Télévision : « Penser l’identité »

Patrick Boucheron, Luc Boltanski, Didier Fassin ou encore Olivier Cadiot… Dans un documentaire, dix intellectuels issus des sciences sociales et de la littérature prennent la parole sur le thème de l’identité.

Jean-Claude Renard  • 14 avril 2017 abonné·es
Télévision : « Penser l’identité »
© photo : ULF ANDERSEN / Aurimages / AFP

Je suis et nous sommes tous à la fois avec une identité extrêmement diverse, multiple et aussi avec une identité qui est liée aux situations dans lesquelles nous sommes, aux interactions que nous avons avec les autres. » C’est ainsi que Didier Fassin, médecin de formation, anthropologue et sociologue « citoyen du monde », selon sa propre expression, ouvre sa réflexion sur l’identité.

Pour Olivier Cadiot, romancier et poète, lui aussi face à la caméra de Sylvain Bourmeau, « ce qui est étrange avec l’identité, c’est qu’immédiatement me saute aux yeux un paradoxe énorme… Quand j’entends le mot identité, je pense immédiatement aux autres et pas à moi. C’est étrange, je devrais penser à mon identité, d’où je viens et comment l’on pourrait dessiner ma carte d’identité. […] Curieusement, dès que je pense à moi, je pense que je me suis extrait de mon identité. Je n’ai pas d’identité. Je me suis désidentifié, si s’identifier veut dire se sentir relié à un milieu social d’origine, à une histoire plus ou moins longue, plus ou moins transmise. Mon premier chemin a été de m’arracher d’une identité sociale qui ne me convenait pas. »

Pour Patrick Chamoiseau, l’identité renvoie aux terres natales, en Martinique : « L’identité a été pour nous, pendant très longtemps, immobile, essentialiste. Parce que je suis martiniquais, je suis né dans un pays colonisé, avec une revendication politique d’indépendance, d’autonomie. Tout ça était très largement lié à la définition d’une réalité culturelle, anthropologique. Et c’est vrai que les tous les processus de résistance chez nous ont été liés à des expressions culturelles, ce qui fait que la culture du lieu est devenu un peu le trésor qu’il nous fallait conserver dans nos revendications d’existence collective. La notion d’identité, en effet, a été largement présentée, pas comme une prison, mais vraiment comme la bulle à partir de laquelle on pourrait s’opposer aux absolus du colonisateur… »

« Le mot identité, au départ, ne veut rien dire »

Dans ce premier volet consacré à l’identité (le second sera articulé autour de la notion de liberté), le réalisateur suit ainsi le fil de la pensée de personnalités diverses – et complémentaires. Outre Didier Fassin, Olivier Cadiot et Patrick Chamoiseau, tandis que les entretiens sont illustrés et ponctués par des œuvres vidéo et des photos en noir et blanc d’Adam Magyar, se croisent encore Luc Boltanski, Vincent Descombes, Virginie Despentes, Mathias Énard, Sandra Laugier, Pascal Quignard ou encore Patrick Boucheron.

Patrick Boucheron pour qui, en historien, « le mot identité, au départ, ne veut rien dire, et surtout, ça ne doit rien dire. Identité est un mot qui était au fond un mot imposé par, sinon la demande sociale, du moins la manière dont on prétendait la faire venir jusqu’à nous. C’était une bonne raison de ne pas s’en préoccuper. Il y a une autre raison pour laquelle identité n’est pas à proprement parler un mot dans le lexique des historiens. Parce que les historiens ont toujours appris, au fond, que si l’histoire était la science de quelque chose, elle était la science du changement. Du changement social. C’est ce que dit Marc Bloch. Par conséquent, l’identité, en tant qu’elle définirait un socle intangible, immuable, qui ferait qu’un groupe humain serait identique à lui-même, et serait extrait d’une durée qui trouverait à le transformer, ce n’est pas un mot d’historien, ce n’est pas une préoccupation d’historien. Faire profession d’historien serait montrer crânement son indifférence aux questions d’identité. »

C’est qu’au fil de ces entretiens profonds, l’identité apparaît, plus qu’un concept statique, une construction dynamique, que les sciences sociales et la littérature, tout en ne cessant de l’interroger, voire de la contester, s’acharnent à déconstruire. Le rôle de l’intellectuel en quelque sorte, précisément mis en exergue dans ce documentaire.

« Les intellectuels du XXIe siècle – Penser l’identité », dimanche 16 avril, sur France 5, à 22 h 35 (52’). Egalement en replay jusqu’au 23 avril sur www.tv-replay.fr

Culture
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