L’emploi et les champignons

Les chômeurs préféreraient leurs somptueuses allocations au labeur.

Jean Gadrey  • 5 juillet 2017 abonné·es
L’emploi et les champignons
© photo : PASCAL GUYOT / AFP

Tout ce qui se prépare au nom de l’emploi, dont la destruction du code du travail, repose sur des idées simples elles-mêmes savamment théorisées par les économistes néolibéraux. La plus répandue est la suivante : le chômage est d’abord de la responsabilité des salariés et… des chômeurs, syndicats en renfort. Ce serait le conservatisme de ces derniers, accrochés à des « privilèges » d’un autre âge, qui produirait le chômage. Les employeurs n’y seraient pour rien, et il serait temps de les aider à embaucher en s’en prenant aux rigidités d’un marché qui exige que la concurrence « libre et non faussée » y exerce ses effets bienveillants en ajustant l’offre et la demande via un prix (le salaire) d’équilibre.

Pour cela, il faut en premier lieu des « incitations » au travail car, on le sait, et les théories en question en font leurs choux gras, les salariés sont spontanément portés à en faire le moins possible, surtout quand ils sont « protégés » par un CDI, et les chômeurs tendent à préférer le loisir et leurs somptueuses allocations au labeur. Parmi ces incitations supposées réduire le chômage, on trouve toute une palette de dispositifs. Certains sont déjà en place avec la loi El Khomri ou dans des politiques antérieures. D’autres, en préparation, sont remarquablement décortiqués dans une série de treize vidéos, accessibles en ligne, du Syndicat des avocats de France.

En résumé, il faut que les salariés soient moins payés et/ou que les cotisations sociales soient de nouveau réduites. Il faut diminuer toujours plus les quelques protections (ces terribles « rigidités ») attachées à l’emploi, dont le CDI, les indemnités et les conditions de licenciement, car les lois de l’économie, bien connues du Medef, « démontrent », contre notre vulgaire sens commun, que la facilité de licenciement est bonne pour l’emploi. Il faut que chaque entreprise ait la liberté de « négocier » à la baisse tous les points clés des contrats de travail et du code du travail. Et il convient de dénoncer tout chômeur comme un assisté trop coûteux et un fraudeur potentiel, ce qui lui rendrait un grand service en le poussant « activement » vers l’emploi.

Dans un livre paru en 2000, Pas de pitié pour les gueux [1], l’économiste Laurent Cordonnier avait cloué au pilori, de façon délectable et accessible à tous, les diverses idéologies et théories faisant des salariés et des chômeurs les acteurs du chômage, et donc de leur propre malheur. Ce livre n’a pas pris une ride et il fait plus que jamais partie de la culture de résistance qui s’impose face aux projets Macron.

Dans un autre ouvrage du même auteur, en forme de fable économique, L’Économie des Toambapiks [2], on trouve un dialogue aussi imagé que juste. L’un des protagonistes, Caduc, estime, en bon néolibéral, que, « pour résoudre le chômage, il faut remettre les gens au travail ! Et, pour qu’ils cherchent activement du travail, il faut en finir avec l’assistanat ». Or son interlocuteur, Happystone, keynésien sans trop le savoir, « n’était pas convaincu que ce soit le fait de partir à la recherche des champignons qui faisait pousser les champignons »

[1] Éd. Raisons d’agir.

[2] idem.

Jean Gadrey Professeur émérite à l’université Lille-I

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