« Fières, vénères et antinucléaires »

Le collectif féministe des Bombes atomiques s’est montré particulièrement actif dans l’organisation du soutien aux sept opposant·es au projet Cigéo.

Amanda Jacquel  • 9 juin 2021 abonné·es
« Fières, vénères et antinucléaires »
Les Bombes atomiques devant le palais de justice de Bar-le-Duc.
© Amanda Jacquel

Bombes atomiques contre la répression », « Solidarité avec les prisonnier·ères »,« Fières, vénères et antinucléaires »…Lors de la manifestation du 1er juin dans les rues de Bar-le-Duc (Meuse) en soutien aux opposant·es au projet Cigéo jugé·es pour « association de malfaiteurs », les pancartes et banderoles féministes et antinucléaires occupaient largement l’espace. L’œuvre du collectif des Bombes atomiques.

Pourtant, lors de sa constitution informelle en 2019, les critiques pleuvaient sur ce groupe, visant en particulier la réunion en mixité choisie sans homme cisgenre organisée en septembre de la même année. Autour de Bure, l’arrivée des cinq cents personnes participant à ce week-end a d’abord suscité des interrogations. « Certains militants mecs cis voyaient ça d’un mauvais œil… Et c’était délicat de dire à des habitantes de venir sans leur mari, raconte l’une d’elles. Parallèlement, certaines personnes nous ont immédiatement offert une aide logistique précieuse. »

L’outil de la mixité choisie est incompris jusque dans les médias : « Nous avions demandé que les journalistes venant couvrir l’événement soient aussi en mixité choisie ; tous les médias n’ont parlé que de ça ! Je me souviens du Républicain lorrain qui avait titré “Haro sur le mâle cisgenre” »_, relate une « Bombe », qui regrette que le traitement médiatique n’ait pas été à la hauteur du succès de l’événement. « Car, malgré tout, ce week-end a redonné un souffle à la lutte ! »

En 2019, en effet, l’opposition au projet Cigéo est à bout de souffle. « L’intensité de la répression nous avait fragilisé·es, d’autant que les militant·es historiques avaient interdiction de se voir. Et il y avait un trauma sous-jacent lié à la répression des forces de l’ordre, à leur présence permanente, à la surveillance. La vie sur place était vraiment mortifère. La Maison de la résistance en a fait les frais, ainsi que l’ambiance. »

Les organisatrices étaient loin de s’attendre à un tel succès : « Cette jonction entre le féminisme et l’antinucléaire a vraiment permis d’amener des personnes qui ne seraient pas venues à Bure sinon. » Pendant ces deux jours, les Bombes atomiques prennent soin d’elles et de BZL, surnom donné à la Maison de la résistance : « C’était l’occasion de s’approprier les tâches habituellement accaparées par les hommes cis : construire des barnums, couper des bûches pour se chauffer, etc. Puis des personnes sont restées, d’autres sont arrivées, et ça a rendu BZL plus chaleureuse »,décrit l’une d’elles.

Surtout, les Bombes saisissent ce moment pour s’approprier la lutte anti-nucléaire : « Le nucléaire relève du champ scientifique, très dominé par les hommes. Et cette lutte exige une radicalité extrême très viriliste. Ici, on a pu se la réapproprier avec nos propres outils : des chansons, des autoformations, de la joie, etc. Ça ouvre d’autres imaginaires… » explique l’une d’elles. Une reprise de Maître Gims par les Bombes atomiques est d’ailleurs diffusée à tue-tête durant la manifestation : « Elle répondait au nom de l’Andra / Les gens du coin ne voulaient pas subir ça / Elle faisait trembler tous les villages / les gens me disaient : « méfie-toi d’cette chose-là ! »

Une autre militante souligne les bienfaits de la mixité choisie :« J’avais moins peur de prendre la parole. C’était nécessaire pour les prochaines déclarations publiques. »

Ce succès ne s’arrête pas là puisque les militantes parviennent à manifester et même à organiser un feu de protestation à proximité de l’Andra. « À cette époque, même marcher autour du labo était inconcevable. En débarquant entre meufs, personne ne nous a pris au sérieux. Il y avait des policiers à chaque coin de rue, mais on a pu mener l’action jusqu’au bout ! » sourit une Bombe. « En fait, c’est nous qui en sortions gagnantes. »

En février 2020, les Bombes atomiques organisent une semaine entière de mobilisation féministe et antinucléaire à Bure. Elles développent des outils d’écoute comme la Criée (une boîte pour recueillir des mots restitués collectivement et anonymement), et un numéro d’écoute pour signaler tout problème a d’ailleurs été mis en place par les organisateurs·trices du soutien aux opposant·es durant les trois jours de leur procès.

« Finalement, malgré les premières réticences, j’ai l’impression qu’aujourd’hui on appartient totalement à cette lutte locale. » Pour preuve, l’organisation de la mobilisation autour du procès, du 1er au 3 juin. Tout du long, les Bombes atomiques ont insufflé des moments festifs et chaleureux sur le parvis du palais de justice : des ateliers cartes postalesou encore un arpentage de texte (technique de lecture collective tirée de l’éducation populaire) de la demande de déclaration d’utilité publique (DUP) déposée par l’Andra.

Si elles s’inscrivent dans la lignée des luttes féministes antinucléaires de Plogoff (Finistère) à la fin des années 1970 ou encore du camp de la paix de Greenham Common contre -l’installation de missiles nucléaires par la Royal Air Force au Royaume-Uni, les Bombes atomiques ne veulent pas être figées dans une description : « Apporter une dimension féministe inspirée des milieux queer détonne. C’est une réponse à toutes ces questions puisqu’on évite l’essentialisation. Ça nous permet de réhabiter ce mot – féminisme – à notre manière. » Elles refusent de s’enfermer dans des labels ou des étiquettes. Les Bombes atomiques, un mouvement écoféministe ? «Pas pour tout le monde… En France, l’écoféminisme est très lié au capitalisme vert. C’est la ligne la plus visible médiatiquement. Et il y a un côté spiritualisme et essentialisme qui peut créer de la défiance ! » Une autre Bombe élargit cette réponse : « Le nucléaire touche à plein de champs : l’antimilitarisme, les luttes décoloniales, anticarcérales, le validisme… Et dans le féminisme, il y a cette intersectionnalité qui évite la hiérarchisation. Toutes les oppressions doivent être prises ensemble ! »

D’ailleurs, les Bombes atomiques entretiennent des contours flous : elles ne sont personne et tout le monde est Bombe -atomique, clament-elles. En somme, un espace appropriable qui fleurit où bon lui semble. Des groupements locaux ont ainsi vu le jour en Rhône-Alpes, en Île-de-France ou encore à Bruxelles (notamment contre la 5G).

Dans la Meuse, les Bombes ont investi une maison avec le collectif local des Semeuses : «On se voit régulièrement, on organise des collages, des tracts, on réalise un suivi des documents de l’Andra, des autoformations. » Pour conclure, elles tiennent à le redire, comme une réponse à l’Andra, au procureur et aux parties civiles qui n’ont eu de cesse de marteler que ce procès n’était pas politique : « L’écologie, ce n’est pas que le climat, c’est un projet politique ! »

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