Marathon pour une carte grise

Immatriculer un véhicule d’occasion acheté dans un État membre est censé être plus facile, parce que l’Europe de la libre circulation. C’est tout le contraire. Entre absence de traduction des termes de base, racket officiel des constructeurs et dysfonctionnement inquiétant de l’administration, on frôle le chaos absolu. Et bien sûr, des sous-traitants malins s’insinuent dans les failles pour alourdir encore un peu la note. Récit d’un marathon pour une carte grise et mode d’emploi pour tous celles et ceux qui devraient faire le même.

Christine Tréguier  • 8 décembre 2016
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Marathon pour une carte grise
Photo : GARO / Phanie

On s’imagine que l’Europe facilite la vie des citoyens, mais on se trompe énormément. Prenons le cas d’une jeune femme qui rachète à vil prix à un ami londonien une voiture de marque française, Peugeot pour ne pas la nommer, espagnole d’origine donc avec conduite à gauche, mais immatriculation britannique. Elle craint de ne pas pouvoir prendre le shuttle faute de carte grise, mais aucun problème. Par contre, lorsqu’elle téléphone pour savoir quels papiers sont nécessaires pour l’immatriculer en France, ça se gâte.

Sur le site de la préfecture, la liste des documents nécessaires est longue et elle n’y comprend rien. Autant commencer par ce qu’elle sait être indispensable, le contrôle technique. Donc révision, mais au garage, côté papiers, ils ne savent pas et transmettent le peu de documents en sa possession au contrôle technique. Là, on lui parle de fiche d’identification, de déclaration de perte ou de défaut de carte grise à obtenir en Angleterre. Son ami se met sur la piste, mais ça ne donne rien. Au contraire, quinze jours plus tard, elle reçoit de l’administration anglaise en charge des véhicules, un courrier lui expliquant qu’ici on ne s’occupe pas de l’export de voitures, accompagné de l’acte de vente que devait conserver son ami. Entre-temps, la Peugeot est arrivée au garage qui doit faire le contrôle et là, bonne nouvelle : la copie d’acte de vente qu’elle a transmise comporte deux colonnes et celle de gauche est le Registration Certificate, autrement dit la carte grise. Mais que font les traducteurs du service public !

Par contre, on l’informe qu’il manque le Certificat de conformité. Cékoiça ? Un papier, indispensable pour procéder au contrôle qui dit que la voiture est bien conforme aux normes européennes. Bien. Et où trouve-t-on ce certificat magique ? Auprès du constructeur. Coup d’œil sur le site de celui-ci, il y a bien un formulaire de demande de copie dudit document (fourni avec toute voiture depuis 1998, année de sortie de la sienne) et un prix… 200 euros. Du racket ! Allo M. Peugeot, dites, je crois que ma voiture est aux normes, je fais comment ? Un mail arrive avec un lien vers… le même formulaire. Elle demande à Google qui cherche, cherche, cherche… un site informe que la DDT, enfin la DDE euh non la DDET… enfin ce qu’on appelait avant « les mines », le délivre pour moins cher. Allo Mme de la DDTE, dites-moi. La dame infirme, son service ne produit pas le papier, mais si sa voiture est conforme alors ça devrait coûter moins cher. Retour sur le site Peugeot, commande, pas d’option, un seul tarif : 200 euros et un délai de 72 heures au moins. Clic, clic, clic, elle capitule et attend le précieux sésame.

Cinq jours plus tard et un bon mois et demi après son retour de Londres, elle récupère enfin sa voiture avec CT en ordre, registration certificate, certificat de conformité et tout le toutim. Entre-temps, elle est allée aux impôts récupérer le quitus fiscal (le non-gage) (en une heure seulement) et elle n’a plus qu’à rassembler tous les documents listés sur le site du service public et se rendre à la sous-préfecture la plus proche de chez elle pour solder cette affaire. Mais dans la série ça se délite à donf, il n’y a pas que les soi-disant « services internet », il y aussi certaines administrations qu’elles soient 2.0 ou 1.0, ou zéro.t,. Et en particulier pour les services préfectoraux genre, Papiers et documents pour étrangers (c’est connu et inlassablement dénoncé par les associations en particulier à Nanterre) ou encore Cartes Grises et Permis de conduire. La preuve par l’exemple.

À Antony, la veille, un incendie a ravagé la sous-pref (ça arrive et pas que dans les séries télé), qui n’avertit les usagers ni via son site, ni via son serveur téléphonique, que ses portes sont closes. À Boulogne ou Nanterre il faudra aller, explique le pauvre vigile qui n’en peut plus de se faire houspiller par les visiteurs en détresse. Elle hésite : envoyer par mail ? pas plus de 5 Mo de pièces jointes pour 12 pages au moins, impossible ! Par écrit ? Il semblerait que pour les véhicules étrangers, il soit préférable de se rendre sur place. Au bout de dix coups de fil infructueux au seul numéro disponible pour joindre les services cartes grises des Hauts-de-Seine, le « en raison du trop grand nombre d’appel blabla », laisse place à une petite voix qui lui confirme qu’il faut bien venir au guichet à Nanterre.

Métro, RER, petite marche le long des immeubles barbares bordant l’avenue, passage des portiques électroniques (dont un en panne), slalom entre les grappes de migrants qui font la queue pour accéder au Bureau des étrangers, attente dans la file de vingt personnes qui poireautent devant le Bureau Permis et Cartes grises. Bonjour Madame qui sort, ça se passe comment dedans ? La dame brandit une feuille A4 qui donne les instructions pour faire son dépôt de dossier… par écrit. Elle se faufile jusqu’aux deux personnes qui triment au guichet d’accueil pour être sûre. Voiture étrangère… par écrit ? Non, prendre rendez-vous lui répond-on en lui tendant une feuille où est marqué « permis étranger ». Non, pas permis, carte grise ! La jeune femme ne sait pas, questionne son collègue qui sans même avoir compris répond « oui, oui rendez-vous ». Abasourdie elle repart, une nouvelle feuille dans la main, sur laquelle ne figure aucun numéro d’appel.

Sur le trottoir, au vu et su de tous, plusieurs personnes distribuent de jolis prospectus couleur. Il est inscrit carte grise quelque chose, peut-être bien .com. Plus tard, en racontant l’histoire à une amie, elle apprendra qu’il existe des services, comme carte-grise.com, qui s’occupe de tout pour la modique somme de trente euros. C’est un peu long, mais ça vaut le coup, lui conseille l’amie. Et là, la moutarde lui est monté au nez et elle m’a appelée.

Quel enseignement tirer de cette histoire ? Le service public, payé sur nos deniers, dysfonctionne à un point tel que des prestataires privés s’immiscent et s’engraissent officiellement en faisant leur travail et en nous faisant payer une seconde fois. Les réductions de frais et des personnels imposés par la « rationalisation » des services publics, profitent non pas aux dits services, ni aux usagers, mais à des entreprises privées. Bientôt, ils reprendront ces services à valeur ajoutée qui seront privatisés sur conseil des cabinets de consulting internationaux.

Quelques idées nous sont venues avec mon amie : pourquoi ne pas nous, usagers, ouvrir un site collaboratif comme on dit, où serait proposé traductions des jargons administratifs, démarches clairement explicitées, réunion des dossiers chaque semaine, et mutualisation des envois et des expéditions en préfectures. On pourrait appeler ça Mapréfecture.org ou Nosdémarches-préfecture-ensemble.eu ? Ou bien développer une petite IA, comme celle de ce jeune anglais qui conteste les PV ? Elle ferait le boulot mieux que personne et pour pas un sou.

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