Gaza vise l’indépendance… énergétique

Le territoire tente d’assurer sa production électrique en dehors des contraintes imposées par Israël. Par Christophe Oberlin.

Christophe Oberlin  • 15 mars 2012 abonné·es

Il pleut sur Gaza. Pas le crachin habituel en cette saison, suffisant pour l’agriculture séculaire de la région. « À Gaza, écrivait Ibn Haukal au Xe siècle, il n’est point besoin d’arroser les cultures : elles le sont naturellement par la pluie et la rosée du matin. » Cette fois-ci, c’est une pluie battante qu’on dirait tropicale si la température n’était exceptionnellement basse : moins de 10 °C au matin. Il neige d’ailleurs sur la Jordanie et à Jérusalem. En fait, c’est la tempête qui fait rage, sur terre comme sur mer. Et pourtant, malgré un vent soufflant à plus de 60 km/h en sens contraire, le traditionnel marathon de Gaza n’a pas été annulé. Les coureurs ont bravé les fragments de toits arrachés virevoltant de toutes parts.

Certaines infrastructures de l’eau et de l’électricité ont été endommagées. Et les coupures d’électricité qui empoisonnent la vie des Gazaouis depuis des mois se sont encore accentuées. On en parle et on s’en plaint : entre douze et seize heures par jour sans courant.

De retour d’Égypte, où il a été acclamé par une foule immense à l’université El Azar du Caire, Ismaël Haniyé fait du temps et de l’électricité les deux points forts de son intervention ce vendredi. Il ­remercie d’abord les éléments, car ici la pluie est un bienfait des dieux : « Les plus fortes pluies depuis vingt-cinq ans, 358 millions de mètres cubes d’eau, dont 27 millions ont fait monter le niveau de la nappe phréatique » . Le Premier ministre, sans notes, ne s’en tire pas mal avec les chiffres pour un professeur d’arabe.
Pour l’électricité, les besoins actuels de Gaza sont d’une centaine de mégawatts. Israël en fournit un tiers par son réseau électrique. Les quatre générateurs de Gaza produisent 40 mégawatts, à partir du fuel importé d’Israël au prix du marché international.

Par les tunnels qui relient Gaza à l’Égypte, le fuel est quatre fois moins cher. Mais les militaires égyptiens ont fait savoir qu’ils souhaitaient que les accords signés soient respectés. Quels accords ? Ceux de Paris, dans le sillage d’Oslo. « Ceux, précise Aouni Naim, directeur de l’énergie au ministère de l’Économie de Gaza, qui stipulent que nul ne peut vendre un bien à Gaza à un prix inférieur… au prix pratiqué en Israël !   » Ce qui veut dire que le fuel égyptien doit entrer à Gaza par le passage israélien de Kerem Shalom, à un prix quatre fois plus élevé. Les Israéliens prélevant de plus les taxes d’importation, et les reversant… à l’Autorité palestinienne de Ramallah ! Peut-on imaginer un accord plus léonin pour les Gazaouis ?

Malgré tout, un plan existe. Augmenter immédiatement de 17 à 22 mégawatts la quantité d’électricité en provenance d’Égypte. L’Algérie et l’Iran ont proposé du fuel pour les générateurs. Mais ira-t-on plus loin que les mots ? Une banque de Djeddah est prête à financer l’installation en Égypte d’un générateur de 40 mégawatts à Sheikh Zaïd, consommant du fuel au prix égyptien. Cela pourrait fonctionner d’ici deux mois.

À plus long terme, Gaza pourrait intégrer l’Arab Line, une sorte de consortium de huit pays arabes, à deux conditions : n’avoir aucune connexion électrique avec Israël, et assurer une couverture minimum de ses propres besoins en électricité. Sous deux ans, ce devrait être possible. Israël ne ferait plus la pluie et le beau temps.

Le discours d’Ismaël Haniyé est affiché dans la cour de la grande mosquée de Gaza, qui fut jadis une église byzantine érigée sur le site du « Marnéion », temple de Marnas : le dieu de la pluie apporté de Crête par les Philistins au peuple de Canaan, il y a plus de trois mille ans.

Monde
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