« Trouver un nouveau souffle »

Comme au lendemain du premier tour des élections, nous avons demandé à François Delapierre* (Parti de gauche) et à Patrick Farbiaz (9985) (Verts) d’analyser les résultats des régionales et de tracer quelques pistes pour l’avenir.

Michel Soudais  • 25 mars 2010 abonné·es

Politis : Quel bilan général tirez-vous des élections régionales ?

François Delapierre : Ce vote efface en quelque sorte politiquement la victoire de Sarkozy en 2007. Trois ans après son large succès à la présidentielle, la droite enregistre une déroute électorale sans précédent depuis 1958. On assiste aussi au retour en force de l’abstention et du vote FN. J’y vois le signe que la société et le pouvoir qui est chargé de la diriger comme de la représenter sont placés sur des trajectoires dont la divergence s’accélère. Bien sûr, institutionnellement, tout pourrait continuer comme avant, car l’élection concernait uniquement les assemblées régionales. Mais, politiquement, c’est une autre affaire. Le pouvoir a perdu l’assise qui lui a permis jusqu’ici d’appliquer ses orientations sans relâche. L’échec personnel de Sarkozy fait que la clé de voûte de la droite et des institutions est à terre. L’édifice est déjà en train de se défaire. On reconnaît là la vieille formule « en bas on ne veut plus, en haut on ne peut plus ». D’autant qu’en donnant à voir ce décalage, l’élection en est aussi un terrible accélérateur. Le pays est donc entré en état d’urgence politique.

Quelles conséquences aura ce scrutin sur le paysage politique ?

Personne ne peut le dire. Si, comme je le crains, Sarkozy nie le message des urnes et veut notamment imposer sa réforme des retraites, la crise politique va s’aggraver. Mais les formes et l’issue de celle-ci dépendront des résultats de la lutte sociale et politique que nous mènerons ces prochains mois. Le PS va-t-il maintenir son offre de pacte avec l’UMP sur les retraites ? Bien qu’en accord sur la réforme, une partie de la droite va-t-elle se désolidariser pour tenter de représenter une alternative à Sarkozy ? La victoire électorale de la gauche va-t-elle rendre possible un nouveau mouvement social ? Qui va gagner cette confrontation ? On voit bien que tout est possible. C’est même la caractéristique de la période ! Nous sommes dans des temps de forte instabilité politique. Regardez déjà l’extraordinaire évolution du paysage électoral en trois ans : le MoDem passé de 18 % des voix à 4 % seulement ! Et un mouvement inverse pour les Verts, qui obtenaient moins que le PCF en 2007. Sans oublier que le FN a été relancé par ces régionales. Et que l’ultrapersonnalisation du pouvoir, caractéristique de la phase actuelle de la Ve République, aggrave encore ce phénomène d’instabilité. Pour l’heure, nous avons heureusement la main. Mais il ne faut surtout pas déduire de ces régionales qu’un chemin assuré et paisible s’est ouvert sous les pas de la gauche.

C’était la deuxième fois que le Parti de gauche se présentait sous l’étiquette Front de gauche. Souhaitez-vous la pérennité de ce rassemblement, et selon quelles modalités ?

Cette élection a installé politiquement le Front de gauche. Non seulement au premier tour avec la présence de nos listes dans 17 régions et les 7 % que nous y avons obtenus. Mais aussi au second tour avec les 19 % de la liste Front de gauche-NPA en Limousin. C’est tout juste si ce résultat a été signalé lors des soirées électorales dimanche dernier. Il est pourtant extraordinairement révélateur des potentialités de l’autre gauche rassemblée. Nos camarades, conduits par Christian Audouin, gagnent plus de 50 % de voix entre les deux tours ! Le PS était convaincu de gagner ce bras de fer qu’il a voulu localement comme nationalement pour relativiser le poids du Front de gauche et jeter un interdit sur toute alliance avec le NPA (quand bien même dans le Limousin il s’est agi de NPA unitaires). Nous avons fait à l’inverse la démonstration que nous avions des réserves électorales considérables et que le vote pour le Front de gauche se renforce lorsqu’il s’agit du tour décisif. Donc nous ne sommes pas seulement une nuance de premier tour, mais nous pouvons être vécus comme une alternative pour diriger. Voilà ce qu’il nous faut conforter dorénavant. Cela implique que le Front de gauche trouve un nouveau souffle. Mais il n’y aurait pas de sens à vouloir seulement faire fructifier notre petit pactole électoral. Nous avons d’autres responsabilités dès lors que nous estimons que le PS et Europe Écologie ne sont pas à la hauteur de l’état d’urgence du pays. En Grèce, on voit comment le gouvernement social-démocrate, pourtant élu après avoir promis la relance économique et des sacrifices pour les plus riches, a fait volte-face sous la pression des banques et du traité de Lisbonne. Alors croit-on que Strauss-Kahn y résisterait un instant ? Donc le Front de gauche n’a pas d’autre choix que de se hisser à une nouvelle hauteur afin de devenir un recours pour le pays. Cette conquête du pouvoir se prépare notamment par des candidatures communes à toutes les prochaines élections autour de plateformes partagées qui en viendront à constituer une alternative globale pour le pays.

Publié dans le dossier
Le sarkozysme en crise
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