Grèce : un nouveau budget de précarité et de misère

Le gouvernement Tsipras a fait adopter le budget 2018 par la Vouli, le parlement grec. Un texte de loi coupant encore une fois dans les dépenses publiques et entérinant la précarité devenue quasiment systémique dans le pays.

Olivier Doubre  • 23 décembre 2017
Partager :
Grèce : un nouveau budget de précarité et de misère
© photo : AYHAN MEHMET / ANADOLU AGENCY

Dans un entretien pour Politis en octobre dernier, Yanis Varoufakis expliquait, à propos de la précarité et de la pauvreté frappant les travailleurs grecs, combien son pays était « un laboratoire des politiques austéritaires toxiques en Europe, dans le but de les mener ailleurs ». Avant de mettre en garde sur leur mises en œuvre à terme dans les autres pays du Vieux Continent, en premier lieu la France, « la prochaine cible, en particulier pour détruire son système de protection sociale », alors que les ordonnances Macron sur la loi travail étaient alors en train d’être votées.

À lire aussi >> Yanis Varoufakis : « Ils voulaient nous faire mordre la poussière »

Adopté par le Parlement d’Athènes le 19 décembre dernier, le budget grec 2018 ne saurait démentir le diagnostic alarmant de l’ancien ministre démissionnaire des Finances d’Alexis Tsipras. En dépit de prévisions de croissance en hausse – de l’ordre de 2,5 % pour 2018, contre 1,6 % en 2017 –, les coupes budgétaires seront encore légion l’an prochain, tout particulièrement dans l’éducation et la santé. En outre, l’application des conventions collectives (suspendues en 2015) ne doit pas être rétablie avant l’automne 2018.

Néanmoins, le gouvernement Tsipras se vante avec force d’une baisse du chômage non négligeable, puisqu’il était de 27,8 % en 2013 à 20,2 % au troisième trimestre 2017. Pour autant, il est indéniable que la précarité s’est installée massivement au cœur du système productif grec. Les témoignages sont innombrables de salariés, embauchés officiellement à mi-temps mais qui travaillent en fait à plein temps, permettant ainsi aux entreprises de substantielles économies de cotisations sociales. On estime à quelque 29 % (soit plus de 580 000 personnes) la proportion de salariés grecs à temps partiel, rémunérés généralement pour 380 euros bruts mensuels, dont une bonne part sans couverture sociale.

Chômage des jeunes à 30 %

Aussi, la chute (statistique) du chômage, dont ne cesse de se féliciter l’exécutif Tsipras, s’expliquerait principalement par cette hausse massive d’emplois précaires, surtout à temps partiel, mais aussi par la baisse de la population active, estimée à plus de 6 % depuis le début de la crise, due en particulier aux très nombreux départs de jeunes (principalement diplômés mais pas uniquement) à l’étranger.

Les annonces enthousiastes et répétées d’Alexis Tsipras sur la supposée reprise économique grecque (outre le croissance, il salue trop régulièrement, comme si la grande majorité de son peuple allait en être bénéficiaire, l’envolée de 13 % de la valeur des exportations de son pays au cours des trois premiers trimestres de 2017, par rapport à la même période de 2016) ont donc bien du mal à convaincre la grande masse des électeurs…

Avec un chômage des jeunes proche de 30 % (pour ce qui concerne la tranche d’âge des 25-29 ans), les coupes budgétaires dans des secteurs aussi fondamentaux que la santé ou l’éducation ont provoqué un mécontentement sans appel – il a suffi de voir le succès des manifestations du 14 décembre dernier, notamment à Thessalonique ou Athènes, contre les réductions des dépenses publiques – dans une population qui, jadis, avait placé un formidable espoir dans le gouvernement Tsipras. Mais celui-ci a déçu fortement, jusqu’à ses propres fonctionnaires qui, ces cinq dernières années, ont perdu en moyenne l’équivalent de quatre mois de salaires par an.

Le secteur public est d’ailleurs régulièrement décrit en Grèce comme à la limite du burn-out pour ce qui concerne le plus grand nombre de ses membres, entre heures supplémentaires trop rarement rémunérées, conditions de travail extrêmement pénibles, salaires en baisse et manques de personnel jusque dans des secteurs aussi importants que les sapeurs-pompiers…

Mais la situation est encore pire dans le privé, où beaucoup d’employeurs n’hésitent pas à profiter de la crise économique pour imposer des conditions dérogatoires au droit du travail et exercer un véritable chantage à la grande masse des salariés ou chômeurs en espoir d’embauche.

Devant un tel tableau, Yanis Varoufakis, en octobre dernier, s’interrogeait directement devant nous : « Devons-nous être fiers de cette situation en Grèce ? » Il y a fort à craindre que ce budget 2018 ne prenne pas le chemin pour y remédier…

Monde Économie
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

À Paris, la Confédération paysanne en première ligne contre le Mercosur
Reportage 15 octobre 2025 abonné·es

À Paris, la Confédération paysanne en première ligne contre le Mercosur

Plusieurs centaines de personnes ont manifesté le 14 octobre contre le traité de libre-échange UE-Mercosur, à Paris, à l’appel du syndicat. Un texte qui exercerait une concurrence déloyale pour les agriculteurs français et menacerait la santé et le climat.
Par Vanina Delmas
Taxe sur les holdings : Lecornu épargne les milliardaires
Économie 15 octobre 2025 abonné·es

Taxe sur les holdings : Lecornu épargne les milliardaires

Lors de son discours de politique générale, Sébastien Lecornu a affirmé avoir entendu le désir, au sein de la population, d’une meilleure justice fiscale reconnaissant même une « anomalie » au sein de la fiscalité des plus fortunés. Sa réponse : une taxe sur les holdings qui ne répondra absolument pas au problème.
Par William Jean et Pierre Jequier-Zalc
« Il est difficile d’imaginer qu’Israël tolère une élection nationale palestinienne »
Entretien 13 octobre 2025 abonné·es

« Il est difficile d’imaginer qu’Israël tolère une élection nationale palestinienne »

Alors que la libération des otages et des prisonniers a commencé à Gaza et en Israël lundi 13 octobre, Laetitia Bucaille, autrice de Gaza, quel avenir (Stock, 2025), décrypte la possibilité d’un débouché politique palestinien.
Par Olivier Doubre et Hugo Boursier
« Nous sommes la génération Palestine » : Rima Hassan de retour de la flottille
Exclusif 9 octobre 2025

« Nous sommes la génération Palestine » : Rima Hassan de retour de la flottille

Après plusieurs jours de détention en Israël, Rima Hassan donne son premier entretien à Politis. Arrestation de la Global Sumud Flotilla, emprisonnement… Elle décrit un dispositif humanitaire ciblé et des violences dans un contexte d’apartheid. La députée européenne appelle aussi à continuer les mobilisations.
Par Maxime Sirvins et Salomé Dionisi