Ce Mai italien qui dura dix ans

Publiée en 1988 en Italie, la traduction de cette histoire du movimento paraît enfin en France.

Olivier Doubre  • 8 mars 2017 abonné·es
Ce Mai italien qui dura dix ans
© Photo : Dufoto/Leemage/AFP

Saluons d’abord l’imposant travail de traduction et d’annotations – bienvenues pour un lecteur peu au fait de cette décennie italienne 1968-1977, si riche en soubresauts. Cette publication est enrichie d’illustrations donnant à voir les grandes mobilisations mais aussi les expressions picturales ou murales de cette « grande vague révolutionnaire et créative, politique et existentielle ».

À l’instar de la couverture montrant une immense foule lors d’un rassemblement à Rome en 1977, signée par le photographe Tano D’Amico, véritable encyclopédiste du movimento, c’est bien la diversité des sensibilités politiques ou créatrices, indissociables (ou synonymes) de l’idée de collectif, qui apparaît en premier lieu dans cet ouvrage. À la différence de Génération (paru la même année, en 1988) d’Hervé Hamon et de Patrick Rotman, parfois considéré – à tort – comme son équivalent français, et qui narrait la contestation de 1968 à partir de ses « stars » ou de ceux qui le sont devenus dans les années 1980.

« Années de plomb, services secrets, massacres d’État, complot, répression, état d’urgence… Ou bien, au contraire, les plus belles années de notre vie, transformation radicale de la vie quotidienne, utopie, besoin de communisme, révolution sexuelle, lutte armée, etc. Et encore : hippies, situationnistes, mouvement étudiant, Potere operaio, Lotta continua, maoïstes, conseillistes, anarchistes, autonomes… » C’est le portrait multiforme que dresse, dans sa préface à la première édition, l’un des coordinateurs de cet ouvrage collectif hors norme, le militant et écrivain Primo Moroni, dont la librairie milanaise, un peu comme celle de François Maspero à Paris, fut le point de ralliement de coopératives et de comités de luttes en tout genre, et de diffusion d’innombrables revues.

L’ouvrage mêle des textes de militants de l’époque et des écrits théoriques (de Mao à Che Guevara) aux analyses a posteriori de dirigeants de groupuscules, de journalistes engagés, comme ceux du quotidien de la gauche critique toujours en exercice Il Manifesto, et d’intellectuels qui ont vu l’irrésistible engrenage de la violence politique. En effet, face aux provocations et aux attentats d’une extrême droite manipulée par l’État, le mouvement, adoptant à son tour la tradition de la violence révolutionnaire, versera, piégé, dans la contre-attaque armée. Avec son lot d’arrestations, de condamnations, de réfugiés politiques (principalement accueillis par la France de Mitterrand) et d’emmurés dans les « prisons spéciales », premières structures répressives de l’« antiterrorisme » moderne.

Il reste que cette esquisse multicolore se veut « non pas une histoire, mais un chemin, pour insister sur la joie et la richesse, pour aider à chercher les origines de ce long printemps ».

La Horde d’or. La grande vague révolutionnaire et créative, politique et existentielle. Italie 1968-1977, Nanni Balestrini & Primo Moroni, traduit de l’italien par Jeanne Revel, Jean-Baptiste Leroux, Pierre-Vincent Cresceri et Laurent Guilloteau, Éd. de L’Éclat, 672 p., 25 euros.

Idées
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