Expo : Concordance de temps

Sur le chemin de Compostelle, un parcours d’art contemporain en trois étapes.

Jean-Claude Renard  • 12 juillet 2012 abonné·es

Tous les chemins mènent à Rome. Ou à Saint-Jacques-de-Compostelle. Ça remet loin. Des lustres déjà. Plein Moyen Âge. Plein art roman. Quand le christianisme a pris son essor, érigé ses bâtisses religieuses. Avec son alternance de colonnes et de pilastres, ses arcades géminées, ses chapiteaux, ses arcs en plein cintre, ses fenêtres en meurtrière, ses voûtes en berceau. Toute une grammaire et une plastique équilibrée, vigoureuse, robuste et élégante.

Avec ses pèlerinages aussi. Dont Saint-Jacques-de-Compostelle, en Galice, est l’un des plus prisés. Si la route est ponctuée d’étapes, nombre d’entre elles jalonnent le paysage languedocien, véritable carrefour routier dans les plis et replis de la garrigue et des forêts. Des lieux chargés d’histoire, c’est peu dire. Comme l’abbaye de Gellone en témoigne, à Saint-Guilhem-le-Désert. Une abbaye bénédictine fondée en 804 par un aristocrate aquitain carolingien. Une communauté de religieuses vit encore sur place. Un lieu vivant en somme, loin de toute architecture abandonnée, tombée dans la mistoufle des mémoires. Un lieu aujourd’hui ragaillardi aussi par le travail de Richard Deacon, sculpteur gallois (né en 1949), investissant l’espace avec un triptyque « Sur mesure » : trois compositions d’un même tube d’acier, segmenté en parts égales (40×80×106), aux formes arrondies et disposées dans le cloître de l’abbaye suivant une courbe noueuse.

Taraudant les paradoxes, Richard Deacon établit ainsi une relation dynamique entre l’environnement, un contexte architectural roman et les formes complexes de l’œuvre, en rondeurs enveloppantes, quasi maternelles (comme un clin d’œil aux carmélites).

Itou pour Rainer Gross (né en 1953), sculpteur allemand, dont l’œuvre est présentée au prieuré Saint-Michel-de-Grandmont (XIIe siècle). Une œuvre enchâssée dans le cloître, s’appuyant sur les murs, constituée d’un assemblage de plusieurs centaines de lattes de peuplier noircies flexibles. Une structure en mouvement dans l’espace, aux formes fluides et graphiques, avec ses sinuosités, ses torsions et distorsions. Des lignes aériennes, fonctionnant comme une émulsion solide. Gross négocie avec la terrasse du cloître et son campanile, avec les contraintes des lieux, multipliant les configurations, pour livrer une autre relation spatiale au décor séculaire, une perception se renouvelant au gré des déambulations.

Troisième volet d’une exposition légitimement nommée In situ, remarquablement orchestrée par Marie-Caroline Allaire-Matte : le travail de Tjeerd Alkema, sculpteur hollandais (né en 1942). Dans la monumentalité sobre et dépouillée de l’église Saint-Étienne d’Issensac (près de Brissac), élevée au XIIe siècle également, entourée d’un enclos paroissial, le sculpteur a déposé un « Cube ». Reposant sur un pavage de guingois, un cube qui n’en est pas un, avec ses faces courbées, mutines, fuyantes, en mouvement. Époustouflante composition géométrique, au pur de l’épure, conjuguant illusions et déformations optiques, proportions, une brinquebale de perspectives, empruntant à l’anamorphose, invitant le spectateur à évoluer autour de l’œuvre, stupéfait, médusé par des formes à la fois simples et complexes. Affaire de perception. De réel et de virtuel. Entre plein et vide, entre intérieur et extérieur, concave et convexe. Tout se tient et se contient. Un cube ne possédant pas de vérité mais des points de vue.

D’une installation à l’autre, réparties sur le territoire languedocien, à deux encablures de Montpellier, en des lieux emblématiques, il s’agit de renouveler un regard sur l’architecture romane et l’art contemporain, d’instaurer un dialogue au présent. Avec ses passages de témoin, ses intrusions dans l’espace, ses ordres et ses désordres, ses continuités et ses ruptures, ses adéquations et inadéquations, ses contrastes, ses complicités et ses interrogations. Soit une définition de l’art.

Culture
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