Ici Londres, les Anglais parlent des Français

Un demi-siècle d’histoire hexagonale, avec l’inimitable et corrosif regard britannique.

Olivier Doubre  • 4 octobre 2012 abonné·es

L’historien et résistant Marc Bloch, fusillé en 1944 par les nazis, ne cachait pas son admiration, pour l’Angleterre. Il concluait ainsi ses Conférences sur la Grande-Bretagne, données semi-clandestinement en 1942 [^2] : « L’avenir dira si la souplesse dont ce peuple a déjà donné tant de preuves lui permettra de concilier ses valeurs traditionnelles avec les nécessités nouvelles. » À la lecture de cette passionnante plongée « dans le secret des archives britanniques», proposée par le journaliste et historien François Malye et sa consœur anglaise Kathryn Hadley, on ne peut que constater cette « souplesse » et la capacité de conciliation de la tradition et des « nécessités nouvelles ». D’abord, en ce qui concerne la « liberté d’accès » aux National Archives, « l’une des surprises » pour le chercheur français : elles sont en effet “communicables” (en dehors d’une partie de celles de l’Intelligence Service [les services secrets, NDLR] qui ne seront jamais rendues publiques) au bout de trente ans, alors qu’en France les délais multiples s’étendent le plus souvent de cinquante à cent vingt ans ».

Les deux auteurs se sont donc attelés à l’écriture d’une véritable « nouvelle histoire de France » à partir du « regard unique et mordant des Anglais ». Le résultat donne à voir les soubresauts de près d’un demi-siècle d’histoire hexagonale, dans un style enjoué et jouissif, non sans moquerie parfois, avec l’inimitable et très corrosive vision anglaise… Notes confidentielles, télégrammes diplomatiques, rapports, en provenance des ambassades ou de correspondants des services secrets : l’actualité française, à partir de l’effondrement de l’armée française en juin 1940 face à l’invasion des troupes hitlériennes, semble véritablement revisitée pour un lecteur français. Parmi les nombreuses pépites, remarquablement remises en contexte, une note savoureuse de Churchill d’août 1941 rédigée juste après sa brouille avec de Gaulle ( « aucune autorité britannique ne doit entrer en contact avec lui », ou « il est possible que de Gaulle soit fou », sic). Ou bien un très rare document (avec la signature manuscrite) d’Elizabeth II, invitant le président Mitterrand tout juste élu à une première visite officielle outre-Manche. De même, les retranscriptions précises des allocutions à la BBC, mettant parfois en difficulté le gouvernement britannique lui-même – Londres tenant à rester aussi « la métropole des proscrits »  –, de Georges Bidault, responsable politique de l’OAS en exil à la fin de la guerre d’Algérie, ou de Daniel Cohn-Bendit, interdit de territoire français en juin 1968…

[^2]: In L’Histoire, la Guerre, la Résistance , Marc Bloch, Gallimard, « Quarto », 1176 p., 2006.

Idées
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