Marine et la formule nordique

L’évolution du Front national de Marine Le Pen s’inscrit dans une poussée d’extrême droite qui frappe toute l’Europe du Nord.

Olivier Doubre  • 3 mai 2012 abonné·es

Depuis le début du XXIe siècle, note Laurent Chambon, chercheur français en science politique vivant depuis 1998 à Amsterdam et cofondateur de la revue en ligne Minorités, « le Nord de l’Europe a été marqué par une droitisation des sociétés et des partis politiques ». Auteur de ce brillant petit essai sur le renouvellement des discours et du programme du Front national (FN) depuis que Marine Le Pen en a pris la direction, il observe depuis près de quinze ans les sociétés néerlandaises, mais aussi danoises et scandinaves, où des partis d’une « extrême droite nouvelle formule? », « populiste et islamophobe », ont réussi une percée politique et recueillent autour de 20 % des voix, parfois depuis plus d’une vingtaine d’années déjà.

Selon Laurent Chambon, « contrairement à ce qu’on lit à longueur de presse, la stupeur provoquée par le possible succès de la candidate frontiste n’a pas vraiment lieu d’être », car « la montée en puissance du nouveau Front national n’est que la version française d’un phénomène beaucoup plus large qui a touché l’Europe du Nord avant nous ».

L’auteur dresse un panorama des sociétés
de cette Europe du Nord, à la fois si similaires et si différentes de la société française. En sa qualité de politiste et de résident français à Amsterdam (dont il fut le seul élu local étranger, du Parti travailliste), Laurent Chambon est au fait des débats et tensions qui secouent la société batave. Grâce à des éléments chiffrés et à une carte de l’implantation électorale de l’extrême droite pays par pays, il est en mesure de porter le jugement suivant, qui résonne tout particulièrement avec le débat français sur le mode de scrutin et l’institution si décriée (et supprimée aussitôt par le gouvernement Chirac) de la proportionnelle par François Mitterrand aux législatives de 1986, qui avaient porté 35 députés FN à l’Assemblée nationale : « Il est étonnant de constater que l’élection à la proportionnelle des différents parlements d’Europe du Nord donne, dans des pays avec une histoire et une culture politique tout à fait différentes de celle de la France, des partis relativement similaires à ceux que l’on peut trouver dans notre pays, même s’ils portent parfois des noms exotiques. Néanmoins, on remarque à quel point l’élection des députés avec le scrutin à la française, majoritaire uninominal à deux tours, réduit considérablement la diversité de l’offre politique. »

Laurent Chambon observe que les effets de la mondialisation néolibérale, depuis plus de trois décennies, ont produit, dans tous les pays européens, des sociétés où « la séparation entre les classes est absolue » et où apparaît ce « lien évident entre inégalité et intolérance ». Ainsi, « l’exclusion sociale extrême » est un véritable pain béni pour cette extrême droite nouvelle formule fort différente de celle des tenants de la collaboration ou de l’Algérie française.

Cette nouvelle extrême droite prétend défendre les valeurs « occidentales » et l’État providence, considérant que « notre système d’assurance collective est un bien précieux, et que ceux qui en profitent sans y contribuer doivent être punis ». À la différence de la droite anglo-saxonne, comme le Tea Party américain, qui affiche sa méfiance envers l’État. C’est une des principales particularités de cette mouvance en Europe, qui s’en sert pour « mieux ostraciser les étrangers, les musulmans et les polygames ». D’abord et avant tout islamophobe, elle accepte l’homosexualité, se déclare en faveur d’Israël (ouvertement gay, Geert Wilders est d’ascendance juive ?ainsi qu’indonésienne et a des liens avec le Likoud, le parti le plus à droite de l’État hébreu).

Comme Marine Le Pen vient elle-même d’y parvenir vis-à-vis des femmes et de certains secteurs de la France rurale, le parti de Wilders va chercher « des électorats différents, mis en résonance avec les thèmes sécuritaires et anti-islam : juifs, femmes et gays ; et ça marche » ! Il a proposé de manière provocatrice d’instituer « une ?taxe sur les chiffons, pour réduire le port du voile ». Il ne cesse de dénoncer les privilèges des classes moyennes privilégiées qui continuent de voter pour la gauche de gouvernement, et ce « hobby de gauche » que serait l’écologie, qui « coûte de l’argent public » et empêche les PME de travailler « librement » (sic).

En somme, le livre de Laurent Chambon est véritablement angoissant, cette nouvelle extrême droite semblant parfaitement à même de progresser encore davantage au sein de l’électorat de nos vieux pays européens, où la population, aujourd’hui fortement précarisée, se souvient des Trente Glorieuses comme d’une époque bénie à laquelle l’immigration et la mondialisation néolibérale auraient mis fin. Aussi faut-il s’inquiéter, avec l’auteur, de cette vague « que nous n’avons pas fini de subir, quelle que soit l’orientation politique du nouveau président ».

Idées
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