est tenus par les talibans, et Kaboul, la capitale, pourrait sans doute être sanctuarisée au moins quelques années si les États-Unis maintiennent des bases.

Mais cela suppose au minimum le maintien d’une aide économique sur le long terme, ce qui n’est pas acquis.

Quel bilan général tirez-vous de l’intervention occidentale ?

On a recréé une situation plus difficile qu’en 2001 dans la mesure où la frontière afghano-pakistanaise est (re)devenue un no man’s land. Les talibans sont aujourd’hui presque plus en sécurité en Afghanistan qu’au Pakistan. De plus, le climat s’est encore détérioré entre les États-Unis et le Pakistan. Chacun sait que le Pakistan soutient les talibans, ce qui limite les possibilités de règlement diplomatique.

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