François Delapierre : « La gauche durable existe, je l’ai rencontrée »

François Delapierre, secrétaire national du Parti de gauche, a participé à la campagne en faveur d’Hugo Chávez. Il nous livre son analyse de l’élection présidentielle et de l’action du gouvernement.

François Delapierre  • 11 octobre 2012
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« Je veux une gauche durable !  » À l’université d’été du PS de La Rochelle, Jean-Marc Ayrault justifiait ainsi la course de lenteur de son gouvernement. Il ne se doutait pas que l’altitude d’où il prononçait ces fortes paroles était le sommet d’un toboggan sondagier qu’il allait dévaler à une vitesse inédite si tôt après une présidentielle. Impassiblement, comme il sied à un représentant de la «  gauche qui agit  » et non de «  la gauche tonitruante, la gauche qui manie uniquement le verbe, la gauche d’Amérique du Sud  » moquée par Michel Sapin. Si la gauche durable existe, c’est pourtant en Amérique latine qu’on peut la rencontrer. Puisque Sapin nous y invite, comparons ! La dernière fois que le PS était sortant dans une élection nationale, en 2002, son candidat perdit 1,5 million de voix par rapport à la législative remportée cinq ans plus tôt. Il fut éjecté du second tour au bénéfice de l’extrême droite. La gauche vénézuélienne, elle, vient d’être reconduite après treize années au pouvoir. Son candidat commun, Hugo Chávez, a été réélu dès le premier tour avec 10 points d’avance [[François Delapierre, secrétaire national du Parti de gauche, a participé à la campagne
en faveur d’Hugo Chávez. Il nous livre son analyse de l’élection présidentielle et de l’action du gouvernement.]] sur celui de l’Internationale socialiste, de la droite et de l’extrême droite coalisées contre lui. Il devance son adversaire dans 22 régions sur 24, y compris dans l’État de Miranda dont ce dernier est le gouverneur. Chávez obtient plus de 8 millions de voix, plus du double que lors de sa première victoire en 1998.

Quel est le secret de cette longévité ? La démocratie et la souveraineté populaire qui en est l’autre nom. Jean-Marc Ayrault, traité Merkozy en bandoulière, prétend durer en promenant un éteignoir sur les aspirations populaires et en chloroformant la gauche. Pour les sociaux-démocrates, l’action gouvernementale doit dépassionner la société et recouvrir ses contradictions sous des consensus techniciens autour de la « seule politique possible ». Les gouvernements de la gauche latino visent, eux, l’implication populaire. Le peuple n’est pas leur problème, mais la solution. Lutte contre la pauvreté, éradication de l’analphabétisme, Assemblée constituante pour une « démocratie protagonique »… le fil rouge de la révolution bolivarienne est de favoriser la participation concrète du peuple à ses affaires. Cela requiert aussi d’assumer un haut niveau de conflictualité politique. Car il n’y a pas de démocratie sans contradiction. C’est la fournaise brûlante des controverses qui pousse chaque citoyen à débrouiller par lui-même l’intérêt général. Chávez marque donc une rupture salutaire avec les expériences du XXe siècle qui confièrent à un parti unique le soin de conduire sur le chemin de la révolution un peuple privé du droit de vote. Relayant l’opposition vénézuélienne qui annonçait un scrutin serré, les chambres d’échos de la propagande antichaviste ont dû admettre que la République bolivarienne n’est pas la dictature qu’ils avaient dépeinte jusqu’alors. Mais elles continuent de se tromper en considérant la forme démocratique du régime comme une concession insincère et incomplète qui masquerait mal la nature nécessairement autoritaire qu’ils prêtent au socialisme, fût-il du XXIe siècle. La révolution bolivarienne repose sur le recours incessant à l’élection, une fois par an depuis 1988, au point que les stands du Conseil national électoral expliquant le mécanisme des machines à voter et assurant la mise à jour des listes électorales font partie du paysage à Caracas.

Si la démocratie met utilement les cadres imparfaits du régime sous la pression populaire, elle en fait autant pour l’opposition, la contraignant à des évolutions paradoxalement essentielles pour légitimer ses adversaires. Cette fois, l’élection a poussé le candidat de droite à promettre la poursuite des programmes sociaux du gouvernement. Ce revirement est la conséquence du changement de ligne de la droite vénézuélienne, qui s’est résolue à affronter Chávez par la voie démocratique et non par celle du coup d’État ou du lock-out patronal. L’implication de l’opposition a aussi contribué à la dramatisation du scrutin sans laquelle la participation n’aurait pas bondi de 6 points par rapport à 2006… et sans laquelle Chávez n’aurait jamais battu son record de voix. Cette élection a même été le vecteur d’un internationalisme concret. Les antichavistes français ont réussi ce que le déplacement de plusieurs responsables du Parti de gauche au Venezuela n’aurait jamais suffi à produire. En multipliant les articles assassins contre Chávez, ils ont impliqué des milliers de nos concitoyens dans ce scrutin. C’est la première fois qu’une élection vénézuélienne a été l’objet d’une telle couverture médiatique, qui dépassait en passion sinon en ampleur le suivi des élections dans de nombreux pays européens. Au moment où le gouvernement Ayrault s’enfonce dans la politique austéritaire, nous sommes désormais bien plus nombreux à savoir que la gauche durable existe pour l’avoir, même brièvement, rencontrée.

Monde
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