À l’école, une douleur unanime

Les enseignants appréhendaient le retour en classe. Mais, ce lundi, les échanges n’avaient rien à voir avec le marasme de l’après-Charlie.

Erwan Manac'h  • 18 novembre 2015 abonné·es
À l’école, une douleur unanime
© Photo : TRIBOUILLARD/AFP

Ce lundi matin, comme après les attentats de janvier, Mathias Lachenal a tracé quatre cases au tableau, avec un mot dans chacune d’elles : « Peur, tristesse, colère, espoir ». Un moyen d’aider ses élèves à verbaliser leurs sentiments. « J’essaie de leur dire que c’est normal d’avoir peur », raconte ce professeur d’histoire dans un lycée du centre-ville de Poitiers.

Les enseignants ont reçu samedi 14 novembre une note du ministère de l’Éducation nationale requérant « un temps de recueillement » dans chaque établissement, « précédé d’un échange d’au moins une heure entre les élèves et les enseignants ».  Pour de nombreux pédagogues, « libérer la parole » était en effet une priorité. Mais les enseignants, échaudés par les semaines qui ont suivi les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, où la rupture était visible dans certains établissements entre ceux qui « étaient » ou non Charlie, craignaient d’affronter ce nouveau moment de traumatisme collectif. « Il conviendra de veiller à orienter les discussions sur le fait que […] ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui ont été atteints, quelles que soient leurs opinions personnelles », précise la note du ministère, qui délivre également des consignes à suivre face à des réactions hostiles. « Cela n’avait strictement rien à voir avec l’ambiance de l’après-Charlie, raconte finalement Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire à Chelles (Seine-et-Marne) [^2]. Nous avions des élèves indignés et très peu de remise en question. » Une professeure de français raconte également une journée de discussion, « sans vague », y compris dans une classe qui avait posé problème en janvier lorsqu’une minute de silence était observée dans l’établissement. « Le contexte est différent. Et j’avais aujourd’hui des élèves directement concernés », raconte l’enseignante. « Le travail qui a été fait depuis janvier a porté ses fruits », estime Erwan Tanguy, professeur de sciences économiques et sociales à Auray (Morbihan). Après avoir un peu peiné à délier les langues, il a senti la « cocotte-minute » monter en pression, sans pour autant que des « propos déplacés » n’apparaissent.

À la sortie du lycée Jean-Jaurès de Montreuil (Seine-Saint-Denis), lundi 16 novembre, les élèves expriment un sentiment unanime. « Tout le monde est sous le choc », assure Mohammed, 15 ans. « En janvier, il y avait des gens qui disaient : “Ils l’ont bien cherché.” Là, on a bien vu que c’étaient des gens qui allaient à un concert », ajoute Bruno, en terminale ES. S’il a bien eu dans sa classe une élève qui exprimait des thèses complotistes, il dit surtout craindre la profusion des réactions racistes qu’il a déjà constatées sur Facebook, en provenance de villes moins métissées que Montreuil. « L’école a un rôle à jouer contre la montée des amalgames », juge l’adolescent. Idem pour Saïd, Naïm, Guy et Hugo, élèves en classe de seconde, qui observent un semblant de minute de silence depuis le trottoir en face de l’établissement. « J’ai versé ma larme en cours », avoue Guy, un fier gaillard de 18 ans, choqué lui aussi qu’on ait « tué des gens normaux ». Durant tout le week-end, des conseils et notes pédagogiques ont circulé par mail ou sur les réseaux sociaux [^3] pour rappeler les objectifs de cet exercice délicat : libérer la parole, rassurer, parler de solidarité ou donner des repères pour définir les notions importantes – « la guerre », « Daech » ou « l’état d’urgence ». Face à ses élèves de 3e à Saint-Egrève (Isère), Myriam Fahli a ainsi improvisé un cours sur les causes profondes des violences du 13 novembre. « Les élèves sont capables de détailler assez précisément les faits qui se sont déroulés en France, raconte l’enseignante, mais la géopolitique les dépasse complètement. »

[^2]: Lire son témoignage sur Politis.fr

[^3]: Cafepedagogique.net, 15 novembre.