Survivre à Gaza

Malgré la trêve conclue en juin entre le gouvernement israélien et le Hamas, le sort des Gazaouites ne s’est pas amélioré. Eugénie Rébillard, qui a vécu huit mois là-bas, raconte.

Eugénie Rébillard  • 6 novembre 2008 abonné·es

Quelle est la situation économique ?

Chômage galopant, prix exorbitants, rareté des marchandises, la situation économique à Gaza se dégrade de jour en jour. La moitié des familles vit sous le seuil de ­pauvreté. Les Israéliens vendent aux Palestiniens certains produits tels que le lait, mais les quantités ne sont pas suffisantes pour répondre à la demande. D’autres produits de base, comme l’huile, sont fournis par l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient). Quant aux autres denrées, elles arrivent via les tunnels entre la bande de Gaza et l’Égypte.
L’huile alimentaire est utilisée comme carburant de substitution, le pétrole étant devenu rare, bien que de petites quantités soient autorisées à rentrer par Erez. Cette alternative au pétrole et au gaz est très polluante et très nocive pour le système respiratoire.
La grande majorité des usines ont été bombardées systématiquement par l’armée israélienne depuis juin 2006. Les dernières ne sont plus actives car les matières brutes nécessaires à la production n’entrent pas dans la bande de Gaza. Elles ont dû licencier leur personnel et ne sont plus que des vestiges d’une vie économique passée.
Les échanges économiques entre la bande de Gaza et le monde extérieur sont inexistants. En effet, les Palestiniens ne peuvent pas vendre leur production, car elle n’existe plus, mais ils doivent acheter aux Israéliens, les seuls autorisés à vendre à la population de Gaza, et ce de manière restrictive.
Quant à la rentrée scolaire, elle est perturbée par la rareté et le coût excessif du papier.

Quelle est la situation sanitaire ?

L’absence de médicaments et de matériel médical rend impossible bon nombre de soins et d’opérations. Le nombre de personnes décédées par pénurie de médicaments ou de soins ne cesse d’augmenter : ce sont des victimes directes de l’embargo. De plus, les autorités israéliennes n’accordent que très peu d’autorisations de transfert dans les hôpitaux israéliens et ont recours au chantage : en échange de soins, le malade devra travailler pour elles à son retour à Gaza et récolter des informations.
L’utilisation de l’huile comme carburant est responsable de nombreux dysfonctionnements respiratoires. Le service de pneumologie de l’hôpital Al Shifa est totalement débordé et ne peut faire face à l’afflux de patients présentant ces ­troubles. De nombreux enfants souffrent de carences alimentaires et ont un taux ­d’anémie très élevé.
Comment fonctionnent les tunnels ?
Les tunnels entre Gaza et l’Égypte constituent le principal moyen de ravitaillement pour les Palestiniens de Gaza. Mais ces tunnels sont instables : ils peuvent ­s’écrouler à n’importe quel moment du fait de la porosité du sol. Il faut plus d’un mois pour creuser un tunnel, et cette opération s’avère bien souvent dangereuse, voire mortelle. Plusieurs Palestiniens sont décédés dans des éboulements. Les tunnels ne servent pas uniquement à faire circuler des marchandises, ils sont aussi utilisés comme passages pour sortir ou rentrer dans la bande de Gaza. Des militaires égyptiens postés de l’autre côté ont propagé du gaz dans certains tunnels, ce qui a causé au mois d’avril dernier la mort de six Palestiniens qui tentaient de sortir.

Quelle est la situation à la frontière palestino-égyptienne ?

Depuis juin 2007, date à laquelle l’embargo total a été décrété, les Palestiniens de Gaza ne peuvent plus sortir. Le poste de frontière de Rafah avec l’Égypte est fermé. Des milliers de Palestiniens originaires de la bande de Gaza ne peuvent rentrer chez eux, ce qui entraîne des situations familiales dramatiques. La frontière a été brisée au mois de janvier, mais cette ouverture a été de courte durée. Le gouvernement égyptien, qui n’avait pas riposté sur le coup, a clairement menacé le Hamas de représailles s’il rouvrait les frontières par la force. Les déclarations du ministre des Affaires étrangères ont été sans ambiguïté : « Si vous refaites exploser la frontière, je vous briserai les jambes » , a-t-il dit en ­s’adressant au Hamas.
Début septembre, les autorités ­égyptiennes ont arrêté un convoi de militants égyptiens organisés par des forces d’opposition égyptienne, principalement de gauche et issues des Frères musulmans.
À l’occasion du mois du Ramadan, ces autorités ont ouvert la frontière pendant deux jours, et un nombre limité de Palestiniens ont pu sortir. Depuis juin 2007, la frontière n’a été ouverte que trois fois.

