Salauds de pauvres

La rengaine libérale la plus fétide est celle de l’assistanat.

Christophe Ramaux  • 10 octobre 2013 abonné·es

La France compte officiellement 3,5 millions de chômeurs. Et plus de 5 millions si on ajoute ceux qui ne sont pas comptabilisés : les demandeurs d’emploi avec une activité réduite (moins de 78 heures par mois : 650 000 ; plus de 78 heures : 900 000), ceux qui sont en stage ou malades (260 000), ceux qui ne sont pas inscrits à Pôle emploi… Le libéralisme en est clairement responsable. L’austérité salariale et budgétaire, en déprimant la demande, déprime l’activité et donc l’emploi. Mais les libéraux, ce n’est pas nouveau, osent tout. Dans leur besace de rengaines, la plus fétide est celle de l’assistanat. Le RSA ne coûte que 10 milliards d’euros à la société, soit 0,5 % du PIB. Il y a pourtant 2,2 millions de foyers qui le perçoivent, soit 4,7 millions de personnes (7 % de la population). Le gouvernement envisage timidement de permettre à certains jeunes en grande précarité d’y avoir accès sous la forme d’une « garantie jeune ». Les libéraux crient à la chienlit, Laurent Wauquiez en tête. Les études montrent pourtant que les effets désincitatifs du RSA dans l’accès à l’emploi sont très faibles, notamment pour les jeunes. On n’observe, par exemple, aucune baisse significative du taux d’emploi pour ceux qui passent le seuil des 25 ans requis pour accéder au RSA. On estime en outre qu’un tiers des bénéficiaires potentiels du RSA socle ne le demandent pas, et ce chiffre monte aux deux tiers pour le RSA activité.

Autre argument des libéraux : les emplois vacants, qui démontreraient que les chômeurs ne sont que faux chômeurs. Un récent rapport du Conseil d’orientation de l’emploi (COE) porte sur ce sujet [^2]. À le lire, une conclusion s’impose : quelle que soit la mesure retenue (et le flou est complet en l’espèce, prêtant à toutes les manipulations), le nombre d’emplois vacants est sans commune mesure avec celui des chômeurs. C’est bien avant tout le manque d’emplois qui explique le chômage.

Dans certains secteurs limités, les difficultés de recrutement sont bien réelles. Mais pourquoi ? Parmi les explications, on peut en avancer une : on paie ici le mépris généralisé à l’égard du travail, fruit de la greffe du libéralisme sur l’élitisme aristocratique (dit improprement républicain). En France, en caricaturant à peine, « on n’est rien » si on est jeune sans le bac S et si l’on n’est pas cadre ensuite. Or, seuls 18 % des jeunes ont le bac S. Les ouvriers et les employés représentent encore la moitié des emplois. Si on ajoute les professions intermédiaires (25 % avec les infirmières, professeurs des écoles, techniciens, etc.), on atteint les trois quarts des emplois. Les cadres demeurent une petite minorité : 16 % [^3]. On est donc loin, très loin, de la société en sablier, avec des couches supérieures d’un côté, des exclus de l’autre, et entre les deux des classes populaires en voie d’extinction. Mais cette image fonctionne néanmoins, y compris au sein des classes populaires elles-mêmes. La société « invisibilise » ainsi la majorité de ses membres. Les jeunes se détournent de certains métiers ? Mais à qui la faute ? Et pourquoi ne pas revaloriser véritablement ces métiers ? Les 20 milliards du CICE jetés en aveugle par la fenêtre montrent que les moyens existent. 

[^2]: « Emplois durablement vacants et difficultés de recrutement », COE, septembre 2013.

[^3]: Et ils sont loin d’être tous des cadres dirigeants : les professeurs du secondaire, par exemple, sont dans cette catégorie.

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