« Tetro » de F. F. Coppola ; « Fish Tank » d’Andrea Arnold

Christophe Kantcheff  • 14 mai 2009
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Sur la scène improvisée de la Quinzaine des réalisateurs qui vient de projeter en ouverture son dernier film, Tetro , Francis Ford Coppola est là, décontracté, entouré de deux des comédiens du film, Alden Ehrenreich et Maribel Verdu (manquait ce matin Vincent Gallo (photo)), de son fils, Roman, qui l’a assisté sur le tournage, et de sa femme. Le cinéma chez les Coppola est une affaire de famille, cette famille, qui est le thème majeur de sa filmographie, et qui se retrouve au centre de Tetro .

Illustration - « Tetro » de F. F. Coppola ; « Fish Tank » d'Andrea Arnold

L’histoire que raconte Tetro a aussi à voir avec la propre famille du cinéaste puisque le scénario, écrit à ses moments perdus pendant la réalisation de ses deux précédents films, comme il l’a expliqué lui-même, puise dans sa généalogie. Il y est question d’un grand chef d’orchestre patriarche autoritaire : le père de Francis était un compositeur mondialement connu, qui avait aussi un frère chef d’orchestre. Tetro raconte les dégâts fait par un tel père sur ses enfants (interprétés par Vincent Gallo et le jeune et débutant mais très convaincant Alden Ehrenreich aux faux airs de Leonardo di Caprio).

Illustration - « Tetro » de F. F. Coppola ; « Fish Tank » d'Andrea Arnold

Mais peut-être plus encore que la richesse thématique de Tetro , qui aborde nombre de figures mythologiques – le meurtre du père, les rivalités entre deux frères… – et des interrogations vertigineuses – comme celle-ci : peut-il y avoir deux génies dans une famille ? –, c’est la liberté et la maîtrise cinématographiques dont fait preuve Coppola qui impressionnent. Avec, qui plus est, des moyens simples : le jeu entre le noir et blanc pour le présent et la couleur pour les réminiscences d’un passé traumatique. Un mode narratif essentiellement réaliste, voire pittoresque pour certaines séquences, puisque l’action se passe en Argentine, qui laisse place de temps à autres à de superbes reconstitutions chorégraphiques stylisées…

Je pourrais décrire à l’infini. Il faut comprendre ici qu’il ne s’agit pas simplement de technique. Mais d’un langage cinématographique, un style, qui n’appartient qu’à ce cinéaste et à lui seul, et qui dans le même temps rassemble ou accueille tout le cinéma. À 70 ans, Francis Ford Coppola signe là une œuvre non pas testamentaire, mais d’une exceptionnelle souveraineté.

L’Angleterre, une banlieue déshéritée, une mère seule avec ses deux filles dans une ambiance de famille à couteaux tirés, des comédiens plus vrais que nature. Ken Loach ? Non, Andrea Arnold. Une cinéaste dont Fish Tank , en compétition officielle, est le deuxième long, qui avait déjà été récompensée à Cannes en 2006 pour Red Road , le précédent, par le prix du jury.

Tout de même, il y a quelque chose de très repérable dans ce cinéma « social » anglais, et beaucoup de déjà vu, qui oblige les nouveaux cinéastes qui s’engagent dans cette voie à faire preuve d’une forte personnalité artistique, qui ne s’acquiert pas forcément en quelques années seulement.

Illustration - « Tetro » de F. F. Coppola ; « Fish Tank » d'Andrea Arnold

C’est sans doute pour cette raison que tout en ayant des qualités, Fish Tank ne laisse pas une impression incommensurable. Son personnage principal, la jeune Mia (Katie Jarvis), 15 ans, abrupte, rugueuse, en rébellion permanente, et qui s’entraîne seule au hip hop dans une pièce vide, est incontestablement bien dessiné. Mia marque le film de sa silhouette aux signes de féminité gommés, de son visage aux yeux noirs qui ne sourit jamais, et par sa capacité à affirmer sa liberté, souvent de façon agressive. Mais sous cette carapace défensive bat… un cœur. Elle est troublée par le nouvel amant de sa mère. De fait, c’est plus qu’un trouble.

Andrea Arnold veut sans doute trop bien faire avec son petit personnage-soldat des temps du rap, toujours prête à prendre sa revanche quand elle s’est fait avoir (et là, Mia va se faire avoir dans les grandes largeurs). Elle la filme constamment caméra à l’épaule, tout près, comme pour pouvoir la rattraper au cas où elle tomberait. Fish tank est un film de sauvetage. Sympathique, mais pas forcément abouti.

Dans Red Road , une femme repérait l’assassin de son mari et de sa fille grâce à des caméras de surveillance. Ici, c’est par le biais d’images tournées avec un caméscope que Mia découvre la vérité sur l’amant de sa mère. Dommage que la réalisatrice ne creuse pas davantage cette question des images volées ou visionnées en secret, et donc problématiques, et dont elle ne se sert qu’au premier degré.

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