Courrier des lecteurs 1086

Politis  • 21 janvier 2010 abonné·es

Où va Bernard Langlois ?

J’ai 80 ans et j’ai essayé jusque-là d’être présent au monde en politique, à travers le syndicalisme et des associations populaires (de gauche). Je n’ai pas atteint les objectifs que je souhaitais. Un monde plus juste, plus fraternel, plus égalitaire, en paix. Mais je ne baisse pas encore les bras. Alors je suis de plus en plus déçu par les blocs-notes de Bernard Langlois, journaliste courageux et de grand talent pour lequel j’ai tant d’estime depuis longtemps. Il y a quelque temps, au moment des grandes grèves et manifestations unitaires, il avait déjà copieusement mis en cause les dirigeants syndicaux. (Je lui avais d’ailleurs écrit.) Cela conduisait à déstabiliser encore plus les syndicats qui n’ont pas besoin de cela avec le faible taux de syndiqués face au capitalisme et au libéralisme, omniprésents. Où irions-nous sans syndicats ni mobilisation ouvrière à espérer et à bâtir ? Dans le n° 1084 de Politis , il revient à la charge avec les clowns. Il critique à nouveau (le chevelu et le barbu en tête). L’envie d’en découdre de la base existe sans doute, mais comment la réaliser avec le chômage, les bas salaires, les temps partiels, les crédits, les intérims, les fins de mois etc. ? Et il va encore plus loin, déclarant ne plus croire à l’espoir de gauche de la gauche. Alors, quoi, on déserte ! Qu’il cultive son jardin, qu’il lise, qu’il rigole, mais qu’il ne décourage pas les autres en le disant dans un journal aussi nécessaire que Politis. Non, même passé la soixantaine, on n’a pas à rester sur la touche. Les jeunes ont besoin de nous ! Mais je lui conserve mon estime, je souhaite qu’il se reprenne. De toute façon je lirai encore ses blocs-notes, comme le reste de Politis.

Fernand Lamdraud,
Saint-Alban-Auriolles


Selon un sondage, 67 % des Français n’ont plus confiance dans la politique. Juste retour des choses car, après tout, ce sont les politiques qui ont commencé à ne plus avoir confiance dans leurs électeurs.
La preuve : les Français disent non au TCE le 29 mai 2005 à 54,68 %, et que font les parlementaires le 4 février 2008 ? Ils ratifient majoritairement le traité de Lisbonne !
Fallait pas commencer !

Pascal Mullié, Lille


Deux hommages à Daniel Bensaïd

Lettre à mes camarades
sur la mort d’un camarade

Fred vient de m’appeler.
Je suis immensément vide comme l’aube d’un mauvais dimanche.
Mon ami, mon complice du poème, de la lutte et de l’amour vient de partir. Je n’arriverai jamais à croire à sa mort.
Depuis longtemps, je m’étais habitué à sa maladie comme une critique de la raison dialectique.
Je le vois encore courir dans la rue avec un drapeau en lambeaux contre la mort de Rudi Dutschke, il y a bien longtemps de cela. Nous avions tous des pseudonymes, et lui s’appelait Ségur, comme une station de métro ou une montagne, je ne saurai jamais.
Sa clarté politique, sa capacité théorique font de lui un des plus importants philosophes de l’histoire. Notre siècle permanent a toujours besoin de cela. Daniel était un théoricien qui rendait visible notre invisible. Il était un mouvement qui pensait le mouvement.
Son courage militant, sa générosité, sa tolérance étaient légendaires dans nos majorités clandestines. Les drapeaux que nous hissions ensemble sur l’espérance flottaient comme des parenthèses dans la longue phrase que nous écrivions.
Son goût pour la littérature irriguait son œuvre politique.
Nous parlions souvent des rapports qui unissaient la poésie et la vie, le langage et l’utopie.
Daniel aimait dire que « l’histoire nous mordait la nuque » , il le répétait souvent.

Oui, ensemble nous mordions l’histoire. Nous étions des loups tendres dans la neige blanche des cahiers d’écriture de l’espérance.
Nous marchions pieds nus, presque anonymes, avec la colonne des fantômes anonymes de tous les fusillés.
Daniel était une Commune, une Brigade internationale, un Poum.
Il était un samizdat dans un goulag stalinien, un focos en Amérique latine, un Z à Athènes, une imprimerie de faux billets à la frontière algérienne. Il était un cocktail Molotov contre un char russe à Prague, une valise et une insurrection du ghetto de Varsovie.
Daniel voulait faire une préface à mon livre Poèmes philosophiques à l’usage de la guerre sociale. Dialectique de la Tour de Pise.

