Dans les universités, l’espoir d’un 3e tour social

Dans les établissements d’enseignement supérieur, souvent en première ligne des mouvements sociaux, les étudiants affichent leur frustration après le résultat du premier tour.

Daphné Deschamps  • 20 avril 2022 abonné·es
Dans les universités, l’espoir d’un 3e tour social
À la Sorbonne, à Paris, le 14 avril.
© Anna Margueritat / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Deux banderoles rayées sortent des fenêtres du troisième étage de la Sorbonne. Taguées à la bombe de peinture rouge, elles affichent ce slogan : « Ni Le Pen ni Macron ». Ce fut le principal mot d’ordre de cette occupation, qui aura duré un peu plus de 24 heures, du mercredi 13 au jeudi 14 avril. Lancée après une assemblée générale antifasciste ayant rassemblé plus de 500 personnes, à la surprise collective y compris de ses organisateurs, cette occupation avait pour but de « lancer le troisième tour social » pendant l’entre-deux tours, quelques jours après le choc des résultats du premier tour du scrutin présidentiel. Ce mouvement à la Sorbonne n’est pas isolé : il a été précédé d’une occupation à l’École normale supérieure dès le lundi et d’une tentative de blocage de l’université Paris-8-Saint Denis, et suivi de blocages à Sciences Po Paris, Nancy et Lyon, et dans toute une série de lycées parisiens le 19 avril, qui sont toujours en cours à l’heure où nous écrivons ces lignes. Il y a également eu une manifestation de l’entre-deux tours dans la plupart des grandes villes de France le samedi 16 avril : à Paris, elle a rassemblé près de 20 000 personnes, dont beaucoup de jeunes et d’étudiants. Les prémices d’une véritable dynamique ? C’est aller vite en besogne, selon Robi Morder. Politologue et spécialiste des mouvements étudiants, il « ne croit pas à un troisième tour social en période électorale », mais ne rejette pour autant pas la pertinence de la construction d’un mouvement étudiant. « Un climat de ce type permet de préparer éventuellement ce qu’il se passera après les législatives. »

Pour lui, le résultat du second tour sera évidemment crucial dans cette construction. Si Emmanuel Macron l’emporte, il aura probablement une faible majorité à l’Assemblée nationale, voire pas de majorité du tout. « Face à l’usure du pouvoir et à un problème de majorité, il y aura évidemment un mouvement social qui se construira, en opposition à son programme », énonce Robi Morder. « Mais dans le scénario où Marine Le Pen gagne, il existe le risque de voir une majorité de droite extrême et d’extrême droite à l’Assemblée nationale, parce que c’est la dynamique attendue sous la Ve République. » Il estime qu’il sera beaucoup plus difficile de construire une dynamique de gauche dans le pays : « Les gens vont être en position dautodéfense. Voire en état de sidération. Ça sera une défaite, et ça mettra du temps à remonter. Un troisième tour social immédiat sera rendu impossible. » Il rejette aussi la stratégie du chaos qui consisterait à porter Marine Le Pen au pouvoir pour mieux la combattre, dans l’idée « accélérationniste » que la population se révolterait contre un régime d’extrême droite : « Ça ne tient pas la route. On l’a par exemple constaté en Amérique latine quand des militaires se sont imposés au pouvoir. À part une minorité qui tente de sauver l’honneur, la population se replie. »

Le terme « antifasciste », qui avait relativement disparu des mobilisations étudiantes, refait surface.

Les mots d’ordre des assemblées générales, des blocages et des manifestations qui ont eu lieu la semaine passée expriment tous un rejet du duel Macron-Le Pen. Mais un terme qui avait relativement disparu des mobilisations étudiantes ces dernières années refait surface : celui d’une mobilisation « antifasciste », qui est sur tous les tracts, sur toutes les lèvres. Les mouvements étudiants se construisent généralement en opposition à des réformes, et non à des courants idéologiques. Or dans les facultés, selon Robi Morder, « l’antifascisme apparaissait comme une bataille “privée” entre les antifascistes, organisés dans des petits collectifs, et des groupes comme la Cocarde étudiante ou l’Action française. C’était en soi une bagarre qui ne concernait que quelques dizaines d’individus par université », qui pouvait sembler folklorique, et qui n’était médiatisée que lors de drames, ou d’affrontements de grande ampleur. « Là, on a vu l’extrême droite aux portes du pouvoir, encore davantage qu’il y a cinq ans », analyse le politologue. « Aujourd’hui, le barrage pourrait ne pas tenir. Et les gens le réalisent. La question de l’antifascisme n’est plus une abstraction. C’est celle très concrète d’une extrême droite à 33 %. » Une situation qui s’illustre aussi de plus en plus dans la vie quotidienne, au travers d’actions violentes toujours plus nombreuses ces dernières années. Un phénomène qui s’est accentué depuis le 10 avril (lire page 20).

Mais alors, quel objectif donner à ces mouvements universitaires et lycéens dans l’entre-deux tours. Et par la suite ? À ce jour, le seul mot d’ordre « Ni Le Pen ni Macron » a suffi à rassembler à la fois ceux qui rejettent le système électoral dans son ensemble – car certains ont tout de même revendiqué ce rejet total comme une position politique construite – et ceux qui ne veulent ni d’un régime autoritaire lepéniste ni du programme de Macron. Pour Robi Morder, il faut « se battre avec les outils dont on dispose, même s’ils ne sont pas idéaux ». À ses yeux, le plus gros de la mobilisation se jouera désormais dans les messages que porteront les syndicats et les associations dans les facs afin de maintenir la dynamique.

Une tâche qui risque de se révéler particulièrement ardue : face aux annonces de mouvements, de nombreuses universités ont passé leurs enseignements en distanciel et fermé leurs locaux pour éviter de nouvelles occupations. Les semestres touchent à leur fin, les périodes de partiels étant sur le point de débuter. Dans les lycées de région parisienne, qui sont traditionnellement les premiers à se mobiliser, les vacances de Pâques commencent le 23 avril, et durent deux semaines. Au retour des élèves, la plupart seront dans la dernière ligne droite avant le baccalauréat, période peu propice à la mobilisation politique. Pour autant, la jeunesse ne se dépolitisera pas : « Ils sont dans l’expression d’une inquiétude, d’une colère… La question de l’environnement, qui a été complètement exclue de la campagne présidentielle, joue un grand rôle », avance Robi Morder. « Même s’il n’y a pas de troisième tour social immédiat, nous allons voir émerger une repolitisation de beaucoup d’entre eux, qui s’investiront dans des collectifs, des associations, que ce soit sur le climat, sur les luttes sociales ou dans leur vie quotidienne. »

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