Le Président ? Un homme au poil

À coups de photos torse nu dans des situations sportives, Vladimir Poutine a fait de son corps en action le meilleur des outils de communication. Avec un certain succès.

Claude-Marie Vadrot  • 23 décembre 2010 abonné·es

Poutine à la pêche, Poutine luttant contre les feux de forêts l’été dernier, Poutine à la chasse, Poutine à la plage… Les Russes ont pris l’habitude, depuis le début de son règne, de voir leur Président devenu Premier ministre exhiber son corps et ses exploits physiques aux foules béates. La plus célèbre des photos : Vladimir Poutine à cheval en Sibérie, pantalon de camouflage et torse nu, le poignard de chasse au côté, le comble de la virilité slave.
L’image a fait le tour de la Russie et se retrouve souvent affichée en grand dans les écoles et les administrations. Elle séduit autant que la séquence télévisée qui ­montre le chef, toujours à moitié à poil et sur son – évidemment – fougueux destrier, en train de détacher virilement sa montre (une Rolex ?) pour se pencher impérialement vers un jeune garçon admiratif afin de lui en faire cadeau. L’objet aurait pris place dans le krasni ugol de sa maison, le coin sacré, où une bougie brûle en permanence pour ­honorer Saint Georges, celui qui terrasse les ­dragons. Si on ricane un peu, mais discrètement, dans le Moscou des nouveaux riches et des oligarques, on se pâme dans les banlieues, au fond des provinces et dans les isbas. Les babouchkas admirent, la presse en rend compte avec complaisance : « Notre tsar qui est si beau, qui est si fort et qui sait vivre comme la plupart d’entre nous, bojemoïe – mon Dieu –, un vrai Russe, pas un dégénéré de la ville et de l’Occident. » À chaque intervention bucolique, le Président, qui est plutôt bien foutu et fait souvent savoir à quel point il entretient son corps, fait jouer ses pectoraux, sachant fort bien à quel point ces numéros d’exhibitionnisme entretiennent sa légende d’homme fort, inflexible et proche du peuple : « nach Poutine », notre Poutine, « notre Vladimir Vladimirovich » , comme le disent les vieux, les jeunes et les femmes avec affection et admiration.

En témoigne le cadeau que lui ont remis en octobre, pour son 58e anniversaire, douze étudiantes de l’université de journalisme de Moscou : un calendrier où elles posent toutes en lingerie sexy. Titre de cet objet d’art vendu à 50 000 exemplaires : « Vous avez maîtrisé les feux de la forêt, mais nous brûlons encore pour vous. » Une illustration des dérives qu’entraîne le culte du corps du chef.

Poutine joue de la même image physique en entretenant sa légende de maître de judo, sport qu’il a peut-être appris pour devenir autrefois un irrépro­chable officier du KGB. Dans les écoles, on distribue même un livre dans lequel il enseigne cette discipline. Mieux, en 2008, à l’occasion de son 56e anniversaire, il a assuré lui-même le lancement d’un DVD dans lequel il transmet aux enfants et aux adultes ses talents de judoka. Comme le faisait autrefois Pierre le Grand montrant publiquement sa force aux moujiks dans les rues de Saint-Pétersbourg en construction, au début du XVIIIe siècle.

Le mâle Poutine a fait de son corps en action le meilleur de ses outils de communication, alors que le Président en place trimballe des costards que l’on pourrait croire taillés sous l’Union soviétique.

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Le corps en politique
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