J’avais écrit un poème en détournant ses mots, sans en enlever un seul. En les disposant dans l’espace d’une manière différente, cela faisait de ce texte un poème. On le sait, le rythme fait sens, et un poème se lit verticalement, même lorsqu’il est écrit comme une prose.

«  Définition de la révolution
Elle n’est pas d’aujourd’hui
ni même d’hier
En un certain sens
et jusqu’à un certain point
Mais en un autre sens et jusqu’à un autre point
Au sens et au point
qu’il s’agit d’un autre sens
et d’un autre point
le chapitre des bifurcations
reste ouvert à l’espérance
Tout n’est peut-être pas possible
mais quelque chose
autre chose sans doute
un champ de possible s’ouvre
Il n’est pas sans limites
C’est ce qui distingue la possibilité déterminée
et concrète
de la possibilité indéterminée
et abstraite
qui n’est que le contraire de l’impossible
La clairvoyance est une source qui surgit
au centre de l’eau boueuse. »

Daniel me racontait souvent que la révolution était un pari. J’en ai conclu que nous étions ses joueurs et, grâce à lui, je n’ai jamais quitté la table de son jeu.
Sans arrêt, je me suis appliqué à créer de nouvelles cartes et à inventer de nouvelles règles.
On se rencontrait dans le poème
et le poème nous rencontrait.
Il m’appelait « amarade » parce qu’on s’aimait.
Je lis ses livres aujourd’hui sans arrêt comme des remèdes contre les barbaries des rapports de production, la trahison de nos drapeaux, les contradictions objectives du zoo de la société du spectacle et ses marionnettes de sang.
En déchiffrant les hiéroglyphes de la modernité, j’invente de nouvelles barricades.
Daniel m’a appris aussi le sens de la victoire, même si nous perdons parfois nos batailles apparentes, car le mot victoire n’a pas le même sens dans notre bouche et dans celle de l’ennemi.
Comme la mort et comme la vie.
Salut Daniel, salut mon camarade, salut toi, salut mon souvenir. Mais un souvenir qui vient de devant nous et non du passé.
Ensemble : ce souvenir permanent que nous construisons et qui parfois semble venu de l’avenir.
Quel pistolet et quel livre emmènes-tu dans ton dernier voyage ?
Salut toi. Salut Ségur. Salut Daniel. Salut Bensa.
Salut. Je te récite mon poème. C’est la seule chose que je sache
faire. C’est mon pistolet et c’est mon livre.
Dans ce monde rempli de morts, aujourd’hui tu es un vivant définitif.

Serge Pey


Rares sont les êtres que je ne connais pas de près, qui ne sont pas de mon intimité, et dont je pleure la mort. Hier, j’ai passé la journée en larmes à reprendre les textes de Daniel Bensaïd en pensant à tous ceux que sa mort nous volait. J’avais 20 ans en 1974 et je fus depuis le départ ou presque de la LCR. Cet immense intellectuel a aidé la philosophe et la femme en devenir que j’étais à se forger de solides doutes, de grandes utopies, et il m’a offert la force du non. Pour lui, je pose ce poème d’un autre que j’ai tant aimé, René Char :

Qu’il vive
Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains.
La vérité attend l’aurore à côté d’une bougie. Le verre de fenêtre est négligé. Qu’importe à l’attentif.
Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému.
Il n’y a pas d’ombre maigre sur la barque chavirée.
Bonjour à peine est inconnu dans mon pays.
On n’emprunte que ce qui peut se rendre augmenté.
Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres de mon pays. Les branches sont libres de ne pas avoir de fruits.
On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.
Dans mon pays, on remercie.
Qu’il vive,

René Char (1968)
Merci à vous Daniel Bensaïd, merci.

Muriel Anastaze


Éric Besson jette le trouble Nicolas Sarkozy, directeur des ressources humaines, a exfiltré une compétence du PS pour lui confier certaines tâches. Mais le DRH reproche peut-être à l’hyperprésident de n’avoir pas fait le travail lui-même. En effet, le débat sur l’identité nationale, au lieu de couper l’herbe sous le pied du FN, l’a remis en selle et divise la droite. La question du droit de vote des résidents étrangers met en évidence les contradictions multiples entre les paroles et les actes (une fois de plus), entre le chef et ses troupes, entre président et ministres… Il permet à Martine Aubry de faire événement en faisant une seule proposition concrète ! Proposition répétée à satiété, au moins depuis 1981, sans conséquence, et oubliée par Jospin sur un bureau du Sénat !
Débat sur l’identité et droit de vote, deux initiatives d’Éric Besson qui donnent largement la parole au FN en jetant le trouble dans les troupes de l’UMP. Bonne initiative à l’approche des régionales !

Paul Oriol

Courrier des lecteurs
Temps de lecture : 8 minutes