Quelle est la situation politique interne ?

La division palestinienne est toujours vivace, et les dernières semaines ont été le théâtre de nouveaux différends entre les deux principales forces politiques palestiniennes. Avant d’aborder cette récente querelle, il est important de signaler que la société palestinienne s’est toujours caractérisée par son pluralisme politique. Le Hamas, comme le Fatah, dispose toujours d’une importante base de soutien populaire. On peut néanmoins constater que la population de Gaza se sent délaissée par l’Autorité de Ramallah, dont elle estime qu’elle ne s’intéresse à la bande de Gaza que lorsqu’il est question de rétablir son autorité.
Un mouvement de grève a été déclenché par des médecins et des enseignants qui voulaient protester contre le licenciement, par le gouvernement du Hamas, d’une partie du personnel lié au mouvement Fatah. Le personnel lié au Hamas ne participe pas à la grève. Les fonctionnaires du secteur de l’éducation et de la santé sont rémunérés par l’Autorité de Ramallah, dont les représentants ont déclaré que ceux qui reprendront leur travail seront privés de salaire. Cette grève constitue pour l’Autorité de Ramallah un moyen de pression économique et politique sur le gouvernement du Hamas. Dans le même temps, ce dernier tente de placer au sein de ces deux secteurs que sont l’éducation et la santé un personnel le soutenant.
Face à cette nouvelle situation de crise, des instituteurs affiliés au Jihad islamique ont organisé un rassemblement devant le parlement palestinien de Gaza pour protester contre la prise en otage du secteur de l’éduction et de la santé par l’Autorité de Ramallah et le gouvernement du Hamas. Selon ces instituteurs, cette grève n’est qu’un prétexte destiné à reprendre les affrontements politiques entre le gouvernement du Hamas et l’autorité de Ramallah. Le rassemblement a finalement été dispersé par les forces de l’ordre du Hamas. Les autres forces politiques palestiniennes de la bande de Gaza, principalement le Jihad islamique et le FPLP (Front populaire de libération de la Palestine), ne cessent depuis juin 2007 d’appeler à l’unité nationale, mais ces appels ne reçoivent pas, chez les forces politiques concernées, l’écho escompté.

Y a-t-il des mouvements salafistes dans la bande de Gaza ?

Hormis l’occupation israélienne et l’embargo, plane un autre danger qui menace la sécurité d’un million et demi de Palestiniens vivant dans la bande de Gaza. Il s’agit de groupes salafistes ayant déclaré la guerre à tous ceux qu’ils considèrent comme impies : ceux qui ne se conforment pas à l’islam qu’ils ont défini. Ils se dénomment Jeish al Islam (armée de l’Islam) ou Jeish al-Umma et déclarent être proches d’Al-Qaida, du moins sur le plan idéologique. Personne ne sait réellement qui sont ces obscurs combattants.
Ces groupes s’en prennent directement à la population palestinienne. Intimidations, bombes : des propriétaires de cafés Internet ont reçu des menaces et certains ont vu exploser leur établissement. Au mois de mai, le groupe Jeish al Islam avait déposé une bombe au pied d’un hôtel, ainsi qu’à l’entrée de l’école Al Wardiyya, tenue par des religieux chrétiens et dont 90 % des élèves sont de confession musulmane.
Le gouvernement du Hamas a renforcé la sécurité des lieux susceptibles d’être attaqués par ces groupes en y postant jour et nuit des policiers. Depuis deux mois, la situation s’est calmée. Le Hamas a récemment procédé à l’arrestation du chef de Jeish al-Umma et de cadres de la même organisation. Ces arrestations ne constituent qu’une victoire partielle du Hamas sur ces groupes, qui représentent toujours une menace importante pour la stabilité et la sécurité de la bande de Gaza et de ses habitants, ainsi que pour le gouvernement du Hamas.

La situation, aussi bien palestinienne que régionale, semble bloquée. Aucun État, aucun gouvernement, aucune institution internationale n’a œuvré pour lever l’embargo. Aucun accord entre l’Autorité de Ramallah et le Hamas n’a été trouvé pour ­mettre fin à la division palestinienne.
La population de Gaza se sent abandonnée aussi bien par la communauté internationale, que par les pays arabes ou par ses propres forces politiques. Quant à la jeunesse, elle se trouve incontestablement dans une impasse : embargo, enfermement, chômage… et n’ose même plus former de projets d’avenir.

Monde
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