Pour un contrôle citoyen de la dette

Une centaine de collectifs ont planché à travers toute la France pour évaluer la réalité des déficits publics. Des assises nationales ont rendu compte de l’intérêt démocratique de cet audit populaire.

Thierry Brun  • 28 juin 2012 abonné·es

Rentrée 2011. Un appel signé par près de 70 000 personnes, fort d’une trentaine d’associations et de syndicats, est suivi par la constitution d’un Collectif national pour un audit citoyen de la dette publique (CAC). Depuis, plus de 110 collectifs locaux ont vu le jour, « souvent organisés au plan départemental, avec, pour nombre d’entre eux, des ramifications dans diverses localités ». Un état des lieux de cette initiative a été présenté le 23 juin lors d’assises nationales dans une annexe de la Bourse du travail à Paris. « Les comités locaux ont su animer la campagne d’audit, un travail remarquable d’éducation populaire, qui a très bien fonctionné, s’est félicitée l’économiste Esther Jeffers devant un groupe de travail d’une trentaine de personnes venues de toute la France. Associations et syndicats, soutenus par des partis et des organisations politiques, ont préservé le caractère unitaire de ce collectif national et c’est une des clés du succès », ajoute-t-elle. « On sort de six mois de campagnes électorales et nous n’avons eu aucune visibilité médiatique », déplore cependant Christiane, d’un CAC parisien situé dans le XIIe arrondissement. Josette, de Lyon, estime qu’il faut donner « une visibilité plus simple au collectif national. On voudrait une action reconnaissable partout, dans chaque ville ou village. Nous sommes tous dispersés. Avec une image commune et un mot d’ordre simple, homogène, nous serons plus médiatiques ». Claude, militant du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM), est venu de Poitiers et semble plus optimiste sur l’avenir du collectif : « Il n’y a pas d’essoufflement. Nous sommes dans une deuxième étape. Nous avons accumulé un matériel pédagogique qui nous permet d’articuler le travail d’audit local à celui d’expertise nationale. » Le collectif de Grenoble « a organisé des réunions de petits groupes, mais ce sont plutôt les classes moyennes qui viennent. Raymond Avrillier [ancien élu Vert rompu aux procédures judiciaires] va nous aider à élargir notre collectif », dit un militant. « En septembre, on va arriver à un tournant, notamment avec l’échéance du pacte budgétaire européen », prévient Michelle, de Saint-Malo.

Contre la propagande

« On a éprouvé une grosse difficulté à passer la barrière de l’information dans les médias. Il est nécessaire d’innover en matière de méthodes d’action. On a besoin d’ancrage », reconnaît Jean-Marie Harribey, économiste, membre du conseil scientifique d’Attac. « On a l’impression d’avoir fait le tour. Il faut autre chose », proclame Pierre, représentant du CAC rouennais. « Il ne faut pas sous-estimer les difficultés que l’on rencontre, admet Esther Jeffers. Mais ce qui a été fait est colossal de la part des collectifs locaux, même si les campagnes électorales ont fatigué les militants. Dès aujourd’hui, le combat est nécessaire. On peut montrer concrètement les implications de l’audit de la dette. » De nombreux documents pédagogiques ont été conçus par les CAC, souligne le texte de synthèse des assises, « tant au plan national que local, pour combattre la propagande consistant à expliquer que la France est en déficit parce qu’elle vit “au-dessus de ses moyens”, et sa conclusion : “Il faut réduire les dépenses publiques”  ».

L’ignorance des élus

En quelques mois, les collectifs locaux ont audité la dette des collectivités locales, des établissements de santé et des organismes de logement social, qui assurent plus de 70 % de l’investissement public en France, essentiellement grâce à des emprunts. « À la fin 2011, l’encours de la dette des collectivités territoriales s’élevait à 166,3 milliards d’euros (soit un peu moins de 10 % du total de la dette publique française) et celui des établissements publics de santé était de 24 milliards d’euros en 2010. Quant au logement social, le total de ses dettes était estimé à 89,5 milliards d’euros à la fin de l’exercice 2008 », relève un rapport d’étape de l’audit citoyen [^2] présenté pendant les assises. « Sur ce sujet, les élus, partout où j’ai été, par exemple à Tarbes et à Orléans, sont dans l’ignorance. Certains ont découvert en lisant la presse que leur commune était contaminée par des prêts toxiques », témoigne Patrick Saurin. Ce commercial du groupe Banques populaires-Caisses d’épargne, syndiqué à SUD-BPCE, a travaillé jusqu’en 2004 avec les collectivités locales et a « refusé de commercialiser des prêts structurés qui sont devenus par la suite des prêts toxiques ». En quelques mois, « nous avons créé des outils pour que les collectifs s’approprient la problématique de la dette publique locale et posent des questions aux élus. Le but est de réaliser un contrôle citoyen, de demander des comptes, dans le bon sens du terme », explique le syndicaliste. Un groupe de travail a rédigé un modèle de délibération destiné aux communes souhaitant notamment rejeter un emprunt à caractère spéculatif. Les CAC ont aussi lancé un « label collectivité pour un audit citoyen » et, à la suite de cette initiative, les premières délibérations ont été votées dans une dizaine de villes, dont Angoulême.

Dérives de la finance

Aujourd’hui, le diagnostic sur l’origine de la dette « progresse et gagne en crédibilité auprès d’une audience plus large que les cercles militants », ont indiqué les animateurs des assises nationales. « Un examen rigoureux des causes du creusement de la dette publique apporte un cinglant démenti au discours dominant : non, la dette publique n’est pas due à une dérive inconsidérée des dépenses publiques. Oui, elle provient pour une large part de la politique systématiquement orchestrée de réduction des recettes publiques », montre le rapport d’étape. Quant à l’aggravation brutale de la dette au cours des dernières années, le rapport souligne qu’elle « vient entièrement de la récession provoquée par la crise depuis 2008. Or, cette crise financière et économique résulte non pas de la dérive des dépenses publiques, comme veut nous le faire croire le discours officiel obsédé par les déficits, mais des dérives d’une industrie financière dérégulée, et, pour le cas européen, des failles structurelles d’une zone euro bâtie en fonction des intérêts de la finance ». Après l’annonce par le gouvernement d’un audit sur les finances publiques commandé auprès de la Cour des comptes, le Collectif pour un audit citoyen a adressé une lettre au président de la Cour des comptes et au ministre de l’Économie, et demandé à être entendu par la Cour des comptes. Demande pour l’instant sans réponse. « Une étape a été franchie par les collectifs, avec cet outil précieux et largement unitaire, en mesure de répondre à beaucoup de questions que les gens se posent. On voit aussi des appels fleurir en Europe. Mais il est possible qu’on nous coupe l’herbe sous le pied, avec l’adoption du pacte de rigueur budgétaire plus rapidement que ce qu’on avait imaginé », prévient Thomas Coutrot, coprésident d’Attac. Le Collectif veut lancer à la rentrée 2012 « une puissante campagne nationale contre la ratification du pacte budgétaire », ainsi qu’un vaste débat démocratique en France et en Europe « sur les alternatives à l’austérité ». Le risque : être devancé par l’aggravation de la crise européenne.

[^2]: Que savons-nous aujourd’hui sur la dette publique en France ?, rapport d’étape de l’audit citoyen publié le 23 juin, disponible sur le site www.audit-citoyen.org

Économie
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