Les Guyanais, inquiets, poursuivent leur combat contre le forage pétrolier

En Guyane, le collectif citoyen Or bleu contre Or noir s’oppose au projet d’exploration pétrolière de Shell et continue sa lutte malgré le feu vert gouvernemental.

Marion Perrier  • 5 juillet 2012
Partager :
Les Guyanais, inquiets, poursuivent leur combat contre le forage pétrolier
© Photo : AFP / Mario Tama / Getty Images La plateforme offshore de Deepwater Horizon, sinistrée, juillet 2010.

En dépit d’un torrent de critiques, le pétrolier Shell vient d’obtenir l’autorisation du gouvernement socialiste pour un projet de forage exploratoire au large de la Guyane. 

Créé au début du mois de mai, à Cayenne, le collectif « citoyen » et « apolitique » Or bleu contre Or noir poursuit son combat contre le projet. Il rassemble aujourd’hui 1 200 personnes et revendique plus de 2 000 signatures sur sa pétition en ligne contre l’exploitation pétrolière au large de la Guyane. 

À lire dans le nº 1210 de Politis, du 5 juillet : Shell, l’autorisation scandaleuse. 

Quelques jours après l’annonce par Shell de la reprise de sa campagne, Magalie Christophe, porte-parole du collectif, fait le point sur l’opposition au projet en Guyane. 

Vous dénoncez les risques écologiques liés au projet de Shell, d’autres mettent en avant les potentielles retombées économiques pour la Guyane, ce dernier argument convainc-t-il les Guyanais ?   

La population est assez lucide sur le sujet, même s’il est vrai que l’argument de la création d’emplois revient souvent. Le parti Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale (MDES) prône, par exemple, la constitution d’un collectif pour créer une force de négociation avec Shell et tenter d’obtenir une place d’actionnaire majoritaire dans le consortium, comme l’ont fait les Kanaks en Nouvelle-Calédonie[^2]. 

Nous ne partageons pas cette position, mais j’ai participé à un débat organisé par ce parti, au cours duquel les interventions du public prenaient toutes en compte la dangerosité d’un accord avec Shell, même si quelques-uns pensaient qu’il fallait courir le risque pour sortir la Guyane de sa morbidité. L’argument de l’emploi recueille donc un certain intérêt chez les Guyanais. Néanmoins, le précédent du Centre national d’études spatiales (Cnes) nous revient en mémoire : arrivé avec sa batterie d’ingénieurs, il n’a jamais formé de jeunes ici. Seuls les élus semblent y croire vraiment. 

Shell se serait engagé à respecter des mesures de protection de l’environnement dans un accord signé avec Nicole Bricq, avant son départ du ministère de l’Écologie. Cet engagement a-t-il répondu à vos inquiétudes ?

Cet accord ne nous offre aucune garantie concernant nos craintes, qui sont à la fois environnementales et économiques. Tullow Oil, l’ancien leader du projet d’exploration, avait admis qu’il serait impossible de nettoyer la mangrove en cas de marée noire. Outre ce risque, nous partageons avec les pêcheurs la crainte du dérangement du milieu sous-marin, mais aussi de pollution liée aux boues d’huiles toxiques utilisées, aux rejets divers, aux torchages de gaz. 

Sur le plan économique, les quelques données parues dans la presse locale évoquent une sorte de boom économique. En vérité, ce qui est proposé, c’est au mieux 160 emplois directs, et 600 emplois indirects dans la restauration ou l’hôtellerie. Nous craignons que le seul emploi réel généré soit le bénévolat pour ramasser le brut sur nos côtes ! L’accord parle d’études supplémentaires, mais pas de modifications des travaux, Shell fera donc à sa convenance. 

Quelles alternatives proposez-vous ?  

Nous travaillons à la constitution d’un dossier technique concernant les alternatives au pétrole, qui sont tout à fait applicables en Guyane, sous réserve d’une réelle volonté politique. Nous avons de quoi produire du bioéthanol pour répondre aux besoins du parc automobile guyanais, nous pouvons développer les transports en commun, les voies cyclables, l’éolien, le solaire ou l’hydroélectrique. Tous ces projets existent déjà, mais n’ont jamais rencontré un réel succès auprès des politiques. Face à la menace des forages, nous voulons rallier la population à l’idée d’un moratoire sur les travaux pétroliers, et au développement de la Guyane par les alternatives au système pétrolier, avec en plus la création d’emplois durables pour les jeunes Guyanais.

[^2]: En Nouvelle-Calédonie, la Société minière du Sud Pacifique, qui assure 20 % de la production de nickel de l’archipel, a été cédée en 1990 à la Sofinor, une société d’économie mixte contrôlée par la province Nord, à majorité kanake. Voir le dossier de la1ère.

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

A69 : des usines à bitume irritent les riverains

Reportage 10 décembre 2025 abonné·es

A69 : des usines à bitume irritent les riverains


Depuis cet automne, deux usines pour fabriquer l’enrobé de l’A69 ont été installées à proximité du tracé. Les potentiels rejets de substances toxiques inquiètent des riverains, qui ont conçu leurs propres capteurs d’air.
Par Vanina Delmas
A69 : les cinq enjeux d’une audience cruciale
Décryptage 10 décembre 2025 abonné·es

A69 : les cinq enjeux d’une audience cruciale

Une audience cruciale est prévue à la cour administrative d’appel de Toulouse ce jeudi 11 décembre pour acter ou non la poursuite du chantier de l’A69. Décryptage des principaux enjeux.
Par Vanina Delmas
Valérie Masson-Delmotte : « Les questions de climat et d’énergie sont les premiers marqueurs de la désinformation » 
Entretien 10 décembre 2025 abonné·es

Valérie Masson-Delmotte : « Les questions de climat et d’énergie sont les premiers marqueurs de la désinformation » 

Il y a dix ans, lors de la COP 21, 196 pays s’engageaient dans l’accord de Paris à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) pour contenir le réchauffement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Depuis, la climatologue ne ménage pas son temps pour faire de la vulgarisation scientifique et reste une vigie scrupuleuse sur la place des faits scientifiques.
Par Vanina Delmas
Serment de Cambrai : des mutuelles s’unissent contre les ravages des pesticides
Initiative 4 décembre 2025 abonné·es

Serment de Cambrai : des mutuelles s’unissent contre les ravages des pesticides

Face à l’explosion des maladies chroniques, des complémentaires santé s’engagent contre l’agrochimie en France et en Europe, notamment en prévoyant d’investir dans des projets agroécologiques.
Par Vanina Delmas